Leila
Mon père croisa mon regard enjoué en sortant du bureau et il me fit signe que tout était réglé et leva ses deux pouces en signe d'encouragement. Durant toute la séance je cherchais régulièrement son regard, m'assurant qu'il ne perde pas une miette de ma prestation depuis son banc en bois. Le miroir tout en longueur occupant un pan entier de la salle offrait une vue d'ensemble sur le tatami où nous entrainions, il me faisait face et son reflet m'intimidait. Je n'osais seulement à jeter quelques coups d'œil pour voir si mon père m'observait encore. A ma grande surprise il n'était pas le seul à avoir les yeux rivés sur moi, une ceinture jaune avec deux couettes me toisait l'air renfrogné. Elle finit par se diriger vers moi armé d'un pao et d'une raquette. Une guerrière en armure prête à en découdre brandissant son sabre protégé par son bouclier. Elle chargea vers moi ce sera une lutte à mort. Je me mettais en position défensive, basculant mon poids vers l'arrière une jambe derrière l'autre, prête à contre attaquer. L'épée se mua en une flèche lancée tout droit vers mon cœur. Je l'attrapais au vol. Sans préambule elle m'invectiva :
« Ri-jin m'a dit de me mettre en binôme avec toi. Je commence, c'est toi qui tiens la raquette.
Trop stupéfait pour répondre, je la laissais faire. Elle reste là, plantée quelques instants, balayant la salle, l'air perdue. Je n'étais bizarrement plus l'objet de toute son attention.
— C'est quoi tout nom déjà ? Moi, c'est Olivia.
Je lui redonnais mon nom tout en sachant parfaitement qu'elle connaissait déjà la réponse. Je sentais qu'elle cherchait à gagner du temps. On se regarda dans le blanc des yeux un certain temps ne sachant pas quoi faire. Je finis par lui demander :
— T'as écouté les explications ? Tu sais ce qu'il faut faire ?
— J'ai pas écouté, j'étais pas très concentré, avoua-t-elle penaude. »
Il y eut un moment de flottement. Aucune de nous ne se serai risqué à redemander une explication à Ri-Jin. Chacune essayait de regarder discrètement d'analyser les mouvements des binômes autour de nous. Je me sentais moins concerner pensant avoir tout le temps d'observer Olivia. Malheureusement pour moi, je me rendis vite compte que rôle de porteuse de raquette n'était pas passif. Je devais y mettre du mien, Ri-Jin avait pensé à tout. L'enchainement consistait en une attaque de ma part en faisant un pas en avant, forçant Olivia à faire un mouvement de retrait. Dans la foulée, profitant du rebond, elle devait m'envoyer un bandal tchagui avec sa jambe arrière, doublé d'un autre coup de pied. Je devais alors stopper l'assaut par un coup de poing. Elle devait profiter alors de ma garde ouverte pour faire un pas chassé sur le côté et me frapper sur le plastron qui offrait une cible de choix.
Il nous fallut un certain temps d'adaptation pour arriver à nous coordonner. Très directive, Olivia ne se gênait pas sujet pour me donner des ordres sûrement pour compenser le moment de flottement au début de l'exercice et rétablir son statut de gradé. Je n'avais rien à redire car ces remarques étaient pertinentes. Elle sembla apprécier mon attitude à l'écoute. À la fin du temps imparti nous évoluions de manière synchronisée. Une valse en deux temps, un pas en avant, un pas en arrière un pas en avant un chassé sur le côté.
Puis ce fut à mon tour de porter les coups. J'étais plus lente, je n'arrivais pas à enchaîner le retrait puis le coup de pied arrière sans marquer un temps de pause. Une fois sur deux ma garde me faisait atterrir sur mon pied gauche avec lequel j'avais moins de faciliter pour pallier, j'opérais alors à un changement de garde. Seulement c'était un tout autre exercice. Une fois la première partie de l'assaut maitrisé je mis à oublier de terminer avec le bandal tchagui sur le côté trop pressé de recommencer l'enchainement du début. J'avais encore beaucoup de chemin à parcourir
« Keuman, arrêtez ». L'exercice touchait à sa fin. Ri-Jin désigna deux binômes pour les combats, dont le mien.
Comme je le découvrirai plus tard, les séances de Ri-jin était sensiblement les mêmes, échauffement, techniques, combat et étirement. Tout tournait autour des combats, j'en venais presque à le regretter mais si c'était le prix à payer pour gagner en compétition j'étais prête. Je m'échauffai pour être plus performante lorsque je frappai dans les pao et les raquettes. Je frappais des batteries de séries d'ap tchagui pour maitriser le geste parfait et gagner en puissance et en rapidité en combat J'étais loin d'être prête à combattre en compétition encore fallait-il que je fasse mes preuves au sein du club. Olivia aimait particulièrement combattre avec moi car elle pouvait mettre en pratique tous les enchainements vus durant la séance. Elle pouvait frapper n'importe comment tous ses coups finissaient par rentrer avec ma garde crispée trop haute quasi inutile. C'est à peine si je me mettais de profil pour présenter le moins de surface à mon adversaire. Je gardais les pieds vissé au sol au lieu de les décoller et de sautiller légèrement pour être plus rapide lors de mes attaques J'étais un punching ball doté de caractéristique humaine, vu ma rapidité de déplacement le terme de cible mouvante étai un peu trop exagéré.
