Chapitre 23
Chapitre 23
Les deux hommes laissèrent Gonzalo, Nanna, Luisa et la fête derrière eux, et rentrèrent à l'appartement de Franco. Salvatore était plus bouleversé que prévu. La tirade d'Abu l'avait émue. Il prit une douche rapide et alla retrouver le pirate dans le salon.
- Merci, El Kabar, pour ce que vous avez dit. Merci...infiniment.
- Gonzalo ne pensait pas ce qu'il disait, j'en suis sûr. Je suis désolé qu'il vous ait vomi dessus.
- Vous n'y êtes pour rien. Nous n'aurions jamais dû aller à cet anniversaire. Luisa me manipule depuis le début...j'ai cru qu'elle voulait m'aider...
- On trouvera une autre solution.
Le pirate sourit et tapota l'épaule de Salvatore.
- Vous êtes un homme super, et un papa super. Je voudrais être comme vous.
- Mais je vais échouer...maintenant, plus personne ne me respecte ici. Qui a du respect pour un chef qui se fait vomir dessus ? Astrid...je ne sais pas ce que je peux faire pour la sauver, à présent...excusez-moi, il faut que je sorte.
La nuit commençait à tomber. Salvatore se dirigea vers la porte sous le regard inquiet d'Abu. Gonzalo apparut, passa entre eux comme un fantôme et alla s'effondrer sur son matelas.
- Ne traînez pas trop longtemps dehors, conseilla Abu. Vous pourriez tomber sur Ugo.
Salvatore le rassura d'un geste, sortit et dévala les escaliers. Les derniers échos de la fête disparurent dans le silence de la nuit. Il marcha sans but, et finit par arriver sur un terrain de football en très mauvais état : des touffes de mauvaises herbes poussaient un peu partout et les cages tombaient en ruine. Néanmoins, plusieurs gamins y jouaient.
Salvatore s'assit sur le bord du terrain et retira sa veste. Un garçon s'arrêta face à lui, pencha la tête sur le côté, intrigué, et lui demanda :
- Tu vas bien ?
- Oui. J'espère que ça ne te dérange pas si je vous regarde jouer.
Le garçon jeta un coup d'œil à ses copains, qui haussèrent les épaules. Ils reprirent leur partie. Salvatore éprouva l'envie irrésistible de courir comme eux, de taper dans un ballon, de se défouler. Il voulait à tout prix évacuer cette impression d'être un vieillard. Il attendit la fin de la partie et se leva : le garçon le vit.
- Je peux jouer avec vous ?
- Euh, ouais. Mais des fois, c'est un peu violent. Tu es sûr de ne pas être trop vieux ?
- Quel âge me donnes-tu, gamin ?
- Je ne sais pas...cinquante ?
Rassuré, Salvatore sourit. Il faisait donc dix ans de moins que ses soixante-et-un ans.
- Comment t'appelles-tu ?
- Alessio, et toi ?
- Salvatore. Je vais te montrer ce que je sais faire avec un ballon !
Il s'élança sur le terrain. Malgré ses chaussures de ville et sa chemise, il se sentait à l'aise. Il courut, tacla avec précision, effectua plusieurs amortis, protesta contre les fautes de l'équipe adverse, tira et marqua un but, pendant une bonne heure. Les gamins et particulièrement Alessio parurent impressionnés. Mais Salvatore restait plus âgé qu'eux et dut s'asseoir pour souffler à la fin du premier match, où son équipe avait gagné trois-un. La sueur lui coulait dans le dos et sur le front, son cœur battait à toute vitesse et ses poumons souffraient le martyr. Néanmoins, il se sentait parfaitement bien.
- Alessio !
Cette voix familière le sortit de sa torpeur béate, lui vrillant les tympans.
- Qu'est-ce que tu fous ?
Ugo Di Pasquale venait de surgir de l'obscurité, et immédiatement, ses petits yeux noirs se fixèrent sur Salvatore.
- Qu'est-ce qu'il fiche ici, ce connard ?
- Il voulait juste jouer avec nous et...
Ugo attrapa Alessio par la capuche de son sweat-shirt.
