Joseph, L'innocent (part 1)

Il est étonnant de constater que les enfants ont été particulièrement ciblés lors de la tragédie, à croire que pour nous ouvrir les yeux il fallait nous arracher les innocents.

« La Tragédie de Paris » de Raphaël Mancini.


Sous les guirlandes de lumière suspendue au-dessus des têtes blondes, la musique claire d'un violon pudique s'envolait dans les airs. C'était le bal d'Hiver et les enfants dansaient d'un pas parfaitement calculé qu'on leur avait appris dans leur école privée. C'était l'aboutissement de longues et pénibles heures d'apprentissage et un événement attendu par leurs parents. Ceux-là formaient la seule et unique société qui pouvait avoir une quelconque autorité sur eux.

Au milieu de ses camarades, Joseph tentait de rentrer ce ventre prédominant, ce double menton, en se tenant le plus droit possible, espérant correspondre à l'image d'Épinal qu'on attendait de lui. Durant le bal, les jeunes gens devaient démontrer leurs qualités et éventuellement trouver leur future fiancée. La coutume n'avait guère plus d'utilité pour ce qui était des mariages arrangés d'autrefois, pourtant chaque année des bals étaient organisés et gare à ceux qui ne s'y tenaient correctement. Une réputation défaite dans la haute société de Versailles était difficile à refaire.

Les familles riches ou l'étant été fonctionnaient encore comme s'il y avait une tête couronnée à tête du pays, certaines pensaient avec amertume et beaucoup de regrets à l'ancien temps, se plaignait de la fin des Empires et de la fâcheuse façon qu'avaient les présidents de gouverner, fort mal selon leur opinion, ce pays. Force est de constater que les chères têtes blondes sans en comprendre le pourquoi partageaient cependant l'avis de leurs aînés et se montraient parfois plus nostalgiques encore, alors qu'ils n'avaient jamais connu une véritable monarchie.

Convaincu de l'importance de leur lignage autant que de leur éducation, ils se voyaient eux-mêmes comme des princes destinés à faire de grandes choses, pourtant si leurs aïeux possédaient de larges usines et tout autant d'ouvriers à leur service, eux n'étaient promis à pas grand-chose hormis diriger l'actuelle entreprise familiale plus attachée à la cote en bourse qu'à la terre et au sang prétendu bleu coulant dans leurs veines.

Joseph Lefanu était de ceux-là. Enfant rondouillard aux boucles rousses en proie à l'anxiété. Âgé d'une douzaine d'années, il n'ignorait point les attentes de ses parents reposant sur ses larges épaules. Joseph portait qui plus est, un nom passé de mode, et avait quelques taches de rousseur qui irrémédiablement l'avait désigné comme la proie des railleries. Le gros rouge, c'était l'un de ses surnoms, le moins désagréable à entendre.

Noué d'angoisse, il observait l'assemblée avec une boule au ventre et des sueurs froides. L'envie de disparaître le saisit et son esprit chercha bien vite des solutions pour répondre à ce besoin vital. Le regard des dames dédiées à la surveillance ne semblait jamais tout à fait le quitter. Il songea qu'en gagnant les toilettes, il lui serait possible, avec un peu de chance, de s'éloigner des festivités et de ses camarades car enfin il redoutait avec la même force l'un et l'autre.

Il marcha d'un pas lent, la sueur dégoulinant le long de son dos. Il redoutait qu'une main se pose sur ses épaules mais personne ne l'arrêta. En dépit de quelques œillades pleines de moquerie lancées par ses camarades, il put gagner sans encombre les lieux convoités. S'arrêtant quand il fut à l'abri des regards indiscrets, il se mit en quête d'une voie de sortie et ne tarda guère à trouver l'objet de ses désirs. Un chemin menant droit à travers un bosquet et à des arbres situés par-delà le pavillon où se déroulait la petite sauterie. Il y avait là sans doute quelques espoirs de pouvoir se tapir à défaut de pouvoir réellement s'échapper.

Joseph était convaincu de la réussite de son plan, du moins dans la première partie. La seconde, plus complexe, allait exiger de la patience et surtout beaucoup de chance. Qu'on ne remarqua pas immédiatement sa disparition, qu'on ne chercha point à s'enquérir tout de suite, voilà donc ce qu'il souhaitait. Profiter d'une brève, mais bienfaisante accalmie.