Pendant les étirements de fin de séance, toujours en binôme avec Olivia. Elle se faisait un malin plaisir à appuyer de tout son poids sur mes genoux. Elle avait l'ascendant sur moi, je ne pouvais qu'endurer en silence. Quand j'ai arrêté de lutter et que mes genoux ont enfin touché le sol, elle a commencé à tirer sur mon dobok, une moue dégoûtée sur le visage : "Il est trop bizarre ton dobok, tu l'as trouvé où ? Dans une poubelle ?" Je ris jaune et dans une veine tentative de justification, je répondis :
— Pas du tout, c'est un cadeau de ma famille.
— Tu sais que c'est interdit d'avoir un col noir ? renchérit-elle.
— Ah bon pourquoi, tout le monde en portait en Tunisie et même le coach
— Il faut être ceinture noir pour le porter.
— Un jour je le serai.
— J'espère pour toi parce qu'il faut être ceinture noire pour participer aux Jeux Olympiques.
Elle m'en avait bouché un coin je ne trouvais plus rien à redire, de toute façon la séance touchais à sa fin.
On s'aligna face à Ri-jin comme au début de la séance. Elle nous fit nous asseoir sur les genoux et ferma les yeux instaurant un moment de méditation pour réfléchir à la séance qui venait de se dérouler. Elle brisa le silence « Tachaliot, Kyongye » on se mit au garde à vous les bras le long de corps puis on s'inclina pour la saluer, en miroir elle nous salua aussi.
Intrigué par mon cas et après avoir passé la séance à m'observer, la coach Ri-Jin me prit à part : « J'espère que tu n'as pas été trop bousculé pendant la séance. Cela va faire un certain temps que je cherche une partenaire d'entrainement pour Olivia, elle va commencer les compétitions la saison prochaine. Vous avez beaucoup de choses à apprendre l'une de l'autre. Tu es douée d'un jeu de jambe incroyable, pour ton âge. D'ici quelques années tes coup de pieds seront ta meilleure arme. Mais tu manques de discipline et de rigueur mais ce n'est pas un problème nous pourrons te l'inculquer, contrairement au talent mais tu ne sembles pas en manquer. » Je ne savais pas quoi répondre à ce compliment ambivalent qui me gênait plus qu'autre chose, je me contentais d'un petit sourire humble. Je m'empressais de le saluer en inclinant la tête puis me dirigeait vers les vestiaires le plus vite possible en tentant de me fondre dans la vague d'élève qui s'y rendait.
Lorsque je pénétrais dans le vestiaire l'atmosphère avait changé, elle se faisait plus électrique. Les sourires se figèrent et les dernière notes des conversations s'évanouirent. Les premiers regards envieux et les messes basses ne se firent pas attendre. Je croisais le regard de Olivia qui semblait être l'instigatrice de cette mascarade. Elle toisait l'ensemble de groupe de jeunes filles, défiant du regard quiconque de me laisser une place sur le banc en bois où me changer. J'étais sa cible à abattre. Je restais les bras ballant sur le seuil de la porte espérant voir se libérer un crochet où accrocher mes affaires et mes espoirs de m'intégrer et de me faire ma place au sein du club, de me faire accepter. Une pensée naïve mais pleine d'amertume m'envahit Et dire que je comptais me faire de nouveaux amis, Je suppose que se sera plus difficile que je ne le pensais. Une place se libéra juste à côté de Sylvia je n'allais pas perdre mon premier affrontement face à elle. J'y mettais un point d'honneur. J'avançais droit devant elle, le regard fière le bras armé, prête à lâcher mon fardeau dans un grand fracas, je la sentis tressaillir. Elle s'attendait tout sauf à ça. On finit de se changer en silence, un silence pesant que Sylvia brisa étonnamment la première. Avec elle, je ne savais pas sur quel pied danser, à vrai dire je ne le saurai jamais.
J'ai retenu mes larmes jusqu'à la fin du cours, attendant d'être dans la sécurité de la voiture pour rapporter à mon père les paroles mesquines proférées par le trio à mon égard. Cela n'a absolument pas convaincu mon père de m'acheter un nouveau dobok, au contraire : "Il était temps de faire preuve de caractère".
Dans ce contexte, faire preuve de caractère signifiait qu'à la moindre occasion qui se présentait, je me devais de leur rendre coup pour coup. Les moments propices ne manquaient la séance entière était faite d'opposition ou le but était de donner et rendre des coups surtout type de surface de préférence mobile et humaine. Il ajouta :
— Pourquoi tu ne te regarde pas dans le miroir
Le miroir me renvoyait mon image pataude, cru dur, jugeant, mais je n'avais pas les mots pour le formuler ainsi à ce moment-là.
— Je préfère éviter mon reflet, l'image qu'il me renvoyé ne me plait pas. J'ai l'impression d'être nulle
— Il devait devenir ton meilleur ami. Il te permettra de te corriger instantanément et d'évoluer.
— La rétroaction tu connais ?
— Non c'est encore un de tes trucs de physique
— Tu chercheras en rentrant
— Tu fais toujours ça, m'indignais-je, il se contenta de me lancer un regard suffisant qui avait le don de m'enrager.
C'étaitun moteur comme un autre, le moyen privilégié de mon père.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top