Joseph, L'innocent (part 2)
Le type n'a pas bougé durant tout ce laps de temps. Si c'est bien un être vivant. Plus il y réfléchissait, plus ça lui semblait évident. Il avait probablement regardé trop de films d'horreur pour en venir aussi vite à la conclusion que ce type était mort. Un zombie ou je ne sais quoi.
Sauf qu'il n'y avait pas de putain de cimetière aux alentours, c'est juste un vieux parc moisi. Si on fait dix pas, on va tomber sur une vieille pute en train de dandiner son cul pour appâter le chaland.
— Diable que tu es vulgaire ! Est-ce que tous les enfants aujourd'hui sont tous comme toi ? questionna la voix d'outre-tombe de l'inconnu.
Joseph en était convaincu, en entendant ce son spectral, que c'était un revenant, un vrai. Le plus étonnant était qu'il soit doté d'une voix. Il parlait comme le grand-père de Joseph. L'alarme pédophile retentit doublement. Ce genre de manière de parler, terriblement désuète, ça lui paraissait pas normal.
— Tu as un nom ? continua l'inconnu.
Tout le corps de Joseph se mit instantanément à trembler d'une manière aussi incontrôlable qu'inquiétante. Il n'avait jamais encore ressenti ça. La tétanie. Chacun de ses muscles se retrouvait en un quart de seconde immobilisé, comme noueux. C'était comme si une crampe s'était généralisée à tout son corps. Même ceux de son visage étaient figés.
— Tu as perdu ta langue ?
La main blême s'avança vers lui. Le monde entier ne se résumait plus qu'à ça, qu'à cette main horrible qui veut l'attraper et son corps incapable du moindre mouvement. Son cœur battait à s'en rompre.
Je vais mourir ce soir.
Cette pensée le traversa. Une part de lui acceptait l'inévitable conclusion de cette rencontre. Mais quand cette main aussi froide que la mort le toucha, alors la tétanie libéra sa bouche qui s'ouvrit toute grande. Il hurla sans pouvoir s'arrêter, sans en avoir l'envie non plus.
Le prêtre fronça les sourcils.
— Il ne faut pas faire ça, petit.
La seconde d'après son horrible main se plaquait sur les lèvres de Joseph. Ce dernier sentait les doigts immondes glisser entre ses lèvres, s'insinuer dans sa bouche. Il n'étouffait pas seulement ses cris, c'était comme s'il l'envahissait, comme s'il voulait rentrer à l'intérieur, le déchirer de part en part, se revêtir de lui.
Il est assez dingue pour faire ça.
Tentant de recracher les doigts inquisiteurs, il dût lutter contre l'irrépressible l'envie de vomir. Même en cet instant il ne pouvait cesser d'être le jeune homme poli qu'on avait fait de lui.
Il essayait de se remémorer ce qu'il avait pu lire sur les pédophiles, malheureusement il leur préférait des tueurs comme Henry Lee Lucas. Ses parents comme ses professeurs pensaient qu'il avait des goûts bizarres, mais aucun d'eux ne réalisait que c'était plus que de la curiosité morbide accentuée par l'adolescence. Il avait maintes fois songé à choper une arme et à la ramener en classe, cribler de balle cette salope de Grace qui avait refusé de sortir avec lui alors que c'était la fille la plus laide du collège. Naïvement, Joseph avait cru qu'elle serait suffisamment désespérée pour accepter. Seulement, il n'avait jamais eu le courage.
Dans la tête du type qui tentait d'enfoncer ses doigts dans sa gorge, il y avait déjà écrit le mot victime sur son front et peut-être aussi dans la sienne.
— Arrête de crier, d'accord ? Sois un gentil garçon et je serais gentil moi aussi.
Le cri dans sa gorge s'estompa, comme la pluie efface une peinture sur le sol, comme le temps fait disparaître les gens. Si quelqu'un devait venir le sauver, ce serait déjà fait. Il devait accepter l'inéluctable et ne pas se comporter comme la blonde à gros néné qui hurle dans les films d'horreur. De toute façon, il y passera. Mais l'idée d'entrainer avec lui dans la mort ses camarades ne lui aurait pas déplu.
La main du monstre blanc s'enleva de sa bouche à son grand soulagement.
— Bien, on dirait qu'on va pouvoir faire quelque chose toi finalement, fit le prédateur en caressant les boucles du garçon.
Tremblant, Joseph sentait que tout le sang contenu dans ses veines venait de quitter son visage. Il éprouvait un profond dégoût depuis que le goût ignoble de ces doigts crasseux avait envahi sa bouche. Il ignorait ce qu'il avait touché avant, peut-être de la terre, il y avait un goût métallique assez immonde.
S'il vomissait, que ferait l'homme ? Si c'était un homme.
— Je... il essayait de parler, et c'était aussi douloureux que pénible, sa gorge enflée refusait de laisser passer les sons produits douloureusement par ses cordes vocales, je pourrais... vous... tuer.
L'homme se mit alors à rire, un franc et généreux éclat de rire. Un rire épais et gras, pas le genre discret, pourtant personne ne vint. Pas que lorsqu'il avait hurlé. Personne n'entendait rien. Jamais. Les gens préféraient ignorer la victime plutôt que perdre une précieuse seconde. Il gémit de désespoir.