- Tu rentres à la maison tout de suite ! Maman t'attend !
Le gamin se dégagea, salua ses copains et partit en courant. Avant qu'il n'ait pu réagir, Ugo attrapa Salvatore par les cheveux pour lui renverser la tête en arrière, et lui plaqua une lame sur la gorge.
- Qu'est-ce que tu voulais à mon frère ? Parle où je te tue !
- Je ne savais pas que c'était ton frère, soupira Salvatore.
- C'est ça ! Je vais te saigner !
- Ugo ?
Alessio venait de réapparaître, les yeux écarquillés, son ballon sous le bras.
- Tu vas le tuer ?
- Je t'ai dit de rentrer !
- Mais j'ai oublié mes clés...
La lame s'enfonça dans la peau, arrachant une grimace à Salvatore. Mais étrangement, il n'avait absolument pas peur. Ugo poussa un cri de rage et lui lâcha les cheveux.
- T'as de la chance que mon frère soit là...la prochaine fois que je te vois, je t'égorge, tu m'as compris ?
Ugo se redressa, envoya un dernier coup de poing dans la mâchoire de Salvatore et repartit avec son petit frère, qui se retourna discrètement. Salvatore ne put s'empêcher de lui sourire : après tout, Alessio lui avait sauvé la vie. L'enfant lui adressa un petit signe de la main qu'Ugo, heureusement, ne remarqua pas.
Massant sa mâchoire endolorie, Salvatore se releva et se dirigea vers l'immeuble et l'appartement de Franco. Il respira profondément. La nuit était belle.
***
Pendant que Leïla se trouvait à Lisbonne, Björn décida d'aller s'expliquer avec Damoclès Grave. Ce gourou ridicule (presque autant que Theodore) lui tapait tout particulièrement sur les nerfs, et surtout à cause du regard qu'il posait sur Leïla. Björn n'était pas du genre jaloux : il avait passé des semaines à vivre avec Astrid en sachant très bien qu'elle était encore amoureuse de Daniel. Mais là, si. Néanmoins, il était assez intelligent pour songer à ne pas l'attaquer frontalement. Il allait simplement essayer de l'amener à s'allier aux Golems, en lui faisant comprendre qu'il n'avait pas d'autre choix, et qu'il valait mieux qu'il oublie Leïla.
- Damoclès n'est pas disponible, annonça le Serviteur du Diable auquel Björn s'adressa.
- Et pourquoi ?
- Il prie.
- Je suis sûr que cela peut être remis à plus tard.
Les deux hommes se jaugèrent, et même si Björn n'était pas fondamentalement effrayant, le Serviteur du Diable céda. Il revint quelques minutes plus tard et lui fit signe d'entrer.
Damoclès, agenouillé devant une monstrueuse représentation de Lucifer, uniquement éclairé par des chandeliers, ne se retourna même pas en entendant Björn pénétrer dans la petite pièce. Celui-ci, exaspéré, alla lui donner une tape sur l'épaule.
- Je vous dérange, peut-être ? fit-il, ironique.
- Mais tout à fait, répliqua Damoclès. Dîtes ce que vous avez à dire, et vite.
Pour Björn, ce qu'il fallait vraiment faire était maintenant évident : pour le convaincre, il devait viser l'orgueil de ce fou furieux.
- Vous connaissez les Golems, n'est-ce pas ?
Damoclès ne répondit pas.
- Ils ne sont pas du genre commode. Auriez-vous peur d'eux ?
- Les Serviteurs du Diable n'ont peur de personne !
- Vraiment ? Et quand ils apprendront que vous ne voulez pas les rejoindre, que feront-ils, à votre avis ?
Là encore, Damoclès préféra se taire.
- Ils viendront ici. Ils détruiront vos idoles et le monastère tout entier, et vous avec. Alors, soyez pour une fois raisonnable...
Le gourou bondit sur ses pieds et repoussa violemment Björn.
- Jamais, vous m'entendez ! Nous ne rejoindrons jamais les Golems ! Je l'ai déjà dit et je le répète ! C'est un « non » définitif, vous comprenez ? Si vous êtes encore ici, c'est parce qu'elle me l'a demandé !
