Modulation en Mineur

Le jeune garçon ne se sent pas trop à l'aise dans cette maison où il est invité à l'improviste : premièrement, elle est bien plus grande que le petit appartement qu'il partage avec son père. Et deuxièmement, c'est la maison d'une fille, et il n'a jamais mis les pieds chez une fille.

Morgane passe justement la tête par la porte de la cuisine :

« Je viens de commander les pizzas, elles devraient arriver d'ici quinze minutes. Tu veux boire quelque chose en attendant ?

— Euh, de l'eau me suffira.

— Ça marche. Au fait, enlève tes chaussures, ma mère a gardé des habitudes du Japon. »

Morgane disparaît dans la cuisine aussi subitement qu'elle était apparue. Eliott quant à lui s'empresse d'ôter ses baskets et avance timidement, posant ses yeux sur tous les objets qui l'entourent : un cadre photo, un diplôme de musique, un trousseau de clefs, un vase, une commode moderne... Le jeune rouquin a vraiment l'impression d'être en trop dans cette maison bien propre, avec ses tâches de rousseur et ses cheveux couleur carotte.

Soudainement, un bruit de verre brisé s'échappe de la cuisine ; Eliott accourt dans la pièce :

« Ça va Morgane ?

— Oui oui, lui répond-elle distraitement en se penchant pour ramasser les dégâts.

— Laisse, je vais le faire, lui déclare Eliott.

— Je n'ai pas besoin d'aide ! »

La jeune fille se coupe alors à l'un des débris de verre. Son visage s'assombrit :

« Mince Morgane, tu vois, j'aurais mieux fait de t'aider ! panique Eliott.

— Laisse-moi tranquille ! hurle-t-elle. »

Ses épaules se mettent à tressauter et ses yeux à s'embuer. Elle fixe le sang qui perle au bout de son index invalide. Prise d'une rage folle, elle ferme les yeux et se met à crier à tue-tête en frappant son poing droit contre le sol encore parsemé de débris de verre :

« Inutile ! Je suis devenue inutile !

— Morgane arrête, arrête Morgane ! tente de la stopper Eliott. »

Il bascule sur elle, saisissant ses poignets afin qu'elle cesse de se faire du mal. Mais dans son élan, il chute en avant et s'enfonce un débris dans le genoux. Un petit cri d'agonie lui échappe et il s'assied à côté de la jeune fille pour admirer les dégâts :

« La vache ça fait mal ces trucs ! » s'exclame-t-il en retirant délicatement le verre de sa peau.

Morgane le fixe ; elle a cessé sa crise et se contente de renifler, les yeux encore humides. Elle ramène ses genoux contre sa poitrine et entoure ses jambes de ses bras, penaude :

« Je suis vraiment désolée Eliott, c'est de ma faute si tu...

— Chut, se contente de souffler le garçon. »

Le rouquin se lève et ramasse le verre brisé avant de le jeter dans la poubelle. Il demande ensuite à la jeune fille où se trouve sa salle de bain pour chercher de quoi les soigner, s'y rend et revient avec une bouteille d'alcool, du coton et des bandages dans les bras :

« Donne-moi ta main Morgane. »

La jeune fille s'exécute, toujours silencieuse. Eliott est si gentil à son égard alors qu'elle n'a jamais fait que lui parler avec dédain, mépris ou au mieux peu d'attention. Pourquoi est-il si serviable ? Serait-ce de la pitié ? Oui, Morgane en est convaincue : son camarade l'aide simplement parce qu'à présent elle est handicapée. Il va sûrement bien ricaner en rentrant chez lui : « Ah cette Morgane ! Maintenant elle ne pourra plus se moquer de mes cheveux roux, elle est infirme elle. C'est bien fait pour cette prétentieuse : on ne récolte que ce que l'on sème ! C'est à mon tour d'être le méchant maintenant ! ».

Les cheveux roux et bouclés d'Eliott forme une masse informe au-dessus de son visage pâle et constellé de tâches brunes. Son expression traduit la concentration qu'il emploie afin de soigner sa camarade. « En tout cas il cache bien son jeu. » songe Morgane. Trop bien même.

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