Chapitre 16
Chapitre 16
Lars se sentait bizarre depuis quelques temps. En fait, depuis qu'il était de retour à la Villa. Voir Astrid tous les jours, sentir son odeur quand il montait à l'étage, la toucher parfois, sans pouvoir aller plus loin, lui mettait les nerfs à vif. D'autres fois encore, il était étrangement calme, et persuadé d'arriver à ses fins. Il pensait même qu'Astrid lui envoyait des signaux positifs.
Ce jour-là pourtant, elle ne l'avait pas regardé pendant le petit-déjeuner, et la frustration le consumait. Il fallait qu'il trouve quelque chose pour s'apaiser, pour ne pas partir en vrille.
Lars trouva la solution en regardant dans le jardin : Edna Conners, assise sur l'herbe contre un olivier survivant, fumait une cigarette. Il marcha droit vers elle.
- Vous pourriez m'en passer une ?
L'Américaine parut surprise mais lui tendit le paquet. Lars alluma précipitamment une cigarette et inspira profondément, avec un soupir de soulagement.
- Je ne savais pas que vous fumiez, lâcha-t-il en regardant le profil d'Edna.
- J'ai arrêté il y a vingt ans...mais j'ai trouvé ce paquet dans les affaires de McRaven.
- Vous fouillez dans ses affaires ?
- Il les laisse traîner dans ma chambre.
- Dans votre chambre ?
Elle ne répondit pas. Le coin de ses yeux bruns étaient un peu affaissé, et des signes de fatigue trahissaient son âge. Elle eut son étrange sourire habituel, bouche fermée.
- McRaven et vous...
- Plus lui que moi. Mais à mon âge, ça n'a plus d'importance, et j'ai connu pire. En revanche...
Edna s'arrêta pour tirer une bouffée, et Lars fit de même.
- En revanche, j'ai peur pour Astrid. Pour l'instant, McRaven la considère comme une gamine capricieuse, mais il peut changer d'avis.
- Il ne la touchera pas. Personne ne la touchera, ajouta Lars d'une voix plus basse.
- Tout cela...le Golems, les autres armées...ce n'est que le début d'un très gros problème. Vous devez la protéger.
- Comme si vous ne saviez pas...à quel point je l'aime. Je ne veux que sa sécurité et son bonheur.
Edna lissa une mèche châtain et Lars remarqua le réseau de veines sous la peau fine de sa main.
- Vous êtes son amie, tenta-t-il, vous pourriez peut-être lui dire que...je ne suis pas dangereux, que je sais me contrôler maintenant et que je ne lui ferais jamais de mal.
- Et Daniel ?
- Lui...ah, mais c'est pourtant évident qu'il n'est pas pour elle ! Pourquoi s'obstine-t-elle à le voir comme l'homme de sa vie ? Moi, je...
Il ne finit pas sa phrase : Edna le regarda puis se leva.
- Je vais vous laisser, Lars.
Elle fit quelques pas et se retourna avec un sourire triste.
- Soyez patient...
- Vous allez lui parler ?
- Je ne promets rien.
Edna rentra dans la Villa, jeta sa cigarette et monta les escaliers. Elle poussa la porte de la chambre d'Astrid et la trouva allongée sur le lit, en train d'écrire une lettre.
- Je réponds à Daniel, expliqua la jeune femme. Demain, je fais les courses et j'en profiterai pour la poster. Tu ne veux toujours pas en envoyer une à Madeleine ?
- Non...elle n'a sûrement pas besoin de m'entendre me plaindre ou raconter notre quotidien peu palpitant. Tu la connais, elle doit être d'une humeur terrible, avec Fiora qui lui tient tête...
- Oui, mais cela lui ferait plaisir, j'en suis sûre.
Edna s'assit sur la couette et regarda Astrid tracer des mots sur la feuille blanche.
- J'ai parlé avec Lars.
- Ah bon ? fit la jeune femme, distraite. De quoi ?
- De toi, évidemment. Astrid...je crois que tu devrais rendre les armes.
- Comment ça ?
