Leila

Après mon initiation au taekwondo pendant les vacances j'étais aux anges, j'avais enfin trouvé ma voie. Alors une fois rentrée en France j'avais harcelé sans relâche mon père pour qu'il daigne m'inscrire au club d'arts martiaux de ma ville. Nous habitions dans le même quartier que le dojang et à chaque fois que nous passions devant, je ne pouvais m'empêcher de lui faire une petite piqure de rappel, histoire qu'il n'oublie pas notre petit accord.

Mais comment aurait-il seulement pu l'oublier ? Chacune de mes actions était destinées à le lui rappeler. Mon dobok était devenu mon pyjama et je me pavanais avec dans toute la maison. Je tentais d'autres approches, encore moins subtiles. Souvent je me plaçais au milieu du salon, de préférence devant la télé, m'assurant ainsi d'avoir toute son attention. Puis, j'essayais de réaliser quelques coups de pieds et techniques de défenses, tout droit sortis de mon imagination. Cela ressemblait plus à une série de gesticulations complètements désordonnées. J'avais un adversaire imaginaire, matérialisé par le fauteuil où ma mère aimait s'allonger. Ma mère ne supportait sûrement plus mon petit numéro et désespérait de pouvoir un jour reprendre ses siestes dans son fauteuil préféré. Mon père c'était pris au jeu et avait même sorti son appareil pour me filmer en train de tourmenter ma mère.

Un samedi après-midi, alors que j'étais très investis dans mon rôle de maire de petshopville décidant du sort de la fête du village organisé par Meubi, la glacière qui avait besoin d'un camion plus grand pour accueillir ses clients. Après moults tractations j'avais réussis à conclure un accord avec Faycal qui acceptai de me prêter sa collection de Playmobil. Depuis mon retour de Tunisie j'avais mené un grand plan d'urbanisation entre mon bureau et mon lit qui avait subi un étalement urbain non maîtrisé de ma part. Ma chambre était jonchée de figurines en plastique multicolores où chacune avait sa place.

Mon père toqua à la porte de ma chambre. Il ne prit pas la peine de rentrer et resta sur le pas de la porte, comme il en avait l'habitude lorsqu'il s'aventurait dans ce coin-là de l'appartement. Mon village de plastique ne supporterait pas l'effet dévastateur d'un séisme de magnitude six causé par la traversée sur la pointe des pieds des chaussons tailles quarante-quatre de mon père. Il m'annonça sans prévenir sur un ton entendu :

« Prépare tes affaires aujourd'hui je t'emmène au taekwondo ! Préviens ton frère, il vient aussi avec nous ». Je n'attendis pas la fin de sa phrase que déjà, je lui sautais au cou et le couvris de bisous sur le front. Il eut du mal à se défaire de moi, une véritable sangsue ! Et lorsque j'eus enfin fini de lui témoigner ma gratitude et je filais chez ma mère pour lui infliger le même traitement. Je l'entendis marmonner dans sa barbe tout en s'essuyant le visage « Il faut toujours qu'elle fasse les choses dans l'exagération, c'est fou », malgré ce qu'il laissait transparaitre je savais qu'au fond de lui mon père était attendri.

Nous avions embarqué en voiture mon père, mon frère en tant que copilote et moi excitée comme une puce sur la banquette arrière. Heureusement que la ceinture entravait mes mouvements si ça ne tenait qu'à moi je me serai déjà faufilée entre les deux sièges pour être aux premières loges et veillé aux grains.

« Papa qu'est-ce que tu fais, ce n'est pas le chemin pour aller au club d'art martiaux. Il fallait tourner au coin après la pharmacie, m'écriais-je »

Il me jeta un regard depuis le rétroviseur et riva de nouveau son regard sur la route. Toujours sans rien dire il pointa une main vers le tableau de bord. Je n'étais pas plus avancée, devant mon regard interloqué, Faycal me précisa :

« pas remarqué, on va à Illzach, ça fait dix minutes qu'on essaye de régler le GPS

— Parce qu'on suit le GPS maintenant ? C'est comme ça qu'on a failli rater notre bateau cet été.

— Cette fois-ci on va le suivre, enfin si ça veut bien marcher, ajouta-t-il agacé devant l'écran qui s'était figé sans parvenir à nous indiquer l'itinéraire.

— Mais on va faire quoi à Illzach ? Je suis perdue

— Nous aussi on est perdu marmonna Faycal ce qui ne l'empêcha pas de recevoir un regard noir de la part de mon père

— On est en route pour t'inscrire à l'olympique Illzach, c'est le plus gros club de la région. Ils sont spécialisés dans le taekwondo. Tu verras c'est le meilleur endroit pour t'entrainer, tu vas beaucoup t'améliorer. »

Mon père était l'éminence grise derrière mon succès. À l'écoute de mes ambitions, il avait choisi une structure à la hauteur de mes aspirations, l'olympique Illzach. Le nom évocateur du club me séduit d'emblée.

Arrivés devant le bâtiment après une demi-heure de route, encore nauséeuse du trajet en voiture, je contemplais la façade moderne du complexe sportif. Le dojang se dressait là devant nous, flambant neuf tandis que celui de mon grand-oncle passait pour une simple arrière-salle d'entrainement. Galant, mon frère me laissa l'honneur de pousser les lourdes portes du dojang. Un nouveau monde s'offrait à moi. Mon père semblait tendu, nous tenant fermement par l'épaule mon frère et moi dans un geste protecteur.