— Tu sais quoi Joseph ? J'aimerais bien que tu essaies. J'aimerais vraiment que tu le fasses.
Il agenouilla pour descendre à sa hauteur. Le prêtre avait le regard vitreux. Mais le pire c'était son odeur. Il schlinguait autant qu'un clochard. Joseph plissa le nez et détourna la tête, mais le vent semblait toujours lui ramener l'odeur.
Il allait vraiment vomir cette fois-ci.
— Moi c'est Dante, et toi ? demanda-t-il en tendant sa main cadavérique.
— Je... vous... tuer...
— Je sais et tu en auras l'occasion, crois-moi. Nous allons faire un bout de chemin ensemble. J'aimerais vraiment que tu le fasses, tu sais, ce n'est pas des blagues. Si tu as peur, fais-le. Mais sache-le, je ne te ferais pas de mal Joseph, tu peux t'enlever ces vilaines images que tu as dans la tête.
Comment sait-il ?
Et brusquement l'idée s'imposa dans sa tête. Le type savait parce qu'il lisait dans ses pensées. Cette pensée lui parut aussi absurde que celle du zombie échappé du cimetière du coin, pourtant, il n'arrivait à la chasser.
— Qu'est-ce que vous êtes ? Parvint-il à articuler à grande peine.
— Tu le sais non ? Ton instinct te l'a dit, mais tu n'as pas écouté. Tu n'écoutes jamais, pas vrai Joseph ?
Cette voix et cette intonation, on aurait cru entendre son père ! Cette voix paternaliste à souhait n'était-ce pas typiquement celle qu'aurait un pédophile qui tenterait de l'amadouer ?
— Joseph, tu regardes vraiment trop la télé. Je ne suis pas de ce type de monstre, je suis plus ancien, plus terrifiant aussi.
Il connaît mon prénom !
À mesure qu'il parlait, la peau du prêtre sembla se détériorer, comme si elle pourrissait sur place, il perçut en dessous la chair rouge, les globes oculaires ressortant, les dents et la mâchoire délestée des lèvres et de la chair putride de ses joues, comme un putain de zombie de film. Sauf que ce n'en était pas un, c'était plus vicieux que ça. Joseph remarqua d'abord la brillance des prunelles, surnaturelle, puis les canines, et enfin, il vit l'être devant lui se transformer en un loup noir, ça ne dura qu'une fraction de seconde, mais il était certain d'avoir bien vu la chose.
L'instant d'après le monstre était redevenu aussi frigide qu'avant, aussi peu sympathique, aussi dégoûtant. Son sourire paraissait carnassier lui évoquait celui d'un fauve plus que d'un homme. Joseph secoua la tête essayant de chasser cette image tout en étant convaincue qu'il était bien ce monstre surnaturel presque autant qu'il lisait ses pensées.
— Mais si... si vous êtes ce truc-là, pourquoi est-ce que vous... vous prenez cette apparence ?
Celle d'un clochard, pensa-t-il si fortement sans toutefois oser le dire à voix haute. Le penser suffisait, s'il était bien télépathe.
— L'image du dandy est un peu clichée non ? Et puis je n'aime pas les parfums.
Un mince sourire naquit sur ce visage et c'était plus monstrueux encore avec ce sourire.
— Pourquoi...
Moi, pourquoi s'attaquer à moi ? Joseph avait conscience d'une chose : il n'avait rien d'une jeune fille en fleur. Toute sa classe aimait à le lui rappeler, qu'il était loin d'être joli à regarder. Si la créature en face de lui était un monstre sorti tout droit d'un conte de fées, pourquoi ne pas s'attaquer à Grace ?
Ouais, pourquoi pas s'en prendre à elle ?
— Et pourquoi pas ? Je ne choisis jamais, je ne prévois rien, tu as juste croisé mon chemin, j'ai aimé tes pensées et je m'y suis accroché. J'ai envie de continuer à les entendre, mais il faut que tu aies moins peur, sinon ça ne marchera pas et je finirais par te tuer, tu comprends ?
Il y sera obligé.
C'est ce que Joseph réalisait, sans ne savoir pourquoi ni comment. Tout cela était irréel, pourtant il en était convaincu comme s'il avait toujours su que ce monstre-là existait, désormais ça semblait évident. Comme il semblait inéluctable qu'il soit là ce soir, que ça se passe comme ça.
Je dois juste l'accepter.
Pourquoi chercher à comprendre ? Pourquoi vouloir que les choses soient autrement ? Regretter sa vie merdique était une ineptie, regretter le futur qu'il aurait pu avoir tout autant, il savait très bien comment cela aurait fini, en commercial blasé à trente ans, usé par la vie à quarante, divorcé sans enfant à cinquante, plongeant dans l'alcool et la solitude pour le reste de son existence. Mais il y avait pire, finir comme tous les autres, fiers de leur vie merdique.
Dante, quel qu'il soit, lui offrait une alternative. Quelque chose de différent. Et même si la mort était au bout du chemin, ça valait le coup d'essayer. Tout le monde pouvait mourir, ça n'avait rien d'inédit ni de surprenant, tu traverses la route au mauvais moment et BAM ! tu prends le volant, t'as un peu bu, et BAM ! Y'a plein de manières d'en finir, celle-ci au moins a l'avantage d'être surprenante.
Suivre le monstre, ironique hein ?
Et pourquoi pas ?
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