Chapitre 7
Soan se retrouve contraint de les suivre dans les galeries s'enfonçant dans les entrailles de la Terre. Son regard sonde les ténèbres pour essayer de comprendre qui sont ces gens. Ils finissent par atteindre une vaste salle éclairée par des bougies. Il sent le sol doux sous ses pas, du sable. En plissant les paupières, il distingue au mur du fond une fresque qui ressemble à une gigantesque vague. Cela lui rappelle l'œuvre de Hokusai. Les habitants du squat auraient adoré, songe-t-il avec un triste sourire.
On le pousse vers un banc en pierre où il s'assoit. Malgré la faible luminosité, il peut les étudier : ils portent bien des bottes, mais celles-ci sont en plastique, vertes, rapiécées, et remontent jusqu'à mi-cuisse. Rien dans leur tenue n'évoque les Bottes Rouges, une vague de soulagement l'envahit.
Quelqu'un s'approche, une silhouette maigrichonne qui lui tend une gourde. Il s'en saisit, mais hume avec méfiance avant d'en avaler une toute petite gorgée. L'eau fraîche a un goût si délicieux qu'il en oublie toute prudence et engloutit tout.
— Tu t'appelles comment ?
La voix parvient d'une femme qui s'affaire autour d'un chaudron. Éclairée seulement par la lueur du feu qui flamboie en dessous, elle a des airs de sorcières avec sa tignasse hirsute. Un petit garçon à côté découpe des légumes qu'elle déverse dans l'eau bouillante. À première vue, ils ont l'air anciens, racines, et surtout peu ragoûtants. L'odeur qui lui parvient ne l'est pas plus.
— Soan.
S'il n'ose pas lui demander le sien, il s'attarde à détailler ses cheveux aux reflets roux qui ont l'air de ne pas avoir vu de peigne depuis très longtemps. De la terre d'ici, blanchâtre, macule son front et le bout de son nez retroussé. Elle lui paraît maigre, comme tous ceux qu'il a croisés ici. Mais il ne doute pas de leur force, il les a vus soulever ses bidons sans esquisser la moindre grimace de douleur.
— Tu viens du dessus ?
Le jeune homme acquiesce, la jeune femme enchaîne :
— C'est comment là-bas ?
Elle parle vite, il a l'impression qu'elle l'interroge.
— Pas terrible. C'est difficile de survivre, entre les zonards et les Bottes...
Il n'en dit pas plus, étudiant sa réaction. Elle soupire en lâchant :
— Ces enfoirés ! Ils ont tué mon frère.
La douleur se lit dans les prunelles de la cuisinière. Une douleur qu'il connaît bien. Impossible de ne pas songer à Sally et à tous les autres disparus. Si un grand nombre de décès peut être imputé aux émeutes, les Bottes Rouges sont responsables de la plupart survenus depuis qu'ils règnent en maîtres. Leur montée en puissance a été si rapide. Mais loin d'être imprévisible, cela fait des années qu'ils s'armaient sans que personne ne s'en alarme.
Le silence s'installe, chacun respectant le deuil de l'autre. Soan choisit de changer de sujet. Il désigne la fresque d'un mouvement de tête et demande :
— Ça représente quoi ?
— La vague de Kanagawa ? Elle a toujours été là. Je crois qu'elle nous rappelle ce qu'on a perdu, ce pourquoi on doit se battre.
Se battre. Victoire aurait pu prononcer ces mots-là.
Les jours passent, enfin, il croit. Difficile d'évaluer quand on ne voit pas la lumière du jour. Il y a un puits, la sorcière l'a rassuré sur le sujet quand il s'est inquiété pour la fumée, mais il se trouve trop éloigné pour qu'il puisse en déduire quoi que ce soit. La seule unité de mesure qu'il lui reste est les poils de sa barbe incomplète qui le démangent en poussant. Malgré tout, leur présence le rassure, il se gratte par moment le menton.
Du reste, le banc de pierre inconfortable est devenu sa couchette, sa chambre et sa cellule. À chaque fois qu'il esquisse un mouvement pour s'en extraire, la sorcière agite une cuillère en bois dans sa direction. Il a compris et se résigne. Assigné à cet endroit, il en profite pour étudier leurs allées et venues. Ils se ressemblent tous, avec leurs combinaisons grises, leurs casques vissés sur leurs têtes, leurs lampes frontales qui leur donnent à tous une allure de spectres.
Mais la sorcière demeure derrière son chaudron, elle a l'air de diriger les opérations culinaires avec plus ou moins de succès. Car le goût de la fameuse soupe est particulièrement infâme. Il n'a pas essayé de savoir ce qu'elle met dedans, se disant qu'il pourrait ne plus avoir du tout envie d'en consommer. D'autres questions lui paraissent plus importantes, comme savoir quand ils se sont retranchés ici.
— Les premiers Gaspards se sont réfugiés ici au début de l'effondrement, quand les rues se sont embrasées. D'autres nous rejoignent en cours de route.
— J'imagine qu'il faut passer des épreuves pour ça ?
Serait-il tenté ? Non, mais s'il gagnait leur confiance, peut-être pourrait-il s'enfuir... Tu oublies un peu vite que t'es un otage dans l'histoire.
— Évidemment, répond-elle sans donner plus de précisions.
Elle glisse une nouvelle fournée de légumes découpés en morceaux dans le chaudron et le regarde à travers la vapeur qui s'en échappe.
— On a dû défendre notre territoire.
Voudrait-elle justifier le cannibalisme dont il s'est trouvé menacé ? D'ailleurs, la peur de finir dans la soupe reste présente, même s'il est quasi certain qu'elle n'y a mis pour le moment que des tubercules.
— Vous allez dehors ? Je veux dire, là-haut ?
L'espoir est aussitôt repoussé par la réponse qui claque dans l'air :
— Tu es bien curieux, tu le découvriras bien assez tôt.
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