9 - En cavale
Le taxi s'arrêta à l'angle de la rue. Kyôko paya et descendit.
– Vous êtes sûre que vous ne voulez pas que je vous dépose ailleurs ? Lui demanda le chauffeur en se penchant à la fenêtre.
Il jeta un regard sur les bâtiments à l'abandon devant lesquels traînaient des sans abris et des drogués.
– Oui, il n'y a pas de soucis, le rassura Kyôko.
En réalité, elle n'était pas tranquille, mais elle ne pouvait rien y faire.
Le taxi repartit.
Elle rassembla son courage et se mit en marche.
Les nuages s'amoncelaient au-dessus du quartier d'Arakawa, l'un des arrondissements les plus pauvres de Tokyo. Il allait sûrement pleuvoir.
Il était plus de minuit quand elle entendit le moteur de sa moto.
Sortant du renfoncement sous lequel elle s'était abritée, Kyôko s'avança sur la route. Elle repoussa sa capuche et le phare de la moto la balaya tandis que la pluie lui cinglait le visage.
– Kyô... dit Shuji.
Il avait la voix lasse.
Kyôko enfonça ses mains dans ses poches, autant pour échapper au froid que se donner une contenance. Pendant ce qui lui parut une éternité, ils se regardèrent en silence. Puis Shuji tendit la main.
– Viens, reste pas là, dit-il, tu vas prendre froid.
Elle monta derrière lui et se serra contre son dos pour se réchauffer.
Ils n'allèrent pas loin. À cinq cents mètres de là, Shuji tourna dans une ruelle et il se gara sous un appentis délabré. Il l'aida à descendre et, sans un mot, il la précéda dans un ancien konbini.
Un rat détala lorsqu'il força la porte et Kyôko frissonna.
– J'ai des colocataires, tu vois, dit-il.
Elle ne répondit et regarda autour d'elle. Les produits avaient disparu des rayons, mais les étagères étaient toujours en place. Une épaisse couche de détritus couvrait le sol et l'odeur lui apprenait que l'endroit avait servi d'urinoir un certain nombre de fois.
Shuji se dirigea vers le fond du magasin où il s'était aménagé un espace. Il s'assit sur un vieux matelas qui avait dû appartenir à un sans abri.
Kyôko s'approcha. Elle s'accroupit devant lui et posa les coudes sur ses genoux, le menton sur le dos de ses mains. Elle le regarda.
Shuji lui demanda :
– C'est quelle partie de oublie-moi que t'as pas compris Kyô ?
Elle sourit. Après un instant, elle reprit.
– Comment tu vas ?
– Comme tu vois c'est la grande forme. J'ai emménagé dans un palace et les voisins sont sympas.
Il avait les traits tirés et les yeux injectés de sang remarqua-t-elle. Il avait maigri aussi. Ces dernières semaines avaient été difficiles.
Shuji tourna la tête pour échapper à son regard. Il sortit les provisions qu'il avait rapportées dans un sac plastique.
– Comment tu m'as trouvé ? Lui demanda-t-il.
– Là, tout de suite, j'ai envie de te répondre à l'odeur, dit-elle en fronçant le nez.
Il ne releva pas.
– Désolée, dit-elle. Ça n'était pas drôle.
Elle s'assit à côté de lui et replia ses genoux contre sa poitrine.
– Tu tiens le coup ? Dit-elle.
Il mordit dans un onigiri et lui tendit le sac. Kyôko en prit un.
– Mouais, dit-il.
Ils mangèrent en silence. Kyôko reprit.
– Tu vas faire quoi maintenant ?
Shuji demeura si longtemps silencieux qu'elle crut qu'il ne répondrait pas.
– J'sais pas.
Il fit une boule avec l'emballage de son onigiri et il la balança dans le magasin. Puis il se laissa aller contre le mur derrière lui.
– Pourquoi t'es venue ? Lui demanda-t-il.
Elle termina de manger et elle s'appuya contre le mur à son tour.
– Tu devrais dormir avant, dit-elle. On en parlera plus tard.
Shuji la regarda.
Finalement il se pencha et posa la tête sur ses genoux.
Puis il ferma les yeux.
– Je reste réveillée, dit-elle. Dors tranquille.
Il demeura endormi presque une dizaine d'heures. Il était épuisé. Kyôko attendit son réveil sans bouger. De temps en temps, elle passait la main dans ses cheveux, mais il ne réagit pas.
La lumière de l'aube traversa lentement les planches qui condamnaient la vitrine du konbini tandis que le jour se levait et, dehors, les bruits de la ville enflèrent.
Vers onze heures, Shuji commença à remuer. Kyôko souleva sa tête et elle la déposa sur le matelas. Puis elle se leva pour se dégourdir les jambes.
– Kyô ? dit-il en se réveillant.
– Je suis là.
Il se redressa et s'assit.
– J'ai cru que j'avais rêvé, dit-il.
Elle le rejoignit et vint s'accroupir près de lui.
– Un beau rêve j'espère ? Dit-elle.
Il tendit la main vers le sac plastique et prit le dernier onigiri.
– On fait moitié-moitié ? Dit-il.
Kyôko secoua la tête.
– Vas-y, mange.
Tandis qu'il finissait son petit déjeuner, elle posa le menton sur ses bras et elle le regarda.
– Shuji... est-ce que tu me laisserais t'aider ? Demanda-t-elle.
Il leva les yeux, Kyôko ne l'avait jamais vu aussi vulnérable.
– C'est quoi ton plan ? Dit-il.
– D'abord, te mettre en sûreté, répondit-elle. Puis te remettre sur pied.
– Et tes vieux ?
– Je m'en suis occupée, dit-elle.
Il hésita, puis il hocha la tête.
– Ok... dit-il.
Kyôko soupira, soulagée.
– Du coup, on fait quoi ? Reprit-il.
Elle se rassit à côté de lui.
– On attend ce soir. On partira en début de soirée. J'ai trouvé une cachette dans l'arrière pays, on y sera tranquille quelque temps.
– En début de soirée ? C'est pas un peu risqué ?
– Au contraire, dit Kyôko, au milieu de la cohue des employés qui quittent leurs bureaux, on passera inaperçus, surtout en moto.
Elle se pencha et posa la tête sur son épaule.
– Je suis désolée de t'avoir laissé te débrouiller seul tout ce temps, dit-elle. j'aurais dû te venir en aide plus tôt.
– Tu n'y es pour rien, dit-il. C'est moi qui ait merdé. J'ai fait le con et voilà le résultat.
Kyôko hésita.
– Tu veux en parler ? Demanda-t-elle. De Kisaki je veux dire ?
Il réfléchit.
– Non, dit-il après un instant. Il est mort, c'est terminé. Il n'y a plus rien à en dire.
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