4 - Collaboration
Kyôko commença à collecter les informations. Tous les moyens étaient bons pour cela, vols, mensonges, espionnages... mais ce qu'elle préférait, c'était jouer de son apparente ingénuité. Détourner une conversation anodine pour apprendre ce qu'elle voulait savoir sans que son interlocuteur ne doute un instant de sa bonne foi était devenu son passe-temps favori.
Elle apprit ainsi quand la plupart de ses camarades touchaient leur argent de poche et combien leurs parents leur donnaient, mais aussi les mille petits secrets qui font la vie des enfants, qui aimait qui, qui s'était déclaré à qui, qui avait falsifié une de ses notes pour ne pas se faire gronder à la maison... aucune information ne lui semblait inintéressante.
Rapidement, ce qui la passionna plus encore que la collecte, ce fut l'utilisation des informations qu'elle avait rassemblées.
La première fois qu'elle fit usage de ce qu'elle avait appris, ce fut un accident. Peu avant le festival sportif de l'école, elle avait découvert que la somme que ses parents donnait à Gin Fumihiko, un des ses camarades de classe, avait brusquement doublé. Une discussion entre deux élèves lui en avait appris la raison.
– Il paraît que son père a une « maîtresse », avait dit l'un. Gin les a vus ensemble !
Kyôko n'avait pas idée de ce qu'était une « maîtresse », mais elle avait compris que si le père de Gin était prêt à débourser autant après avoir été surpris par son fils, l'information valait de l'or. Gin avait alors une petite amie dans la classe voisine, Miko, et tous les deux flirtaient comme des enfants. Le jour du festival qui opposait les classes, les amoureux s'étaient forcément retrouvés dans des équipes adverses et, chevaleresque, Gin avait laissé Miko gagner la course déguisée.
Kyôko était alors dans le public pour les encourager, aux côtés de ses camarades et de parents d'élèves. Sa mère s'était installée plus loin, sur une nappe de pique-nique qu'elle avait étendue sur l'herbe.
– Quel dommage ! S'était exclamée une maman. Il aurait pu gagner ce petit !
– Il l'a laissé gagner ! Avait protesté son fils. Je l'ai bien vu !
– L'amour rend bêta parfois, avait répondu une autre maman en souriant.
– Tel père, tel fils, avait murmuré Kyôko, les bras posés sur la barrière qui entourait le terrain, le menton sur les mains.
Les autres mamans s'étaient regardées. Les escapades du père de Gin étaient connues, mais, jusqu'à présent, la rumeur n'était pas parvenue aux oreilles de sa femme. C'était chose faite : la mère de Gin se tenait derrière elle.
Une semaine plus tard, Gin déménagea avec sa mère et ses parents entamèrent une procédure de divorce.
Après cet épisode, Kyôko réfléchit au pouvoir des informations qu'elle détenait. Elle sentit toute la puissance qu'elle pouvait en tirer. Elle décida d'apprendre à les utiliser et la première leçon qu'elle s'imposa c'est de ne plus agir à découvert pour ne plus prendre le risque d'être démasquée.
Elle passait aussi beaucoup de temps avec Shuji. Loin de lui paraître effrayant comme aux autres, Kyôko voyait en lui une personne à son image. En sa compagnie, elle s'autorisait à être elle-même. Grâce aux renseignements qu'elle avait rassemblés, Shuji leur obtenait tout ce dont ils avaient envie, argent, jouets, objets... rien n'était hors de leur portée.
Kyôko l'accompagnait généralement dans ses expéditions, pourtant, aucune de leurs victimes ne se serait jamais doutée du rôle qu'elle jouait dans leur sort. Pour tous, elle restait la fillette qui s'était amourachée d'un mauvais garçon.
Cela changea lors de leur passage dans la classe supérieure.
Ce soir-là, la police vint sonner à la porte des Shinomiya. Kyôko était alors seule avec sa mère. Ce fut Inari qui alla ouvrir. Kyôko, qui était restée dans le salon, tendit l'oreille pour savoir qui était le visiteur. Finalement, elle décida de rejoindre sa mère dans l'entrée.
– Vous êtes sûre qu'elle n'a jamais eu de problème ? Demanda l'un des deux agents en uniforme.
