Leila
Chez moi nous n'étions pas de grands sportifs et c'était peu dire... Notre marathon à nous, consistait plus à regarder la saison entière de notre animé favori avec en prime plateau télé et bonne dose de rigolade. Courir un footing dont la seule récompense serait de finir hors d'haleine, couvert de sueur et de courbatures. Très peu pour nous ! Quant aux exploits sportifs nous préférons les regarder tranquillement devant notre télé plutôt que d'y participer.
Pourtant les Jeux Olympiques, étaient un événement que l'on respectait et que l'on admirait. On vibrait d'émotion devant un cent mètre, on se découvre l'âme patriote à la vue d'une médaille d'or. Je tentais de reproduire les mouvements techniques des gymnastes que je voyais à la télé tout en écoutant d'une oreille attentive les pronostics et les commentaires sur les performances des joueurs fournis par mon père. Comme il se trompait rarement je buvais ses paroles.
Voilà quelques jours que les Jeux Olympiques avaient débuté, la soirée était déjà bien avancée. Toute la famille était déjà en train de dormir excepté mon père et moi, du haut de mes six fraichement acquis à retenir notre souffle devant l'épreuve phare des jeux, la finale du cent mètre. Une légère odeur de nouilles flottait encore dans l'air, seul témoin avec nos ventres bien remplis du festin aux saveurs asiatiques de ce soir-là. Mes parents avaient finalement accédé à ma demande après mes plus ou moins discrètes allusions pendant toute la durée des jeux olympiques... Je me sentais privilégiée, blottie contre le flanc de mon père dans la semi-obscurité du salon. C'était notre moment à nous. De temps en temps j'observais son profil seulement éclairé par la lumière bleutée du téléviseur, elle lui prêtait des ombres menaçantes qui déformait son visage mais sa paume rugueuse qui me caressait les cheveux, balayait cette étrange vision.
Je lui demandais soudain estimant que le silence de plus de cinq minutes avait assez duré :
« Papa les Jeux Olympiques sont bientôt finis, je vais devoir attendre encore longtemps les prochains ?
— Dans quatre ans, tu seras en fin de CM1 à ce moment-là.
— Mais c'est dans super longtemps, lui fis-je remarqué perspicacement, comment je vais faire pour attendre TOUT ce temps ? »
Je poussais un profond soupir, triste, et je levais mon regard vers le plafond tentant de, je ne sais pas, peut-être de lire entre les boursouflures du plafond à quoi pourrait ressembler ma vie dans quatre ans. Mais avant il me faudrait patienter encore tout ce temps, quatre rentrées, quatre anniversaires. Quatre ans me paraissaient une durée insurmontable. Je venais à peine de commencer l'école primaire et voilà qu'on me présentait un nouveau palier à atteindre : la fin de la primaire.
Cette année-là un nouveau sprinteur jamaïcain avait retenu l'attention de tous les journalistes et était vite devenu le chouchou du public avec son salut, « l'éclair ». D'ailleurs il ne manqua pas de jouer avec la caméra à l'appelle de son nom dans les starting-blocks en faisant une grimace qui me fit bien rire d'ailleurs. Une fois les sept participants qualifiés pour la finale présentée au public, ils prirent tous position dans les starting-blocks. J'étais vraiment étonnée par leur position, presque à plat ventre sur la piste rouge, un genou à terre tandis que leur autre jambe était pliée, leurs doigts joints effleurant la ligne blanche de départ. La course allait débuter d'un instant à l'autre. Le regard des sprinteurs était concentré, déterminé, ils fixaient tous le même point cent mètres plus loin, des années d'entrainement se jouaient là, en quelques foulées enjambés en moins de dix secondes. Spectateurs, sprinters, nous étions tous pendu aux lèvres du starter. Nous attendions qu'il annonce de sa voix puissante le départ imminent de la course.
« On your mark, les jambes élancés des sprinteurs se tendirent, ready ? Set ! »
Le signal de départ fut noyé par la clameur de la foule qui ovationnait les sprinteurs jaillissant des starting-blocks. Le commentateur était surexcité, il ne disposait que de quelques secondes pour commenter la course. Les sprinteurs qui s'étaient élancés tête baissée, s'étaient déjà relevés, balançant en cadence leur bras et leurs jambes dans un mouvement plein de puissance. Leur vitesse était telle que leurs dossards flottaient autour d'eux. Les distances entre les coureurs étaient si proches, qu'aucune tête de course ne se forma, jusqu'aux ultimes mètres où Usain Bolt, véritable éclair or et vert, les devança et se jeta le premier sur la ligne d'arrivée. Il se releva haletant, le corps en sueur, mais il trouva la force de faire son signe de la victoire, le sourire aux lèvres. Cette année-là, il réussit le doublé au cent mètre et au deux cent mètres en battant à chaque fois le record du monde. Il savourait sa victoire, la première d'une longue série.
Des étoiles pleins les yeux, je me tournais vers mon père et lui annonçais d'une voix résolue :
« Tu verras, un jour moi aussi je participerai aux Jeux Olympiques et j'aurai le même sourire qu'Usain Bolt.
Il eut un petit rire attendri et me fit une petite tape dans le dos.
— Si tu t'en donnes les moyens, je suis sûr que toi aussi un jour tu pourras afficher devant le monde entier ton fameux sourire banane. Comme ta mère dit toujours, tu iras loin Leila ».
L'été 2008 restera à jamais gravé dans mon esprit. Ce fut à ce moment-là que je m'étais dit « Je veux participer aux Jeux Olympiques ». C'est ainsi que j'avais décidé du haut de mes six ans que moi aussi un jour je me rendrai aux Jeux Olympiques. Qui sait peut-être rentrerais-je même médaillée ? Voilà dix ans que je poursuis ce rêve qui commence doucement à prendre réalité.
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