27 - Menace
Dans la voiture, sur le chemin du retour, Kyôko réfléchissait.
Les réponses de l'entrepreneur avaient éclairé certains points, mais elles avaient fait remonter à la surface un autre problème qui la taraudait depuis un moment. Kyôko avait beau retourner les faits dans sa tête, elle en arrivait toujours à la même conclusion, elle ne pourrait pas se taire beaucoup plus longtemps.
– À quoi tu penses mon chou ? Lui demanda Sanzu.
Elle tourna les yeux vers lui et contempla son profil éclairé par les lampadaires qui défilaient au bord de l'autoroute.
– Je réfléchissais à ce que nous a appris l'homme de tout à l'heure, dit-elle.
– J'imagine que les noms qu'il nous a donnés te parlent plus à toi qu'à moi.
Kyôko sourit. Sanzu était le partenaire idéal pour ce genre de tâches. Il ne se posait pas de questions et prenait simplement plaisir à tourmenter sa victime.
– Tu sais qui est-ce qui participe à la réunion de demain ? Lui demanda-t-elle en ramenant les yeux sur la route.
Sanzu haussa un sourcil.
– Tout le monde je crois, dit-il. Waka m'a dit que Benkei et Take étaient rentrés. Mikey voudra sûrement faire le point avec eux.
Au sein du Bonten, Takeomi et Benkei étaient chargés des revenus issus du racket et de l'immobilier. Dans ce domaine, le clan faisait le plus souvent office d'usurier. Il prêtait des sommes à des taux exorbitants, généralement à des entreprises situées dans un quartier qui les intéressait, plus rarement à des particuliers, puis lorsque ces derniers ne pouvaient plus les rembourser, le Bonten s'accaparait leur patrimoine ou leurs revenus, voire les deux. Il leur suffisait ensuite de laisser les compagnies en place pour contrôler le secteur et profiter en plus de couvertures parfaites pour toutes sortes de trafics. Dernièrement, Takeomi et Benkei s'étaient rendus à Kyôto pour tâcher d'étendre leur influence dans le Kansai. Évidemment, cela signifiait marcher sur les plates-bandes du Yamaguchi-Gumi qui régnait dans la région, mais le Bonten était devenu suffisamment puissant ces dernières années pour pouvoir courir ce genre de risques.
– Je vois, dit simplement Kyôko.
Tant qu'à jouer, se dit-elle, autant jouer avec tous les pions sur l'échiquier.
Kyôko regagna sa suite dès qu'ils furent de retour à l'hôtel.
– Tu veux que je viennes te tenir compagnie ? Lui demanda Sanzu une fois devant la porte.
– Pas ce soir, dit-elle. Je vais prendre une douche et me remettre au travail. Il y a encore des choses que je veux vérifier avant la réunion de demain.
Il lui glissa un bras autour de la taille et embrassa le coin de ses lèvres.
– Appelle-moi si tu te sens seule.
Shuji n'était pas rentrée remarqua Kyôko en entrant.
Elle retira ses vêtements et les sema en chemin pour la salle de bain.
Puis elle prit une douche brûlante pour se réveiller. Elle aurait aimé prendre un bain, mais elle préféra y renoncer pour le moment.
Peut-être tout à l'heure, se dit-elle, si les nouvelles sont bonnes.
Aussitôt changée, elle regagna son bureau et l'aube commençait à poindre derrière la baie vitrée quand elle s'y installa.
Il était presque dix heures lorsque Shuji entra sans frapper.
– J'étais sûr que je te trouverai ici, dit-il.
Il alla s'asseoir sur le canapé et desserra sa cravate.
Kyôko reposa sa tasse de café pour le rejoindre.
– Tu viens de rentrer ? Dit-elle en s'asseyant à côté de lui.
Elle posa la tête sur son épaule et retira ses chaussures du bout des pieds.
– Ouais, c'était trois fois, dit-il. Une bande de petits malfrats qui se la jouaient gros durs. On n'a presque rien eu à faire. Kaku a juste montré sa tronche et ils ont fait dans leurs frocs.
– C'est vrai qu'il impressionne au premier abord, reconnut Kyôko.
– Tu viens te coucher ou tu bosses encore ?
Kyôko s'étira.
– Je viens me coucher, dit-elle. Je n'ai rien trouvé d'intéressant. Je crois que je me suis fait des films.
Son téléphone vibra et Kyôko le sortit de sa poche pour consulter la notification.
Elle fronça les sourcils.
– Tu pars devant ? Dit-elle finalement à Shuji. Une dernière bricole à vérifier et je te rejoins.
