Mehdi

« Graine de voyou, prend garde à toi ou tu finiras comme ton frère » m'avait-elle dit, ces mots résonnaient encore dans mon esprit, en boucle et continuaient à résonner en moi bien des années plus tard. Je m'en étais fait la promesse, je lui prouverai par tous les moyens qu'elle avait eu tort.

Il pleuvait, je courais sous la pluie depuis plus d'une heure. Je courais pour échapper à l'angoisse qui se terrait au creux de mon ventre. La peur de finir comme les autres, désœuvrés, déracinés, désespéré. Je ne voulais pas, je ne voulais pas être une honte pour ma mère, une nouvelle source d'angoisse comme mon frère, ou un autre boulet comme mon père. Un goût amer se répandait dans ma bouche rien qu'en pensant à lui.

Malheureusement, je venais encore de m'enfoncer un peu plus loin sur la voie du non-retour. J'avais fui la violence, j'en avais eu peur toute mon enfance et voilà que je l'avais aussi infligé à quelqu'un.

Je me suis battu avec l'un de mes harceleurs, lui qui se croyait tout permis. Cette fois-ci je ne lui avais pas permis d'assener le premier coup, je ne lui en avais pas laissé le temps. C'était la première fois que je me battais. Avant je me contentais d'encaisser les brimades de mon père, les coups de mes harceleurs, sans jamais riposter. Je préférais endurer, attendre que cela passe.

Ma mère m'avait un jour donné un conseil après que m'ont père m'ait flanqué une énième raclée « soit fort, endure, aucune situation ne demeure figée, aucune ». Mais cette fois je n'avais pas trouvé cette noblesse. La colère qui sommeillait au plus profond de moi pendant toute ces années c'était réveillé, toute cette haine cette violence réprimé dans l'œuf s'était déversée hors de moi. C'était moi, c'était elle, cette part détestée qui en lançant le premier coup de poing avait sonné l'heure de la confrontation. Ma vue s'était alors brouillée et s'était voilée de rouge. J'avais foncé, tête baissée sur mon harceleur... À travers l'avalanche de poing qui s'abattait sur lui je lui communiquais mon envie de le dominer, de le voir souffrir. Je voulais écraser cet adversaire qui tant de fois au paravent m'avait fait subir ce traitement sans une once de remord, sans un tressaillement de regret. Je ne sentais pas mes poings écorchés, engourdi de douleurs, ni les mains qui m'agrippaient et tentaient de m'écarter. Je n'entendais encore moins les cris réprobateurs noyé par les hurlements des élèves venus s'attrouper autour de la mêlée. Les exhortations redoublaient à chaque coups portés, avides d'effusions de sang, seule ces cris comptaient. J'avais perdu mon sang froid, tout n'était que vengeance et furie.

La seconde fois où je me suis battu en ressentant cela, la personne en face ne le méritait pas, aucunement et j'en avais honte encore maintenant malgré toute les excuses que j'avais pu .

D'ordinaire je n'étais ni agressif, ni belliqueux, la passivité qui avais été ma seule réponse durant toute mon enfance en témoignait. Mais à force de me chercher, Benjamin avait fini par toucher à ma corde sensible et là, ça ne pardonnait pas, ça ne pardonnerait plus. J'avais toujours eu une ligne de conduite très claire, celle de ne jamais insulter, de ne jamais provoquer qui que ce soit même pour plaisanter. En agissant ainsi personne n'avait de raison pour venir m'insulter ou m'humilier... Jusqu'à la venue de ce tocard en cours d'année qui pour s'intégrer à la classe avait choisi de faire rire la galerie à mes dépens, un moyen abject mais efficace. Sa stratégie était simple, il pointait et exagérait toutes mes bizarreries cela finit par me pousser lentement mais sûrement au banc de la classe. Je n'avais pas un réseau d'ami étendu sur qui compter et je ne pouvais pas réellement compter sur le capital sympathie des autres élèves, du pain béni pour Benjamin. J'étais la muse d'un gamin de douze ans en manque d'attention à qui j'inspirais des ragots plus farfelus les uns que les autres. Quoi de mieux, n'est-ce pas que de se renseigner un peu sur sa proie et d'apprendre que son frère avait été un temps à l'hôpital, plongé dans le coma depuis plusieurs mois et qu'il était désormais handicapé à vie. La rumeur courait que l'accident était dû à une course poursuite avec la police et il s'en était emparé. Son cousin était policier après tout, il tenait ses informations de source sûre. Depuis quand un gardien de la paix en service dans la ville voisine était en possession de ce genre d'information ? Personne ne s'était posé la question, tout sens critique ayant déserté l'esprit de mes camarades. Il avait un boulevard devant lui pour leur faire gober tout et n'importe quoi. Un beau matin il décida de me faire passer pour l'une des petites mains d'un réseau imaginaire qui n'hésitait pas à se servir dans la marchandise. Il tentait d'apporter une explication plausible à mes yeux injectés de sang qui ne l'était bizarrement seulement pendant la saison des allergies et le lendemain de mes insomnies... La bonne blague, une rumeur sortie tout droit d'un esprit tordu. J'en aurai presque ri si les conséquences n'avaient pas été aussi désastreuses pour moi. Je ne m'y connaissais pas plus que lui en trafics de drogue. Mais qu'avaient-ils tous à fantasmer sur ça ? Jusqu'à preuve du contraire, arabe, banlieue et drogue ne rimaient pas ensemble ?

La goutte d'eau qui fit déborder le vase fut de me rendre coupable de l'accident de mon frère. Le premier coup était parti. Mon père me le reprochait déjà alors je n'allais pas laisser un parfait inconnu me calomnier plus longtemps.

A la fin des cours je m'étais glissé discrètement hors du portail, esquivant ainsi la longue file d'élèves attendant en rang désordonné la vérification de leur carnet pour sortir. Heureusement aucun surveillant ne m'avait vu, bien trop occupés à rappeler Walid à l'ordre car il n'avait toujours pas intégré que le vélo était interdit dans l'enceinte du collège ou Cindy qui couvrait de ses rires les récriminations des pauvres sixièmes aux voix fluettes. La CPE m'avait prévenue, je n'allais pas échapper à mes cinq heures de colles mais j'estimais que mon quota d'heures passées au collège pour la journée avait largement été dépassé. Je ne souhaitais pas rester une minute de plus dans cette atmosphère qui me rebutait toujours un peu plus. Je me préparais déjà à affronter la réaction de mes parents. Ça allait être ma fête quand j'allai rentrer, enfin si je rentrai....

Sachant l'accueil que me réserveraient mes parents à mon retour je décidais de faire un petit crochet chez Nour. Au point où l'on en était, quelques heures de retard en plus ajoutées à mon chef d'inculpation n'allais pas changer grand-chose. Ce n'est pas comme si mes parents n'étaient pas coutumiers de mes petites escapades qui avaient le don d'angoisser ma mère. Pourtant, malgré leurs interdictions répétées, je continuais à le faire. C'était ma seule bouffée d'air dans un univers parfois suffocant.


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