12 - À la croisée des chemins

Durant l'heure qui suivit, Kyôko lui détailla les grandes lignes de son plan.

– Putain... Dit-il quand elle eut terminé. T'es sérieuse ?

– Très sérieuse.

Shuji demeura silencieux. Elle lui demanda.

– Alors ? Qu'est-ce que tu en penses ? On s'associe ?

Elle ramena les yeux sur la forêt à quelques pas de là, inquiète.

– J'ai atteint les limites de ce que je peux faire seule même si ça me fait mal de l'admettre, dit-elle. Sans toi, je peux faire une croix sur mes projets. On est à la croisée des chemins Shuji. À toi de décider.

Du coin de l'œil, elle le vit se passer une main sur le visage. Il souriait.

– T'es cinglée Kyô, dit-il, tu le sais ?

Elle sourit à son tour.

– Je sais.

Il éclata de rire et pendant un instant il ne put dire un mot. Puis il se ressaisit et répondit :

– Évidemment que j'en suis ! Putain, t'es encore plus cinglée que Kisaki !

Elle lui donna un coup de poing dans le bras. 

Shuji le sentit à peine, ce qui le fit rigoler deux fois plus.

– C'est quoi cette comparaison ? Râla-t-elle.

Lorsqu'il fut calmé, elle reprit.

– En route vers le sommet alors ?

Shuji passa ses bras autour d'elle.

– Ouais, répondit-il. En route vers le sommet. Toi et moi.




Ils quittèrent l'auberge deux jours plus tard pour retourner à Tokyo.

– Tu es sûre de pouvoir régler le problème avec les flics ? Lui avait-il demandé.

– Oui, avait-elle répondu, ce n'est pas la police qui m'inquiète le plus. Un peu d'argent suffit le plus souvent avec eux. Non, le vrai problème, c'est lui.

Shuji était resté silencieux. Il savait parfaitement qui était ce lui. Manjiro Sano. Alias Mikey.




Arrivés à la capitale, Kyôko le guida jusque dans le quartier de Akihabara, le temple de l'informatique. 

Elle lui ouvrit la porte d'un garage, à l'arrière d'un immeuble, et Shuji y rentra sa moto. 

Puis tous les deux gravirent les escaliers qui menaient aux bureaux situés dans les étages. 

Sur le troisième palier, Kyôko le conduisit vers la dernière porte, au fond du couloir.

Shuji découvrit un petit appartement composé d'une kitchenette, d'une salle de bain à l'européenne et d'une chambre qui faisait office de pièce principale et dont les fenêtres sans tain donnaient sur la rue principale et son activité bourdonnante.

– C'est chez toi ? Demanda-t-il.

– Oui et non, dit-elle en posant son sac dans un coin. L'appartement est au nom d'une connaissance, mais dans les faits il est à moi.

Shuji écarta les rideaux et regarda dehors tandis que Kyôko sortait quelques affaires de son sac. Elle avait troqué la valise qu'elle avait utilisée à l'auberge pour un sac à dos, plus commode en moto. Le plus important, comme son ordinateur, était déjà là, posé sur le bureau. 

Elle l'alluma et s'installa devant. 

Elle sortit ses lunettes de leur étui et leva les yeux vers Shuji.

– Ça te dérange si je vérifie deux ou trois petites choses ?

Shuji tira son paquet de cigarettes de sa poche, il en ficha une au coin de sa bouche et vint plier les bras sur son épaule.

– Montre-moi le petit génie en action, dit-il.

Kyôko sourit.

Quelques instants plus tard, il s'allongea sur le lit et il regarda la fumée de sa cigarette monter au plafond.

– Je peux te poser une question ? Dit-il.

– Bien sûr.

– T'as raconté quoi à tes vieux ?

Kyôko lui jeta un coup d'œil par-dessus son épaule.

– Que j'avais obtenu une place dans une université américaine, dit-elle. Pour eux, en ce moment je suis à Houston et je viens de m'installer sur le campus.

– Hmm.

Il réfléchit et reprit.

– Il se passera quoi quand ils s'apercevront que tu n'y es pas ?

– Ça n'arrivera pas avant six mois, dit-elle, j'ai engagé une doublure convaincante. Elle est chargée de prendre leurs coups de fil. D'ici la fin de son contrat, nous aurons terminé ce que nous avons à faire.

Shuji se releva et il revint se planter derrière elle. 

Il regarda l'écran de l'ordinateur sans comprendre grand-chose à ce qu'il voyait.

– Tu peux vraiment le retrouver ?

– À dire vrai, c'est déjà fait, répondit-elle.

Il ouvrit des yeux surpris et Kyôko reprit.

– J'avais chargé certains de mes informateurs de le suivre pendant que j'étais absente. Je ne voulais pas risquer de le perdre de vue.

Elle prit quelques notes sur une feuille de papier et ajouta :

– Lui et ses acolytes sont prudents, mais ils n'ont pas mon expérience. Ils commettent encore des erreurs grossières.

– Ses acolytes ? Répéta Shuji.

– Oui, il a fondé un nouveau gang juste après la dissolution du Tokyo Manji Kai. Le Kanto Manji Kai.

Shuji souffla en entendant le nom.

– C'est toujours pareil avec Mikey, dit-il.

– En fait, dit Kyôko, ça se rapproche plus d'une organisation criminelle cette fois.

Elle fit défiler quelques fenêtres à l'écran.

– Paris, jeux d'argent, extorsions... un peu de trafic d'armes aussi, dit-elle. Ils n'en sont qu'à leurs débuts. Mais si la police n'ouvre pas les yeux très vite, elle se retrouvera avec un nouveau clan mafieux sur les bras.

– Il y a un risque que les flics s'en mêlent ?

Kyôko sourit.

– Pas si j'ai mon mot à dire, dit-elle.

Shuji retourna sur le lit.

– Quand même, dit-il, je suis impressionné qu'il ait monté tout ça si vite après la fin du Toman.

– Il n'est pas tout seul, lui rappela Kyôko. S'il y a une chose que Manjiro Sano sait faire mieux que quiconque, c'est s'entourer des bonnes personnes.

– Ça et la baston, dit Shuji.

Il se pencha en avant et posa les coudes sur les genoux.

– Tu sais pourquoi il s'est pas rangé après la mort de Kisaki ? Dit-il. Je pensais qu'il laisserait tomber toutes ces histoires.

Kyôko fronça les sourcils. C'était le point qui la tracassait : pourquoi Mikey avait-il fondé le Kanto Manji Kai ? 

Kyôko avait anticipé la dissolution du Toman. Mikey ressemblait beaucoup à son frère et la première chose qu'avait fait Shinichiro Sano une fois au sommet, ça avait été de dissoudre le Black Dragon. Mais elle n'avait pas prévu la création d'un nouveau clan immédiatement derrière.

– Non, dit-elle. Il y a un paramètre qui me manque.

Cela ne lui arrivait pas souvent de reconnaître qu'une information lui échappait. Elle n'aimait pas cela. Shuji revint poser les bras sur ses épaules.

– Ça t'inquiète ? dit-il.

– Un peu, reconnut-elle. Je n'aime pas ne pas savoir où je mets les pieds.

Manipuler Mikey pour le placer à la tête d'une organisation criminelle et se servir de lui comme marchepied pour atteindre le sommet de la pègre c'était une chose, prendre le train en marche, c'en était une autre.

Shuji se pencha et murmura à son oreille.

– C'est pour cela que je suis là, non ?

Kyôko frissonna. Elle leva la tête et chercha ses lèvres.

– Tu as raison.

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