Sa mère semblait soucieuse.
– Pas à ma connaissance, non, dit-elle.
Elle baissa les yeux vers Kyôko.
– Mais on ne peut jamais être sûre, ajouta-t-elle.
– Que se passe-t-il maman ? Demanda Kyôko.
Inari hésita, puis elle s'accroupit pour se mettre au niveau de sa fille.
– Il semblerait que l'un de tes petits camarades, dit-elle, vole de l'argent aux autres enfants.
Kyôko la regarda avec innocence.
– Vraiment ? Dit-elle. Qui cela ?
Ce fut le policier qui lui répondit.
– Un dénommé Hanma Shuji, dit-il. Un des enfants est venu porter plainte avec son père cet après-midi. Apparemment le jeune Hanma lui a extorqué environ mille cinq cents yens mardi dernier, en sortant de l'école.
– Mardi ? Répéta Kyôko.
Elle se tourna vers sa mère.
– Maman, mardi c'est impossible, j'aidais Shuji à réviser son vocabulaire de japonais.
Inari était sous le choc.
– Tu connais ce garçon ?
– Oui, dit Kyôko. Je lui ai dit que j'allais l'aider quand j'ai vu qu'il avait des difficultés en classe. Tu sais, il vit seul avec son père dans la maison au bout de la rue. Ils n'ont pas beaucoup d'argent et les autres enfants se moquent de lui à cause de cela.
Elle ajouta :
– C'est toi qui m'a toujours dit qu'il fallait venir en aide aux plus démunis que soi.
Sa mère ouvrit des yeux étonnés. Puis elle prit sa fille dans ses bras.
– Oui, tu as raison ma chérie.
Elle se releva.
– Si ma fille le dit, reprit-elle à l'intention des policiers, je la crois. Vous êtes sûr qu'il n'y a pas d'erreur ? Il s'agit bien de ce garçon ?
Les policiers hésitèrent. Ils se consultèrent du regard.
– Évidemment une erreur est toujours possible... dit le plus âgé.
– Le jeune Mashiro semblait pourtant sûr de lui, rappela son collègue.
Kyôko détourna la tête en se mordillant nerveusement l'ongle du pouce. Sa mère la vit.
– Qu'y a-t-il Kyôko ? Demanda-t-elle. Tu peux parler, vas-y, tu ne risques rien.
– Mashiro... Akira Mashiro ? Dit Kyôko.
Le policier âgé consulta son bloc-notes.
– C'est cela, tu le connais ?
Kyôko se mordilla l'ongle de plus belle. Elle se tourna vers sa mère qui se pencha à nouveau à ses côtés.
– Maman, dit la fillette, tu dis toujours qu'il ne faut pas dire du mal des gens...
– C'est vrai, dit sa mère.
– Mais si cette personne a fait quelque chose de mal, est-ce qu'on doit le garder pour soi ?
– Tu sais quelque chose Kyôko ?
Kyôko hésita.
– Akira, dit-elle, a cassé la console de jeu de Ryo la semaine dernière. Ses amis et lui lui avaient donné rendez-vous derrière l'école pour le frapper. Et Shuji les a surpris.
Elle poursuivit avec réticence.
– J'ai entendu Akira quand il a dit à Shuji que s'il en parlait à qui que ce soit, il dirait à la police qu'il lui avait volé de l'argent. Il l'a traité de « sale pauvre ». Shuji m'a dit de ne pas en parler, mais maman, j'ai eu raison de le dire n'est-ce pas ? Je n'ai rien fait de mal ?
Kyôko semblait vraiment inquiète. Sa mère lui caressa la tête.
– Non, ma chérie, tu n'as rien fait de mal, rassure-toi.
Kyôko avait transgressé sa règle numéro un, mais elle n'avait pas eu le choix. Si elle avait attendu, la situation aurait dégénéré.
Son intervention eut tout de même un résultat positif. En effet, l'histoire qui courut chez les adultes, n'avait rien à voir avec celle que les enfants se rapportaient et deux choses devinrent évidentes à leurs yeux. La première, Shinomiya n'était pas qu'une jolie poupée amoureuse d'un mauvais garçon, et la seconde, il ne fallait pas toucher à Shuji Hanma.
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