Courant d'un pas léger dans le sous-bois, il poussa un soupir d'aise quand les végétaux refermèrent sur lui leurs bras lourds et pesants. Le jeune garçon eut l'impression d'être à l'abri. Ici, il n'y aurait pas ni reproches ni critiques acerbes, ici personne ne le scrutait comme s'il était une cible de choix.

Joseph se sentit si apaisé qu'il s'installa sur une branche basse et reposa sa tête contre le tronc. Il goûtait la volupté de ce moment de tranquillité et en vint à souhaiter que ses parents soient obligés de retourner à Toulouse, qu'il retrouve la douce tranquillité du sud. Ses souvenirs étaient aussi lointains que faussés par une mémoire trompeuse, lui donnant le sentiment que s'ils étaient restés là-bas, sa vie aurait été meilleure, différente.

Le cours de ses pensées se trouva interrompu par un bruit de feuillage qu'il distingua d'autant plus clairement qu'il était parfaitement immobile. Lentement, il observa autour de lui à la manière d'un animal se sentant pris au piège.

Sortant de la pénombre offerte par les végétaux, une silhouette sobrement vêtue de noir où la seule tache lumineuse était un col blanc signe de son statut. L'homme, car c'en était un, malgré l'emphase de sa bure, avait le teint blême. Pâle comme si la mort elle-même l'avait touchée et qu'il fut un fantôme. Des cheveux rouges frisottants encadraient un visage aux yeux verts perçants. Cette apparition arracha à Joseph un petit cri de surprise, presque un hoquet.

L'inconnu le dardait d'un œil avide et sa bouche rose s'orna d'un sourire étrange presque carnassier. Le frisson glacé pénétra la chair jusqu'à l'os. Joseph crut sa dernière heure arrivée et songea à ses parents, et même, à ses camarades dansants. Il comprit en un clin d'œil que cet être-là n'avait rien de l'homme d'Église dont il portait pourtant les habits.

Immédiatement, il pensa aux gros titres des journaux : UN PÉDOPHILE ENLÈVE UN ÉLÈVE DE VERSAILLES PENDANT LE BAL D'HIVER.

C'était idiot de sa part, de s'être isolé ainsi.

Joseph sentit l'angoisse lui nouer les entrailles. Jamais encore il n'avait été si terrifié de toute son existence. Pourtant étant donné sa corpulence et sa maladresse, il n'avait jamais été très apprécié des autres enfants. Son adolescence, il la passait tapi dans la peur d'être la victime du prochain bourreau qu'il croiserait et qui pour X ou Y raison déciderait de faire de sa vie un enfer, littéralement.

Il sentit un liquide chaud couler contre sa jambe. L'odeur lui confirma qu'il s'agissait bien de pisse.

Il aurait donné n'importe quoi, tous ses comics de Spiderman, tout l'argent de poche qu'il avait, et il était plutôt riche pour son âge, même ce disque dur qu'il planquait dans sa commode garnie de près de deux téra-octets de films pornos trouvés sur le net, pour que ses muscles daignent enfin lui obéir.

C'est stupide quand même, un corps humain. Ça vous lâche toujours au moment le moins opportun. Quand vous avez besoin d'être fort soudainement il n'y a plus rien, juste de la pisse tiède collant à votre peau et cette sensation particulièrement désagréable d'être aussi fragile qu'un objet en verre posé à côté de l'énorme pied d'un éléphant.

Son attirance pour des vidéos repoussantes pullulantes sur internet lui donnait une bonne idée de ce qu'il risquait de suivre. Un instant très déplaisant et une morte idiote qui ferait les gros titres. Malgré tout, il voulait savoir pourquoi son corps finirait découpé en morceau, exposé aux quatre vents ou bien abîmé par un long séjour dans l'eau de la Seine. Pourquoi moi ? Il avait envie de hurler, mais aucun mot ne franchit ses lèvres. Aucun son.

Joseph n'avait aucune envie de mourir !

Pas si jeune, pas maintenant !

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