- Elle ?
- Celle que vous pensez vôtre, mais qui, j'en suis persuadé, ne vous aime et ne vous aimera jamais !
Cette tirade mit Björn en fureur.
- Que connaissez-vous à l'amour ? Et surtout que connaissez-vous de Leïla ?
- Sortez, monsieur ! Vous, ce rappeur idiot et cet imbécile de Theodore, vous n'êtes plus les bienvenus ici ! Ne revenez pas, où je verserai votre sang pour la gloire de Lucifer !
- C'est cela ! Moi, je ne crois pas que le Diable s'intéresse à des misérables comme vous !
Björn tourna brusquement les talons, et se dirigea vers la sortie. La voix de Damoclès s'éleva une dernière fois derrière lui :
- Acharnez-vous à vouloir la garder...et vous la perdrez !
Björn tira le vantail, le claqua de toutes ses forces et traversa le couloir, animé par une telle rage qu'il ne vit pas Theodore, collé au mur tout près de la porte, et qui avait tout entendu...
Leïla rentra de Lisbonne d'excellente humeur. Le simple fait de savoir que ses cicatrices pouvaient devenir « plus discrètes » la comblait. Elle avait tellement craint d'entendre qu'il n'y avait aucune solution ! Mais si. Leïla allait mieux. Elle était heureuse !
La jeune femme se trouvait dans un tel état de plénitude qu'en voyant le Serviteur du Diable qui l'attendait à l'entrée du tunnel, elle ne s'étonna pas. Elle le suivit presque joyeusement, impatiente de tout raconter à Björn.
Mais l'homme la conduisit tout droit dans une énième petite pièce (au monastère, elles se ressemblaient toutes) où se trouvait Damoclès, grand corbeau décharné à l'air furieux.
- Que se passe-t-il ? demanda négligemment Leïla.
- Durant votre absence, votre...compagnon m'a agressé !
- Agressé ? Comment ça ?
- Il est venu me voir, et m'a clairement fait comprendre que si je refusais votre offre, et celles des Golems par la même occasion, les Serviteurs du Diable seront mis à mort !
Oh, Björn. Pourquoi as-tu fait cela ?
- Je lui ai donc dis, poursuivit Damoclès, de partir d'ici, lui, Theodore et l'autre.
- Et moi ?
- Vous, vous restez ici. C'est votre place.
Il se glissa derrière la jeune femme, baissa doucement le voile qui couvrait ses cheveux, et en respira profondément le parfum. Leïla voulut bondir en avant pour lui échapper, mais il la maintint fermement contre lui.
- Arrêtez !
- J'ai bien compris que tu étais comme Lucifer, ma belle, que tu aimais la force et la violence...
La jeune femme rua, frappa, mais Damoclès avait réussi à glisser sa main sur son sein et ne bougeait pas.
- Je vais vous tuer ! rugit Leïla. Lâchez-moi !
Le gourou satanique eut un affreux petit rire, et la fit tomber sur le sol, avant de s'allonger sur elle de tout son poids. Il était plus fort et plus lourd que prévu. Leïla continua à se débattre sans grand résultat. Damoclès lui mordit la base du cou avec un râle satisfait. C'est alors qu'une voix familière, curieusement déformée par la colère, se fit entendre :
- Eh, toi ! Laisse-la tout de suite !
Une vigoureuse poigne souleva Damoclès, libérant Leïla qui se releva d'une torsion de reins. John envoya son poing dans le ventre du gourou et le secoua comme un prunier avant de le laisser s'écrouler sur le sol. Le rappeur agita un doigt rageur :
- Tu la touches plus, d'accord ? Elle veut pas de toi !
Damoclès se tortilla sur le sol, la main sur la poitrine pour reprendre sa respiration.
- Si tu recommences, je te fais bouffer tes cafards grillés par le...
- John, intervint Leïla. Allons-nous-en.
Elle prit avec autorité le bras du rappeur qui continuait à pester en anglais, et ils sortirent.
