7 - Kisaki Tetta
Installée sur le canapé du salon, Kyôko se vernissait les ongles des pieds devant un film, tandis que son père sommeillait dans le fauteuil voisin.
– Tu vas tout manquer, lui fit-elle remarquer.
Le docteur Shinomiya entrouvrit un œil.
– Tu as raison, dit-il en se redressant.
Il se tourna vers la télévision, mais bientôt, il recommença à s'assoupir et Kyôko sourit. Il était rentré plus tôt pour une fois, et c'était lui qui avait proposé une soirée film entre père et fille. Ce genre de distractions était devenu rare depuis que la mère de Kyôko avait abandonné son travail d'avocate pour se lancer dans l'humanitaire quelques années plus tôt. Les Shinomiya ne manquaient pas d'argent, mais les revenus des heures supplémentaires du docteur étaient les bienvenus.
Le téléphone de Kyôko posé sur la table basse sonna et elle y jeta un coup d'œil, avant de revenir à sa tâche.
– Ton téléphone sonne Kyô-chan, dit son père.
– Ça n'est rien d'urgent, dit-elle sans lever les yeux.
Il soupira.
– Tu as bien de la chance. Ça n'est pas moi qui pourrait me permettre d'ignorer un appel.
Kyôko sourit.
– C'est ça d'être un médecin de renom, dit-elle.
– Un médecin de renom qui s'est échappé et qui fait l'école buissonnière aujourd'hui, pouffa-t-il comme un gamin.
Kyôko sourit. Toutes ces années passées en tête-à-tête avec son père avaient développé leur complicité et ils n'avaient plus besoin de mots pour se comprendre.
Vingt minutes plus tard, son père dormait à poings fermés et Kyôko mit le film en pause avant de se lever, son téléphone à la main.
Elle sortit dans la cour pavée à l'arrière de la maison et ferma la baie vitrée derrière elle.
– Oui ? Dit-elle simplement après avoir recomposé le numéro qui l'avait appelé.
– J'ai les infos pour Nakaba, dit une voix d'homme.
– Je vous écoute.
– C'est le Moebius. Un gang de bōsōzoku de Shinjuku. Il existe depuis plusieurs années, mais dernièrement il a pris de l'influence, surtout grâce à toute une série d'actions violentes contre les familles et les proches de leurs adversaires.
– Je vois, reprit Kyôko.
Elle réfléchit.
– Et lui ? Demanda-t-elle.
– On dirait justement qu'il est derrière tout cela, dit l'homme.
Kyôko soupira.
– Ses motivations ?
– J'ai trouvé plusieurs infos. Certaines sont contradictoires. Je vous transmets le tout.
– Par le moyen habituel ?
– Oui. Et concernant ma prime ?
– Elle vous sera versée sous quarante-huit heures.
– C'est parfait. Bonne soirée.
L'homme raccrocha sans attendre de réponse et Kyôko demeura longuement dans la cour à contempler l'écran de son téléphone.
– Shuji, souffla-t-elle. Dans quoi t'es-tu fourré ?
Elle rangea son téléphone et rentra sans faire de bruit. Son père dormait toujours. Elle le couvrit avec le plaid du salon et éteignit la télévision.
Puis elle monta dans sa chambre.
Son ordinateur bourdonna lorsqu'elle le ralluma. Elle saisit son mot de passe et mit ses lunettes. Sur l'écran une photo représentait la personne qui était au cœur de ses investigations actuelles.
Kisaki Tetta. Le nouvel acolyte de Shuji.
Voilà plusieurs semaines que ce dernier le suivait partout et accomplissait toutes les tâches que Kisaki voulait lui confier.
Kyôko connaissait assez Shuji pour savoir qu'il s'amusait certainement comme un petit fou, comme lui-même l'aurait dit.
En soi, cela ne posait pas de problème, ça n'était pas la première fois que Shuji se dénichait un comparse pour se distraire.
Ce qui gênait Kyôko, c'était ce que trahissaient les actes de Kisaki. Ce garçon paraissait calme et posé, mais toutes ses décisions prouvaient au contraire qu'il était fou à lier et, pire encore, qu'il était intelligent. Une combinaison dangereuse.
Kyôko voulait connaître ses motivations. Elle aurait mis sa main au feu que son but n'avait rien de rationnel.
L'email contenant les informations qu'elle attendait lui parvint et elle l'ouvrit.
Après avoir parcouru les documents qu'il contenait, elle éteignit son ordinateur, retira ses lunettes et fronça les sourcils. La situation était plus grave qu'elle le pensait.
Plus tard dans la soirée, elle s'habilla et sortit.
