Chapitre 10
— Ton amie est de retour, souffle une petite voix.
Surpris d'être encore en vie, il lutte pour ouvrir ses paupières. Malgré ses efforts, il n'arrive pas à déterminer si la silhouette le surplombant appartient à la sorcière ou à Victoire. Ses oreilles bourdonnent dans le silence de la carrière. Il sent une main dans la sienne, de l'eau perler sur sa langue, il l'avale avec difficulté. Sa gorge souhaite tirer sa révérence. Comme son cœur, en lutte pour chaque battement.
— Tiens bon, crétin, lui lance la voix.
C'est douloureux, de ne pas pouvoir ouvrir les yeux, vérifier si c'est bien elle. Il ne peut que se contenter de l'espoir qu'on vient de jeter à ses pieds. Il sent les ténèbres le saisir à nouveau, il ne résiste même plus. Le monde ne sera pas sauvé par quelqu'un comme lui, qu'est-ce qu'un artiste pourrait bien apporter avec ses histoires à dormir debout ?
— T'as cru que je reviendrais pas, hein ?
Il sent qu'on le secoue. Il voudrait lui dire de le laisser crever tranquille. Mais l'agitation est trop forte, il finit par ouvrir les yeux. Les cheveux roses de Victoire lui caressent le bout du nez. Il la scrute, partagé entre l'envie de lui hurler dessus pour l'avoir abandonné et celle de lui révéler ses découvertes. Mais l'un comme l'autre, il n'en a pas la force.
— J'vais pas te laisser partir si facilement, on a besoin de bras.
— Pour... l'eau ? ironise-t-il.
— Non, pour se battre contre les Bottes Rouges ! lance-t-elle.
Cette fois-ci, sa vision s'affine. Son infirmière se tient juste derrière Victoire. Les deux femmes le scrutent avec inquiétude.
— Z'avez pas besoin de moi, gémit-il.
— Pourquoi, parce que t'as zéro muscle et un petit pois à la place du cerveau ?
Il voudrait lui faire ravaler ses insultes, mais une quinte de toux remplace un rire amer. Elle tapote sa caboche trempée de sueur.
— T'énerve pas, va falloir que tu te reposes encore un peu.
Il attrape sa main. Cette main fraîche qui s'est posée sur ses bandages et sa peau brûlante. Il doit lui dire avant qu'il ne soit trop tard.
— Mes plaies se sont infectées, l'avertit-il.
— Ouais, je t'avoue qu'on est un peu inquiet, mais tu peux combattre l'infection. La fièvre, ça sert à ça non ?
Ses poumons le font souffrir, malgré tout, il lutte de toutes ses forces pour prononcer :
— Les champignons...
La sorcière s'approche.
— De quoi parles-tu ? Oui, on fait pousser des champignons comestibles, mais aucun ne peux te soigner.
— Si, souffle-t-il avec peine, la moisissure... sur légumes... pénicilline.
— J'ai compris ! s'exclame Victoire en disparaissant à son habitude.
Épuisé par ces efforts, il se laisse retomber en arrière. Un tissu frais se pose sur son front brûlant. Ses paupières se referment.
Combien de temps s'est écoulé ? Il se sent plus fort, à chaque fois qu'il ouvre les yeux. Victoire est encore là, ce qui le surprend. Il l'imagine plus volontiers au-dehors, en train de bricoler des antennes ou des armes, qui sait ce dont elle est capable ? Mais sa gardienne est là, veillant sur lui, vérifiant sa fièvre, constatant ses progrès. Finalement, il arrive à se redresser et même à esquisser quelques pas.
— Tu nous as fait peur, mon garçon, gronde une voix familière.
Soan pivote et manque de tomber, sans l'aide de son infirmière. En plissant les paupières, il distingue la silhouette massive de mèches blanches.
— Ton idée avec les champignons a fonctionné, on te doit une fière chandelle, grâce à toi, on va pouvoir soigner nos blessés.
Il cligne des yeux, sans comprendre. Pas immédiatement, du moins. Son esprit reste encore lent, épuisé par la lutte contre le mal.
— Écoute, je sais pas si c'est vraiment ta mère, mais je peux te ramener voir les ravageurs. Essaie juste de pas te comporter comme un dingo, d'accord ? Ils pourraient avoir envie de faire un autre trou dans ton torse !
Ainsi c'était eux. Les images lui reviennent par bride. Il s'est élancé et un ravageur s'est interposé, un cri de rage ou de douleur jaillit et le noir s'est fait. Ils voulaient juste protéger sa mère, se rassure-t-il. Ils recueillent les réfugiés, ce sont des gens bien. Sa mère ne prônerait jamais de la violence gratuite ! Son cœur s'allège.
Cependant, il doit attendre. La frustration le gagne, mais la sorcière ne lui laisse aucun répit. Elle insiste pour qu'il marche, chaque jour un peu plus longtemps. Elle note ses progrès avec un morceau de charbon au mur. Quand il l'interroge, elle a un sourire énigmatique à ses lèvres.
— Ton amie est repartie, se contente-t-elle de lui dire.
Il finit par lui demander :
— T'es normande ou quoi ?
Avec ses demi-réponses, elle lui fait penser à son oncle qui s'amuse à dire p'être bin que oui, p'être bin que non à chaque question.
— Ça changerait quoi ?
Il se demande, si pour elle, pour tous ici, faire partie des Gaspards ou résistants, peu importe comment ils s'appellent, n'est pas une renaissance. Aucun ne mentionne jamais son passé. Tous portent des pseudos étranges, comme des noms de code. Il a cru comprendre que celui de sa sorcière-infirmière est Luciole. Il trouve pas que ça lui aille tant que ça, il préférait Morgane, après tout, elle l'a empêché d'aller voir le monde des morts.
Un certain nombre est venu le voir, lui poser des questions sur les champignons, mais pas que. Il leur a dit que c'est pas lui l'expert, mais sa mère. C'est elle qui connaît toutes les plantes médicinales ! Il regrette leurs derniers mots échangés, si violents, bien plus que leurs pensées. Il était en colère, il ne savait pas que la fin du monde allait les séparer.
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