Chapitre 1 : J-24 (1/2)
Mathilde prenait la pose depuis quelques minutes déjà. Index droit sur le menton, main gauche sous le coude, ses yeux examinaient les colliers installés en rang d'oignon sur sa coiffeuse, surmontés d'une collection de boucles d'oreilles à faire pâlir d'envie la plus coquette des princesses. Pourtant, avec son jean usé jusqu'à la corde, sa veste de survêtement et ses cheveux ternes plus longs qu'un best of de Kaamelott, ce statut aurait mieux convenu au vieux chat errant du coin qu'à la jeune femme visible dans le miroir.
Celle-ci se rabattit finalement sur de fines spirales d'or rehaussées de petits rubis, qu'elle assortit à une simple chaîne de la même couleur, décorée, elle, d'une étoile ciselée. Elle concentra son attention sur le lobe de ses oreilles et le décolleté qu'elle ne tarderait pas à dissimuler derrière sa fermeture éclair. Satisfaite de son choix, elle enfila son manteau, passa la bandoulière de son sac sur son épaule et se dirigea vers l'entrée.
Le technicien y travaillait toujours. Agenouillé devant le boîtier fibre, il s'était mis à l'aise : son portable traînait sur le carrelage à côté de lui, son blouson jeté négligemment sur une chaise. Mathilde s'avança d'un pas supplémentaire ; il finirait par s'apercevoir qu'elle se tenait prête à partir et accélérerait le mouvement.
L'homme tritura une dernière fois les câbles et se redressa. Le regard de la jeune femme glissa vers sa manche et un petit bracelet argenté agrémenté d'un joli pendentif en entrelacs de courbes lui fit de l'œil. Elle reporta son attention sur le technicien.
— Tout est en ordre ?
— C'est bon, madame ! lui répondit-il. A priori, c'était juste quelqu'un qui s'était installé sur votre port d'accès dans le placard technique.
Si tu veux... pesta mentalement la jeune femme. Du moment que tu te magnes.
Heureusement, cet échange marqua la fin de l'intervention. L'homme récupéra son matériel, son manteau et la précéda dans le couloir de l'immeuble. Mathilde le laissa devant l'ascenseur pour dévaler les escaliers, dans le calme de la solitude.
Comme elle le prévoyait, Sophie l'attendait déjà depuis quelques minutes, en témoignaient les deux verres de jus de pomme vides disposés devant elle sur la table. Toutes deux avaient cette fois jeté leur dévolu sur un bar du troisième arrondissement parisien, pas trop loin du RER pour Mathilde ni de la ligne quatorze pour sa meilleure amie. À cette heure de la journée, les odeurs d'alcool et de café se mêlaient à la musique dans l'atmosphère tamisée du lieu.
Sophie avait pris ses quartiers à côté de la vitrine, dans un coin éloigné de la porte et des courants d'air du mois de janvier. Ses cheveux bruns coupés au carré brillaient sous la lumière du timide soleil hivernal. Des nuances grises de fard à paupières faisaient ressortir son regard couleur châtaigne, souligné d'un trait de crayon.
Quand elle vit la jeune femme entrer, les lèvres de son amie se couvrirent aussitôt d'un sourire taquin.
— Il t'a fallu combien d'heures pour te décider, cette fois ? rit-elle.
— À peine dix minutes, se défendit Mathilde. C'est le technicien qui...
— À d'autres ! Je te connais depuis dix-neuf ans, ma grande, et ta passion pour tout ce qui brille ne s'arrange pas avec le temps, bien au contraire !
Elle avait revêtu son blazer rose préféré sur une petite robe noire. Son intérêt pour les tenues aussi légères en plein hiver avait toujours sidéré Mathilde, quand bien même Sophie lui avait assuré qu'elle avait bien assez chaud avec ses collants.
Elles échangèrent leurs vœux de bonne année pendant que la retardataire prenait place sur la chaise libre. Le temps qu'elle ôte son imperméable et sa sacoche, Mathilde avait déjà résumé la semaine de vacances dont elle revenait à son amie. Ses parents ne s'adonnaient pas à des activités bien passionnantes et elle ne les y poussait pas davantage.
Sophie ponctua le court récit de quelques rires, mais sa joie se changea vite en moue blasée.
— Titi, tu pourras mettre tous les beaux bijoux du monde que tu veux, c'est pas en t'habillant comme un sac que tu te retrouveras un mec...
Mathilde ignora son amie. Elle tourna les yeux vers le tableau des boissons et déchiffra les lettres manuscrites qui composaient le nom de ses futures acquisitions.
— En parlant de mecs, comment ça se passe, avec Raph ? poursuivit Sophie. Vous vous êtes décidés, pour Garance ?
— On voit le juge début mars, annonça Mathilde. Et notre position n'a pas changé depuis que je t'en avais parlé, ce sera garde alternée.
Son interlocutrice hocha la tête. Un serveur recueillit leurs commandes et se hâta derrière le comptoir.
— Tant mieux si ça avance. Je suis bien contente d'avoir rompu avec Valentin avant qu'il y ait des gosses dans l'équation, ça a l'air bien galère...
Mathilde ne réagit pas. Elle aimait sa meilleure amie, mais celle-ci avait la fâcheuse tendance à surinterpréter ses propos. Voire à leur inventer un sens caché. Il n'y en avait pas. Raphaël et elle divorçaient, ils hébergeraient leur fille une semaine sur deux, point. Verser dans les sentiments et dans une angoisse inutile ne lui apporterait rien.
Elle s'aperçut que Sophie la dévisageait et leva un sourcil circonspect.
— Il y a vraiment pas grand-chose qui te remue, toi, hein ? rit son amie. À part les fantômes, je veux dire...
Mathilde ignora la remarque ironique. Le souvenir peu glorieux de leurs soirées films d'horreur ressortait un peu trop souvent dans leurs conversations à son goût.
— Et il n'y a vraiment pas grand-chose qui en vaille la peine, rétorqua-t-elle.
— Une réponse digne d'une contrôleuse aérienne ! Perso, quand je vois un bouton rouge sur mes écrans, je deviens folle !
— C'est bien pour ça que tu as préféré rejoindre Val dans l'antre des serveurs électroniques... lui rappela Mathilde.
— Meilleure décision que j'aie jamais prise !
Les jeunes femmes s'étaient rencontrées en première année de classes préparatoires, où elles avaient forgé leur amitié sur leur passion commune de l'aéronautique. Raphaël et Valentin s'étaient greffés à leur duo deux ans plus tard, après leur rentrée à l'École Nationale de l'Aviation Civile. Mathilde et Sophie avaient commencé leurs études dans la même promotion que le premier ; le second assistait aux cours d'ingénierie électronique des systèmes de la sécurité aérienne.
Quand Sophie avait compris qu'elle se porterait bien mieux si elle ne travaillait pas derrière un micro, elle s'était reconvertie dans cette dernière formation l'année suivante. Elle exerçait désormais au service technique d'Athis-Mons, le centre de contrôle en route du sud de la région parisienne, un emploi qui la passionnait. Elle avait bien essayé d'en expliquer les ficelles à Mathilde, mais chaque tentative s'était soldée par une élève un peu plus perdue que la fois précédente.
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