Shuji n'habitait plus au bout de la rue. Lorsque son père avait perdu son travail quelques années auparavant, tous les deux avaient déménagé dans un appartement d'une banlieue plus éloignée où les loyers étaient moins élevés.
La pluie se mit à tomber, Kyôko rabattit la capuche de son sweat sur sa tête et elle se mit en route. En train, elle n'en aurait que pour vingt minutes de trajet. Il y avait peu de chances que Shuji soit chez lui à cette heure, mais il lui avait donné une clé et comme son père travaillait de nuit, tous les deux se retrouvaient parfois chez lui.
Le petit lotissement était plongé dans l'ombre. Kyôko ne croisa presque personne dans la rue. Seuls des employés aux faibles revenus vivaient ici et, à cette heure, tout le monde dormait. Ou travaillait. Kyôko grimpa les marches de l'escalier extérieur qui menait aux appartements et elle introduisit la clé dans la serrure de celui qui se trouvait à l'extrémité de la coursive.
Elle soupira en entrant. On voyait au premier coup d'œil qu'il n'y avait que deux hommes qui vivaient ici, les femmes et les hommes n'avaient pas les mêmes priorités en ce qui concernait leur intérieur. Du linge séchait dans un coin de la pièce et de la vaisselle attendait dans l'évier. Des vêtements étaient pliés, maladroitement, et posés sur les tatamis du salon. Ils n'avaient jamais atteint les placards et ne les atteindraient certainement jamais.
Kyôko gagna la chambre de Shuji et elle s'installa pour l'attendre. Autant en profiter pour se reposer un petit peu.
Il était plus d'une heure du matin lorsqu'elle entendit la clé tourner dans la serrure. Shuji entra et elle se redressa dans la pénombre.
Il sursauta.
– Kyô ? Putain tu m'as fait peur...
Elle s'approcha et posa la main sur son visage. Il s'était battu, cela n'avait rien d'étonnant, Shuji se battait tout le temps. Ce qui était plus surprenant, c'était ses blessures. Qui avait été capable de le mettre dans cet état ?
Elle sortit et revint, la trousse à pharmacie entre les mains.
– Viens là, dit-elle avec un sourire, j'ai envie de jouer au docteur.
Assis torse nu sur le bord de son lit, Shuji se laissa faire docilement. Kyôko nettoya une à une ses plaies et elle pansa les plus graves.
Quand elle eut fini, il la prit par la taille et la posa à califourchon sur ses genoux.
– Oh ? Dit-elle. Tu as encore assez de force pour ça ?
Son sourire s'agrandit.
– Toujours ! Répondit-il.
Il posa ses lèvres sur les siennes et Kyôko lui rendit son baiser, son visage en coupe entre ses mains. Lorsqu'ils se séparèrent, elle lui demanda.
– Qui est-ce qui a réussi à te mettre dans cet état ?
– Un petit bâtard avec un high kick de fou, dit Shuji.
Un high kick de fou. Le cerveau de Kyôko tourna à toute allure.
– Mikey ? Dit-elle.
Shuji était surpris.
– Tu sais toujours tout sur tout toi, lui dit-il. Ouais, Ce petit bâtard-là. Le Moebius s'est tapé contre le Tokyo Manji ce soir.
– Hmm.
Kyôko voyait sans mal pourquoi Kisaki avait organisé l'affrontement. La question était : est-ce qu'il était arrivé à ses fins ?
– Et alors ? Dit-elle. Qui a gagné ?
– Depuis quand tu t'intéresses aux histoires de gangs ? Demanda Shuji en glissant les mains sous ses vêtements.
– Tout ce qui te concerne m'intéresse, répondit-elle en l'embrassant.
Shuji l'attira plus près de lui.
– En fait, dit Shuji, Kisaki s'en foutait de gagner ou perdre. Mais je crois que les choses se sont pas passées comme il le voulait. Il était furax.
Il a donc échoué cette fois, se dit Kyôko, et il va passer à la vitesse supérieure.
Shuji enfouit son visage dans son cou et son haleine brûlante fit battre le cœur de Kyôko à toute allure. Elle passa les mains dans ses cheveux encore humides.
– Mais il a dit, reprit Shuji, que c'était que partie remise. J'ai hâte de voir le plan de dingue qu'il va préparer maintenant.
Kyôko sourit. Elle lui aurait bien dit de se méfier, mais Shuji ne l'aurait pas écoutée. Ça n'avait aucune importance. Et puis ça n'était pas ainsi qu'ils fonctionnaient tous les deux. Chacun protégeait l'autre, ils n'avaient pas besoin de le dire.
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