58 - Larmes
Le moindre mot maladroit pouvait lui coûter la vie, elle le savait. À genoux par terre, les poings serrés sur les cuisses, Kyôko continua à fixer la marque noire sur le sol.
– Je n'ai fait qu'obéir à tes ordres, boss, souffla-t-elle.
Elle avait le cœur qui battait à tout rompre, comme s'il voulait jaillir de sa poitrine.
– Hmm ? Dit Mikey.
– Garder un œil sur eux et m'assurer qu'ils vont bien, dit-elle. Ce sont tes mots.
– Est-ce que tu me prends pour un imbécile Kyô ?
Kyôko déglutit.
– Non, boss.
Elle baissa la tête et inspira.
– Si je me suis trompée, dit-elle. Tue-moi. Tu n'as pas à t'encombrer de personnes inutiles.
Les secondes défilèrent, interminables. Puis Mikey rengaina son arme.
– Rentrons, dit-il.
Il se leva et Kyôko lui emboîta le pas avec difficulté tant ses jambes tremblaient encore.
En bas, Sanzu les rejoignit.
– J'ai vu Hanagaki sortir, dit-il. C'est bon t'as fini Boss ?
Il remarqua alors la présence de Kyôko derrière lui.
– Kyô-chan ? Dit-il. Qu'est-ce que tu fous là ?
– On rentre, dit Mikey en se dirigeant vers la voiture garée à l'arrière du bâtiment.
Il ouvrit la portière à Kyôko et elle s'installa à l'arrière de la Mercedes de Sanzu en silence. Mikey la rejoignit et Sanzu prit la route sans un mot.
De temps en temps, il les regardait dans le rétroviseur, mais il se garda bien d'intervenir. Même lui s'était aperçu de la tension qui régnait.
Kyôko savait qu'elle n'était pas tirée d'affaires. Sans doute l'intérêt qu'elle représentait pour le Bonten était revenu à l'esprit de Mikey, mais ça n'était pas ça qui la sauverait s'il décidait de la tuer.
Encore maintenant, elle ne comprenait pas pourquoi elle s'était jetée en avant pour saisir la main du boss. Elle avait pourtant bien décidé de ne pas intervenir. Hanagaki mort, toute cette histoire de voyage dans le temps prenait fin et personne ne pourrait plus toucher à ce qu'elle avait construit. Alors pourquoi avait-elle bougé ?
Parvenus dans le parking souterrain de la Nihonbashi Mitsui Tower, Mikey lui ouvrit de nouveau la portière.
– Suis-moi Kyô, dit-il simplement.
Il se dirigea vers les cabines d'ascenseurs sans s'assurer qu'elle était derrière lui et Sanzu les regarda s'éloigner en silence, les bras posés sur le haut de la portière.
– Qu'est-ce que t'as foutu Kyô-chan ? Murmura-t-il une fois qu'ils furent loin.
Mikey la conduisit dans la suite présidentielle qu'il occupait. Là, il alla se servir un verre, laissant Kyôko debout devant la porte.
Le silence s'éternisa pendant plusieurs minutes.
– Tu es consciente de ce que tu as fait Kyô ? Lui demanda-t-il enfin.
– Oui, boss.
Mikey finit son verre et il le posa sur le bar. Puis il la rejoignit, les mains dans les poches.
Elle avait toujours été plus grande que lui, pourtant, en cet instant, Kyôko se sentait écrasée par sa présence au point d'en avoir du mal à respirer.
– Qu'est-ce que je devrais faire selon toi ? Reprit-il.
– Je ne sais pas, boss.
Elle n'osait toujours pas lever la tête. Finalement, Mikey s'éloigna.
– Viens, dit-il.
Il se dirigea vers sa chambre et ajouta :
– Assis-toi.
Kyôko s'assit sur le bord du lit, les épaules nouées. À sa grande surprise, Mikey la rejoignit et posa sa tête sur ses genoux comme il l'avait fait autrefois.
– Boss... souffla-t-elle.
Il ne dit pas un mot et Kyôko de son côté n'osait pas bouger.
– Pourquoi tu as fait ça ? Lui demanda-t-il un instant plus tard.
– Je ne sais pas, répondit-elle.
C'était la vérité. Elle ne savait toujours pas pourquoi elle l'avait empêché de tirer. C'était comme si quelqu'un s'était emparé de son corps pendant une minute.
Elle sentit ses bras se couler autour de sa taille et Mikey enfouit son visage contre son ventre. Un instant plus tard, il murmura :
– C'était Takemicchou, n'est-ce pas ? Dit-il. Est-ce que... est-ce que je lui ai fait du mal ?
La peur et la tristesse qu'elle perçut dans sa voix la fit frissonner. Kyôko pinça les lèvres.
– Non, dit-elle la gorge serrée. Il va bien.
Les bras de Mikey se refermèrent sur sa taille.
– Merci, Kyô.
Pour la première fois depuis longtemps, Kyôko dut retenir ses larmes.
Elle tendit la main et se mit à lui caresser les cheveux sans rien dire.
Mikey...
– Continue de les protéger pour moi Kyô, dit-il. Continue à les protéger de moi.
Durant une seconde, Kyôko demeura silencieuse.
Puis elle se pencha pour le prendre dans ses bras.
– D'accord Mikey, dit-elle. D'accord. Je continuerai à prendre soin d'eux. Je te le promets.
Elle se demanda confusément ce que cette promesse allait lui coûter, mais chassa rapidement cette pensée.
Peu importe, se dit-elle. Je ferai ce qu'il faut pour la respecter.
Kyôko songea fugacement qu'elle avait changé ces dernières années. Autrefois, l'idée de prendre un tel risque pour quelqu'un d'autre qu'elle-même ne l'aurait jamais effleurée.
C'est lui qui m'a changée, se dit-elle en regardant Mikey toujours recroquevillé contre elle.
Puis elle se corrigea.
Non, pas lui. Le gamin qu'il était et qui est toujours là. Prisonnier. Pour toujours.
– Il ne leur arrivera rien Mikey, répéta-t-elle. Je t'en fais la promesse.
Je ne sais pas encore comment, ajouta-t-elle pour elle-même, mais je trouverai le moyen.
La nuit était tombée au dehors. Par la baie vitrée, Kyôko pouvait voir les lumières de Tokyo qui scintillaient. Mikey s'était endormi, la tête dans le creux de son cou et ses bras autour d'elle et, machinalement, elle continuait à caresser ses cheveux.
Continue de les protéger pour moi.
Kyôko, elle, ne dormait pas.
Elle réfléchissait au meilleur moyen de tenir sa promesse et de la concilier avec ses plans.
Hanagaki était en vie et, à présent, elle devait intégrer ce paramètre dans ses projets.
Même si elle avait du mal à l'admettre, Kyôko ne regrettait pas de l'avoir sauvé.
C'est ainsi... peu importe les difficultés, je trouverai comment les surmonter.
Toutefois elle devait admettre que cela lui compliquait singulièrement la tâche.
Les mains de Mikey se resserrèrent sur sa taille. Il était réveillé comprit-elle.
– Kyô, souffla-t-il contre son cou. Tue-moi.
Ces deux mots la firent frémir.
– Non, répondit-elle.
Elle le serra plus fort contre elle, comme s'il risquait de se briser en morceaux si elle le lâchait.
– Pourquoi ? Dit-il.
Le silence plana un instant dans la chambre.
– Je ne sais pas, dit-elle enfin.
C'était la vérité. Elle ignorait pourquoi elle en était incapable.
Peut-être... de la pitié.
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