– Ça marche, dit-il en se levant. Traîne pas ou je viens te chercher !
Lorsqu'il fut sorti, Kyôko composa un numéro de téléphone.
Elle attendit, mais personne ne répondit et l'appel bascula sur la messagerie. Elle raccrocha sans parvenir à museler son inquiétude.
Ça ne veut sûrement rien dire, songea-t-elle, mais mieux vaut ne pas prendre de risques.
La réunion du lendemain réunissait tous les cadres du Bonten.
Il était rare que tous se trouvent au quartier général en même temps. Le plus souvent un ou deux étaient de sortie et les informations leurs étaient rapportées plus tard.
Ce soir-là, Takeomi, Benkei et Ran firent leur rapport sur les dernières missions qu'ils avaient menées.
– Je pense que notre expansion ne posera pas de problèmes, annonça Takeomi. Le Yamaguchi-Gumi se replie de plus en plus depuis la scission avec la faction d'Osaka.
– Profitons-en pour les bouffer ! S'exclama Sanzu.
Il attendait ça depuis des années. L'idée d'écraser un clan yakuza qui avait plusieurs décennies faisait bouillir son sang.
– Mieux vaut être sûr de nous si nous nous lançons là-dedans, dit Kakucho. Le Yamaguchi-Gumi, ça n'est pas n'importe quel clan.
Mikey se tourna vers Kyôko.
– Tu penses qu'ils vont régler leurs problèmes internes rapidement ?
Kyôko secoua la tête.
– Il y a peu de chances, dit-elle. En fait, je pense même que leur situation va encore se dégrader.
– J'aime les nouvelles comme ça Kyô-chan ! Dit Sanzu.
– Et du côté des entreprises de la région ? Demanda Koko. Comment prendraient-ils une transition ?
– La plupart demandent juste à être protéger, déclara Benkei. Le plus fort leur convient.
– À condition de ne pas augmenter les prix, fit remarquer Wakasa.
– Nous avons tout intérêt à ne pas les contrarier, dit Ran. Au moins tant que nous ne serons pas fermement implantés dans la région.
– Et de ton côté ? Reprit Mikey. L'histoire avec le banquier est réglée ?
– Oui, pas de problème, répondit Ran. Avec Waka et Koko on a fait le nécessaire pour reprendre son business. Ça devrait nous rapporter pas mal de fric.
– En fait, intervint Kyôko, il y a un problème.
– Lequel ? Demanda Mikey.
– La personne qui a aidé le banquier à se cacher est l'oncle de l'un des adjoints du Sumiyoshi Kai.
Koko laissa échapper un sifflement et les autres froncèrent les sourcils.
– Tu veux dire, reprit Takeomi, que les yakuzas se sont mêlés de nos affaires ?
Jusqu'à ce jour, les deux organisations criminelles s'étaient évitées par un accord tacite. L'équilibre venait apparemment d'être rompu.
– J'en ai peur, répondit Kyôko.
– Est-ce que nous avons les moyens de l'emporter sur eux ? Demanda Mochi. Le Sumiyoshi Kai ça n'est pas le Yamaguchi-Gumi.
– En plus, dit Waka, ils opèrent dans le Kanto, tôt ou tard nous nous serions retrouvés face à eux.
– Il n'y a pas à hésiter, dit Sanzu. Ils nous cherchent, on leur explose la gueule ! Voilà tout !
– C'est vrai que c'est tentant, reconnut Shuji.
– Je pense que c'est une mauvaise idée, dit Kyôko.
Tous les regards se tournèrent vers elle.
– Tu veux qu'on laisse passer la provocation ? Lui demanda Mikey. De quel côté es-tu ?
Le silence dans la pièce devint pesant.
– Le Sumiyoshi Kai, reprit Kyôko, tient les régions du Chubu et du Tohoku...
– Ce sont des trous perdus, lui fit remarquer Rindô. Qu'est-ce qu'on en a à foutre ?
– Ce sont peut-être des trous perdus, dit-elle. Mais j'ai eu la confirmation que toutes les deux sont actuellement dans le viseur des Triades chinoises.
(NDA : Les Triades sont les organisations criminelles chinoises)
Elle se tut pour leur laisser le temps de digérer la nouvelle et poursuivit.
– Si nous détruisons le Sumiyoshi Kai, dit-elle, nous devons être sûrs de pouvoir assurer la protection de ces régions en lieu et place des yakuzas. Si nous ne le faisons pas, le Bonten sera responsable d'avoir ouvert la porte du Japon aux chinois.
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