- Il t'a fait mal ?
- Non, ça va. Merci beaucoup, John.
- Pourtant, tu saignes, là.
Il indiqua le cou de la jeune femme.
- Ce n'est rien. Comment as-tu su ?
- Je t'ai entendu crier que tu voulais le tuer. J'ai cru que tu te disputais encore avec Theodore, alors je suis entré, et puis j'ai vu cette espèce de chauve-souris démoniaque, répugnante, et...
- Merci encore, le coupa Leïla. Mais John, promets-moi de ne pas en parler à Björn. Je ne veux pas qu'il gâche encore la dernière chance qu'il nous reste.
- Ok, je ne lui dirais rien, assura le rappeur.
Dix minutes plus tard, Björn était au courant.
- Il a quoi ? hurla-t-il face à un John tout aussi en colère.
- Il était sur elle, ce sale rat, je l'ai vu !
- Je vais le tuer, assura le Suédois en relevant ses manches. Immédiatement !
Il fonça vers la porte puis se reprit pour demander :
- Où est Leïla ?
- Elle voulait prendre une douche avant de te rejoindre...
Björn n'hésita que peu de temps : il finit par se convaincre qu'il valait mieux en effet intervenir maintenant, car Leïla l'empêcherait de s'en prendre à Damoclès. Mais le Suédois était trop en colère pour passer l'éponge. On ne touchait pas à ce qu'il aimait. On ne touchait pas à Leïla. Il imaginait parfaitement ce que Lars ferait à sa place, si quelqu'un s'en était pris à Astrid. Et Björn comptait bien faire exactement la même chose.
John lui indiqua la pièce où se trouvait le gourou. Le Suédois repoussa violemment le Serviteur du Diable qui gardait la porte et entra : Damoclès s'était redressé pour prier avec ferveur.
- Grave ! l'interpella Björn. Relève-toi !
Le gourou ne réagit pas.
- Je sais ce que tu as essayé de faire !
- Partez ! rugit Damoclès en se relevant brusquement. Partez, vous et votre put...
Björn ne lui laissa pas le temps de finir et lui assena son poing dans la figure. Puis, inspiré, il se saisit d'un chandelier tout proche et enflamma le bas du manteau de Damoclès qui poussa un hurlement de terreur.
- Je suppose que vous connaissez l'expression « brûler en Enfer » ?
Le Suédois ne comptait pas laisser le gourou brûler vif, mais lui faire peur et, par la même occasion, lui faire voir d'un peu plus près ces fameuses flammes qui dévoraient le territoire de son Lucifer adoré.
- À moi ! cria le gourou. À l'aide !
Quelqu'un entra brusquement et balança un seau d'eau sur le feu qui rongeait le tissu noir. Björn mit un certain temps à réaliser qu'il s'agissait de Leïla. La jeune femme reposa tranquillement le seau, et plongea ses yeux sombres et insondables dans ceux de Björn.
- Tu as tout gâché, soupira-t-elle.
- Ce type a essayé de...
- John a donc tout répété... je m'en doutais. Je lui avais pourtant dit de se taire.
- Tu voulais me cacher ça ? Leïla, mais que...
Elle leva un doigt, un seul, et le silence se fit. Même Damoclès arrêta de hurler.
- Nous n'avons plus qu'à expliquer à McRaven ce qui s'est passé, et prier pour qu'il ne nous le fasse pas payer. Viens, Björn. Partons...
- Et ne revenez pas ! rugit Damoclès. Si l'un d'entre vous repose un pied ici, où prononce simplement le nom de « Serviteurs du Diable », je le ferais empaler ou crucifier !
Björn et Leïla allèrent chercher Theodore et John pour leur annoncer que leur mission était terminée. Ils avaient échoué. La jeune femme lança un lourd regard de reproches au rappeur, qui baissa la tête. Theodore frottait sa barbe sans rien dire, l'air songeur.
- Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? demanda timidement Björn.
- Retournons à Lisbonne pour l'instant, répondit Theodore avec une soudaine autorité, que pour une fois, personne ne contesta...
Merci <3
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