Le hall était un long couloir avec une enfilade de diverse coupe médaille diplôme et coupure de presse, des photos de groupes. J'eu instantanément l'envie d'en faire partie, de moi aussi laisser ma trace derrières ces vitrines. Un homme d'une trentaine d'année boule à zéro en dobok blanc, col et ceinture noir brodée à son nom, Sébastien Wagner accompagné de la mention troisième dan, une raquette à la main, c'était l'entraineur. Mon père se présenta et me désignat en posant sa main sur ma tête. Le visage de l'entraineur s'illumina et il m'accueillit par ces paroles « Je vous attendais, bienvenue dans notre maison ».

Je ne relevais pas bien trop concentrée sur la suite. L'entraineur me fit signe de rejoindre les autres élèves qui attendait patiemment le début de la séance, assis en tailleur sur le tatami. Je fis signe à Faysal de me suivre mais l'entraineur le stoppa net et l'entraina dans une salle attenante accompagné de mon père

J'avais été laissé aux soins de Ri-jin, l'assistante de l'entraineur qui avait la charge du groupe des benjamins et minimes. Les cheveux noir jais raides plaqué en une queue de cheval, la silhouette élancée, mais surtout triple championne et vice-championne des jeux Asiatiques en poids léger : la vitrine du club. Elle ne s'en ventait pas, sa modestie parlait pour elle ou plutôt la dizaine de coupure de presse et d'affiche placardé dans le hall.

La coach ne semblait absolument pas au courant de ma venue, encore moins m'attendre. Je pris donc l'initiative de me présenter. « Je m'appelle Leila, et un jour je participerai aux Jeux Olympiques », affirmai-je avec un grand sourire. Il fallait voir la réaction de l'entraîneuse et des autres élèves, ils ouvrirent de grand yeux ébahis. Elle éclata d'un rire franc et répliqua, « J'attends de voir ça ! ».

« Hunryeon sijak ! Le cours va commencer » Elle frappa dans ses mains, et la vingtaine d'élèves que nous étions s'aligna respectueusement en face d'elle. Je gagnais la dernière place de la file qui me revenait implicitement, sans rechigner. J'étais bien trop reconnaissante d'assister au cours pour me soucier de mon statut de novice. Je ne pus réprimer un sourire de pure joie. J'étais réellement dans un dojang dont les étagères croulaient de coupe et de médailles en tout genre, mon inscription en cours de signature dans le bureau d'à côté et moi m'échauffant au milieu d'une vingtaine de petits soldats blanc avec ma ceinture blanche qui jurait avec le col noir de mon dobok.

Je portais donc fièrement mon dobok qui semblait être unique en son genre au milieu de cette mer de doboks immaculés, achetés au magasin de sport de la zone commerciale de ma ville ou flanqués de trois bandes noires pour les plus fortunés. Pourtant, le modèle que je portais faisait fureur en Tunisie. Il avait un dos haut en couleur, brodé de hanja calligraphié, et un col noir, non homologué pour la petite ceinture blanche que j'étais.

Tout comme lors de mes séances en Tunisie, Ri-Jin nous plaça à la queue leu leu et à tour de rôle chacun frappait un coup dans le pao. La coach avait décidé de nous faire travailler notre dwitt tchagui. Quand certain était là à améliorer leur vitesse d'exécution ou leur force, je tentais tant bien que mal de viser ma cible. Tourner le dos au pao et balancer son pied en équilibre dans le vide à l'aveuglette marchait pas. Je comprenais désormais pourquoi mon père préférais le rétroviseur pour nous sermonner dans la voiture plutôt que de se faire un torticolis en tourant la tête vers nous. Après une dizaine de passage et créer autant d'embouteillage, Ri-jin mit fin au carnage en me demandant de tenir le pao. Je l'ai vécu comme une punition, c'était loin d'être le cas. Elle me tendit le pao qui était un carré en mousse recouvert de cuir. Il était encore neuf et peu souple fouettant le pied au moment de l'impact et boudinant le bras du porteur. Ri-jin me montra la manière correcte de le tenir en passant mon bras dans les sangles. Il me paraissait énorme, d'une taille démesurée comparé à mon buste. Il me montait jusqu'au menton et finissait au milieu de de ma cuisse, juste au-dessus du genou.

Un bouclier mais surtout une cible.

Un jeu un peu mesquin consistait à frapper le plus fort possible sur le pao. Afin de faire tomber l'autre en arrière avec le choc de l'impact. Je n'y échappais pas.

Olivia fut la tête de file elle ne se gênait pas pour mettre toute sa force. Au départ elle m'avait prise par surprise décidé à ne pas subir je gainais mon abdomen et m'enracinais bien dans le sol, je n'allais pas leur faire le plaisir de reculer devant la force de son impact.

Parmi vingtaine d'élève personne ne se ménageait. Au bout de la rotation j'étais lessivée et surement couvertes de quelques bleues à force de taper au même endroit, dix, vingt fois, cinquante fois, sans compter les ratés qui finissaient dans les cuisses.

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