3 - Rencontre

Kyôko Shinomiya 8 ans.


Les employés de la société de déménagement finissaient de décharger les cartons. Ils les répartissaient dans la maison sous les ordres de la mère de Kyôko. Le docteur Shinomiya n'était pas là, il était allé prendre son poste dans le nouvel hôpital où il avait été engagé. C'était une opportunité pour la famille Shinomiya, ce nouveau travail apportait une respectabilité importante au couple. Kyôko avait entendu ses parents en parler à de nombreuses reprises, le prestige, le pouvoir, mais par-dessus tout la respectabilité étaient au centre de leurs existences. Ils feraient tout pour y accéder. Inari, la mère de Kyôko, était une jeune avocate en pleine ascension. Elle avait attiré l'attention du public en défendant bénévolement des personnes qui n'avaient plus rien. Un journal l'avait même surnommée la Madone des pauvres lorsqu'elle avait remporté un procès opposant un ancien employé à une grosse compagnie qui l'avait injustement accusé de vol et licencié.

À côté de sa mère, sur le pas de la porte, Kyôko regardait défiler les hommes en blouses bleues. Une femme replète et au visage souriant s'avança sur l'allée de la maison.

– Bonjour, je suis votre voisine, dit-elle. Je suis venue vous souhaiter la bienvenue... mais je crois que je tombe mal.

Elle s'écarta pour laisser passer un des déménageurs. La mère de Kyôko la rejoignit.

– Absolument pas ! Dit-elle. C'est si gentil à vous de venir nous accueillir ! Emménager dans une nouvelle ville est tellement stressant !

Inari Shinomiya avait ce talent de parvenir, en quelques phrases, à donner à son interlocuteur le sentiment d'être important.

– Je vous comprends ! Répondit la voisine. Ne vous en faites pas, je suis là si vous avez besoin de quoi que ce soit !

Kyôko tira sur la manche de sa mère, les yeux levés vers elle.

– Maman, je peux aller jouer s'il te plaît ?

Toutes ces histoires d'adultes ne l'intéressaient pas. Inari hésita. La voisine la rassura.

– Vous n'avez pas d'inquiétude à avoir, dit-elle. Le quartier est très sûr. Il y a un petit parc à un pâté de maisons où les enfants vont jouer. Il n'y a jamais eu de problème.

– Très bien, vas-y Kyôko, dit sa mère, mais soit de retour avant la tombée de la nuit.

Kyôko promit et elle s'éloigna en sautillant.

– Quelle adorable petite fille, dit la voisine, et si polie ! Vous l'avez bien élevée !

Comme toute mère, Inari rougit sous le compliment fait à sa fille plus qu'elle l'aurait fait si il lui avait été adressé.




Kyôko parcourut la rue, en regardant à gauche et à droite. Les maisons, semblables à la leur, s'alignaient avec leurs allées rectilignes impeccablement balayées. Quelques ménagères en tabliers s'affairaient, mais elles ne jetèrent qu'il coup d'œil à la fillette en robe soignée qui trahissait la petite fille de bonne famille.

Kyôko ignora le parc dont parlait la voisine et elle se dirigea vers les petites rues qui menaient, plus loin, en ville et au quartier commerçant. Des bruits attirèrent son attention. Elle rejoignit un terrain vague où se dressait une maison il y a encore peu de temps et où un panneau annonçait la construction prochaine d'un immeuble de bureaux. Au fond, un jeune garçon qui devait avoir son âge frappait un autre enfant tout en le maintenant au sol. Kyôko s'approcha et elle s'accroupit. Elle regarda le visage ensanglanté de la victime.

– Tu fais quoi ? Demanda-t-elle.

Le garçon leva les yeux.

– Tu vois bien, dit-il, je lui casse la gueule.

Kyôko soupira.

– Je le vois, dit-elle, je ne suis pas stupide. Mais pourquoi ?

– Sa tronche me revenait pas, répondit le gamin.

– Ça risque de ne pas l'arranger.

L'autre regarda sa victime. Il rit et le lâcha.

– T'as raison.

Il se redressa et Kyôko l'imita. Un instant le garçon demeura interdit. Elle était presque aussi grande que lui.

– Comment tu t'appelles ? Demanda-t-elle.

– Hanma, Shuji Hanma.

– Kyôko Shinomiya, répondit-elle. Tu habites dans le coin ?

– Ouais, la dernière maison, au bout de la rue, lui dit-il en désignant le quartier d'où elle venait.

– Moi aussi, dit-elle simplement.

Elle regarda autour d'elle le terrain vague jonché de mégots et de bouteilles de bières. Le garçon commença à s'éloigner.

– Où tu vas ? Lui demanda-t-elle.

Il se retourna.

– Juste traîner dans le coin.

– Je peux venir avec toi ?

Il fut surpris.

– Si tu veux.




Kyôko fut de retour à la tombée de la nuit. Sa mère, occupée à défaire les cartons, avait préparé un rapide en-cas que la fillette engloutit.

– Tu t'es bien amusée ma chérie ? Lui demanda Inari en passant.

Sa mère avait la tête ailleurs, Kyôko opina.

– Oui, dit-elle. Je me suis fait un ami.

– C'est très bien, répondit Inari qui n'écoutait qu'à moitié.

Kyôko repensa à l'après-midi qu'elle avait passée en compagnie de Shuji. Il lui avait montré les endroits où il traînait habituellement, comme il disait lui-même. Les ruelles, qui formaient l'envers du décor de la ville, étaient mille fois plus intéressantes que la rue où ils vivaient. On y trouvait tout un monde avec ses propres règles et ses propres dirigeants, la respectabilité n'y avait pas cours et seule la loi du plus fort y régnait. Kyôko était fascinée. Les jours suivants, elle continua à suivre Shuji dans ses pérégrinations.

Le garçon avec qui il s'était battu le jour de son arrivée n'était qu'un parmi tant d'autres, découvrit-elle. Peu importe la raison, Shuji aimait se battre et il se battait bien, la plupart des enfants de leur âge ne faisaient pas le poids, et certains plus âgés avaient mordu la poussière face à lui.

Un jour qu'il tabassait un élève de leur école pour le dépouiller de son argent de poche, Kyôko intervint.

– Tu n'en tireras rien, dit-elle. Il a tout dépensé samedi en jeux vidéo avec ses amis.

Shuji la regarda, intrigué. Il relâcha le garçon qui ne le se fit pas dire deux fois et disparut en courant.

– Par contre, reprit Kyôko en regardant s'enfuir la cible de Shuji, Makoto Tamashiro a fêté son anniversaire la semaine dernière. Sa grand-mère lui a donné cinq mille yens et il les garde pour s'acheter une console.

– Comment tu sais ça ? Demanda Shuji.

Kyôko leva les yeux, une expression innocente sur le visage.

– Je suis dans sa classe, dit-elle.

Shuji sourit.

– Je prends l'info, dit-il. Et si tu en as d'autres, je prends aussi.

– D'accord, mais je veux venir avec toi.

– Ça marche, dit Shuji. On fait cinquante-cinquante ?

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