Chapitre 1
Un fichu combat en plein supermarché pour une foutue boîte de conserve, voilà ce qu'est devenu son quotidien et celui de la capitale. En dépit des grognements de son estomac, Soan recule d'un pas prudent. Il estime la puissance de chacun des combattants à leur corpulence et en conclut qu'il n'a aucune chance. Malheureusement, éviter le combat signifie perdre un peu plus de masse musculaire, un putain de cercle vicieux !
Soan retrouve l'entrée des employés qui lui permet de circuler discrètement. Il a conscience qu'il aurait pu croiser bien pire. En passant devant la salle de pause, il se remémore les blagues vraiment limites de ses collègues ; il peut presque entendre le soupir d'agacement de Clara. Elle lui manque, tous lui manquent. Mais il n'a pas le luxe de les pleurer, il doit rentrer au squat avant la nuit.
Si jamais il se trouvait dans les rues lorsque la brume se lève et que le ciel s'obscurcit... un frisson le secoue. Cette escapade va peut-être figurer dans le top cinq des idées stupides germant un peu trop fréquemment dans sa caboche. Comme rester sur la capitale plutôt que de retourner vivre avec ses parents en banlieue. Les rumeurs sur ce qu'il s'y passe l'inquiètent au plus haut point. L'idée de poursuivre jusqu'aux maréchaux l'a plus qu'effleuré, mais il n'ose pas. Cet espoir idiot pourrait le tuer.
La vieille grille qui a protégé un temps le supermarché, lors des émeutes, lui oppose de la résistance : il doit pousser de tout son corps pour que celle-ci daigne s'ouvrir. Enfin, il arrive à sortir au prix d'intenses efforts. Le front baigné de sueur, il chasse ses mèches brunes, rabat sa capuche bouffée par les mites et se glisse dans le boulevard. D'un pas souple, il dévore les pavés que les émeutiers ont découverts pour s'en servir comme projectiles. Pas un regard pour les immeubles haussmanniens qu'il a pourtant longtemps admirés. Tout ce qu'il aimait à Paris a été détruit par les grands incendies.
Personne ne sait au juste qui a allumé la première flamme, mais il n'y avait plus d'eau pour les éteindre. Tout ce qui n'a pas brûlé tient à peine debout. Laissant les survivants démunis. Comme lui en cet instant. Dehors, il est une proie facile. Il doit rester vigilant et guetter le moindre bruit, le cliquetis caractéristique de bottes.
Il ne les a jamais croisés, mais il connaît les recommandations : ne pas traîner à découvert, repérer sur son chemin tout ce qui peut servir de refuge, ne pas s'approcher des anciennes barricades transformées depuis en bidonvilles par les zonards. Ces derniers auraient, selon Sally, finit par s'adonner au cannibalisme et à d'autres horreurs du même genre. Soan préfère ne pas se poser la question et les éviter autant qu'il peut. Dans son état, n'importe qui représente une menace.
Il dépasse les abris de fortune, glisse un regard inquiet à chaque ruelle, à chaque entrée d'immeuble éventrée. Même si les Bottes Rouges ne se cachent pas. Nul besoin puisqu'ils règnent en maîtres sur la capitale abandonnée par les autorités. Les élus ont estimé que les Parisiens se montraient trop violents et surtout ingrats : ce fameux discours a enflammé Paris. Littéralement. Pour survivre, ceux qui sont restés ont dû se réunir en clan et se barricader.
Qu'est-ce qu'il lui a pris de sortir tout seul ? Sally va l'engueuler comme un poisson pourri. Mais il préfère encore ça à la solitude. La terreur lui agrippe le ventre, son estomac vide se creuse et se serre. Il grimace de douleur. L'anxiété héritée de sa mère ne l'a jamais lâché. Il a juste appris à composer avec. La peur, compagne familière, lui projette l'image de sa carcasse embrochée par les cannibales. Encore que ce sort reste plus enviable à ce que lui réserveront les Bottes s'ils l'attrapent !
Son regard s'élance vers le ciel, gris comme toujours. Pas une goutte ne menace de tomber. Tant mieux ! Les pluies acides rongent tout, y compris la chair humaine. Pourtant, il redoute plus la nuit que la pluie. Pour cette dernière, il suffit de s'abriter, n'importe où. La nuit, en revanche, le contraindra à trouver refuge dans l'un de ces immeubles abandonnés sans savoir ce qui pourrait s'y cacher.
Sur le boulevard Raspail, il entend un bruit de botte. Pas le temps de chercher d'où il provient, il lui faut trouver un abri, n'importe lequel et vite. Pas de barricades transformées en bidonville ici, les tanks ont tout rasé. Derrière les façades des bâtiments claquemurés, il imagine les regards des survivants retranchés posés sur lui. Aucun ne prendra le risque d'ouvrir leur porte à un inconnu. Trop dangereux. Soan pâlit.
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