Calme, tout est calme. Surtout en voiture. En ville, je sens le stress de chaque personne. Ou du moins je le perçois à leur mine et leurs mouvements brusques. Il y a trop de choses à sentir, à observer. Quand je suis en voiture, je suis apaisée. Déjà, il y a le ronronnement du moteur que je sens vibrer dans toutes les parties de mon corps étant au contact de la voiture. Mes pieds, mes jambes... je fais glisser mes doigts sur la portière, le long de la vitre. Des vibrations se répandent par le bout de mes doigts au reste de ma main. Ça peut sembler étrange mais c'est agréable ! Je dirais même que ça berce... Dehors tout défile très vite. Il y a de moins en moins d'arbres aux feuilles brunes, jaunes, oranges ou encore rouges qui tombent et virevoltent dans le vent avant de se poser au sol. Un lampadaire, deux, trois, quatre... La nuit ne tombera que dans 4 heures et alors ils s'illumineront. C'est beau un lampadaire la nuit. J'aime la nuit tout court en fait. Il n'y a personne dans les rues et les lumières de la ville sont magnifiques dans le noir !
Mon père me fait un signe :

« On arrive dans 1 heure »

Peu après qu'il m'ai fait cette annonce, on tombe sur des embouteillages. Je sais qu'il ne supporte pas ça. Je dois avouer que le fait d'être en voiture est déjà assez difficile mentalement. Mais ce qui me dérange surtout, ce serait d'arriver en retard... Une vibration moins cadencée que les autres se superpose à celle du moteur. Je regarde alors l'écran de l'autoradio : Storm - Vivaldi. J'aime beaucoup cette musique, elle donne des sensations incroyables. Elle est dynamique, avec un rythme à couper le souffle. Je suis sûre qu'elle doit être encore plus belle à écouter ! Contrairement à ce qu'on pourrait penser, j'ai beau être sourde cela ne m'empêche pas d'apprécier la musique. Je l'aime juste autrement ! C'est ma mère qui m'a donné ce goût pour la musique. Elle est chanteuse, pas très renommée mais apparemment très talentueuse ! Je suis sourde depuis la naissance, mais ma mère m'a appris à sentir la musique. Chaque vibration est différente selon les instruments. Celles que je préfère sont celles du violon. J'aime beaucoup aussi la batterie et le piano, dont j'arrive le mieux à ressentir les notes. J'observe mon père. Quand ma mère conduit, elle chante à tue-tête, je peux le voir dans le miroir. Mais mon père lui, tapote simplement ses doigts sur le volant en cuir noir de la voiture. Mes deux parents sont vraiment de caractères opposés. Ma mère est pleine de joie de vivre et mon père est strict et pas très souriant... Je sais qu'il a un cœur tendre sous sa carapace d'autorité. Sauf qu'il ne ressort que très rarement voir jamais... En fait ce qui m'agace le plus c'est qu'il me met trop la pression. Impossible d'avoir ne serait-ce qu'une heure de temps libre ! J'ai une petite sœur et elle s'en sort très bien pour l'instant, mais bon, elle n'est qu'en 6ème. En parlant de temps libre, quand mon père me lâche un peu et que je peux enfin respirer, je m'enferme dans ma chambre, entre-ouvre ma fenêtre, me mets à mon bureau et écrit. J'adore l'odeur du papier. C'est vraiment le seul moyen que j'ai trouvé pour me sentir libre et m'exprimer. Impossible pour moi de sortir seule, mes parents ont trop peur. Alors je reste cloîtrée dans ma chambre. Je me défoule en écrivant et je laisse sortir tout mes autres sentiments. J'écris aussi des histoires, j'évite bien sûr les descriptions de bruit puisque je ne pourrais les faire que maladroitement. Parfois j'essaye quand même d'inventer en me basant de ce que j'ai lu dans d'autres livres. Je sais par exemple que le bruit de la craie est insupportable pour beaucoup de monde, que les motos font beaucoup de bruit ou encore qu'on peut entendre la mer dans les coquillages même si je ne connaît pas le bruit de celle-ci.
Je décide alors de me mettre à écrire. Je sors mon carnet à la reliure violette et mon stylo à plume à encre noire. Je commence à noter de nombreuses idées de projet. Alors que je me lançais dans l'un d'eux, mon père s'agita sur son siège. Une Peugeot verte venait de lui passer devant et il avait klaxonné à fond. Je n'y fait pas plus attention, trop absorbée par mes écrits. Mais alors que je finis une page, je sens un regard peser sur moi. Je relève la tête de mon carnet, écoutant mon instinct, et vois un garçon. Un garçon aux cheveux noirs de jais ébouriffés qui doit avoir à peu près mon âge et qui se trouve dans la fameuse voiture verte. Alors que je l'observais, il tourna la tête dans ma direction et nos regards se croisèrent. Oh non, il a vu que je le regardais ! Que faire pour ne pas passer pour une fille plus bizarre que je ne le suis déjà ? Je détourne alors brusquement les yeux. Mais la tentation est trop forte et je me dis qu'il faut que j'arrête d'être aussi timide. Et puis on est séparés par deux vitres, qu'est-ce qu'il pourrait se passer ? Ses yeux sont d'un brun profond aux quelques reflets noisette. Je me perds un instant dans son regard puis j'ai une idée. Je veux communiquer avec lui. Alors au risque de me faire ignorer, j'essaye :

« Bonjour [...]»