- Il t'aime.
Astrid rougit si violemment que son visage la picota.
- Mais euh...moi, non !
- Si.
La jeune femme se redressa, les sourcils froncés.
- Ça ne te regarde pas ! Pourquoi personne ne croit en notre histoire, à Daniel et moi ? C'est énervant à la fin !
- Parce qu'elle est déjà morte depuis longtemps...pratiquement depuis le début. Tu as besoin d'un homme qui puisse te protéger, et particulièrement dans les temps à venir.
- Je sais me protéger toute seule ! Tu n'as pas à te mêler de ça ! Je vais épouser Daniel, et Lars se trouvera une autre fille à harceler !
- Astrid...
- Tais-toi et sors de ma chambre !
Edna obéit et la jeune femme resta seule. Elle retomba à plat ventre, le visage dans sa couette, et poussa un cri. Elle n'arrivait pas à définir le sentiment qui lui déchirait le crâne. Colère ? Frustration ? Douleur ? Il fallait qu'elle pense à autre chose, et vite. Repoussant la lettre pour Daniel, Astrid descendit au rez-de-chaussée et trouva McRaven, ruisselant de sueur, qui vidait une bouteille d'eau minérale.
- Qu'est-ce que tu fiches ici, toi ?
- Je suis venue voir d'où venait cette délicate odeur de phacochère.
- Ah, toi, tu ne risques pas de transpirer ! Tu ne fais pas de sport, tu es grosse !
- Je ne suis pas grosse !
McRaven eut un rire narquois et indiqua du menton le jardin et le parcours d'obstacles militaires qu'il avait installé avec ses hommes, au détriment des fleurs et de la pelouse.
- Montre-nous donc ce que tu sais faire, alors !
Astrid, échaudée par les paroles d'Edna et par la haine qu'elle vouait à McRaven, se sentit prête à battre le record du monde et se dirigea, tête haute, vers le jardin.
Elle réunit ses cheveux en queue de cheval et retira le pull qu'elle portait sur un débardeur. Sans réfléchir plus, elle se précipita sur le premier obstacle, une échelle de corde pendue à une structure de bois. Arrivée en haut, Astrid était déjà essoufflée, mais elle se sentait encore prête à tout affronter. La jeune femme entendit le rire moqueur de McRaven quand elle s'allongea à plat ventre pour se glisser sous les fils barbelés. Malheureusement, ses cheveux y restèrent accrochés.
- Astrid ! s'écria la voix de Lars. Qu'est-ce que tu fais ?
Il contempla avec horreur la jeune femme tirer douloureusement pour dégager ses cheveux. Une poignée s'arracha de son crâne et Astrid se remit debout, avec des larmes dans les yeux.
- Arrête et reviens tout de suite ! ordonna Lars en la voyant se diriger vers une palissade beaucoup trop haute.
Astrid avait déjà agrippé la première prise et poussait de toutes ses forces sur ses jambes pour atteindre la seconde. Elle tendit le bras, sauta, faillit tomber mais l'attrapa in extremis. McRaven hurlait de rire. Les muscles d'Astrid étaient brûlants et ses poumons réclamaient de l'air. Lars la vit agripper la troisième prise.
- Je t'en prie, murmura-t-il. Ne tombe pas.
Ce fut pourtant ce qui arriva : à la cinquième prise, la dernière, Astrid eut une crampe terrible qui la fit lâcher. La chute ne fut pas très longue, mais elle se réceptionna mal et sa cheville céda sous elle. La jeune femme voulut se relever mais la douleur lui arracha un cri. Lars se précipita sous les beuglements hilares de McRaven.
- C'est la cheville ? demanda-t-il en s'agenouillant devant Astrid.
- Oui.
Elle ne pleurait pas, mais se mordait les lèvres en grimaçant. Lars lui retira sa chaussure et établit rapidement son diagnostic : une vilaine entorse.
- Aide-moi à me relever, souffla-t-elle courageusement. Je veux continuer.
- Tu t'es foulée la cheville, Astrid. Tu ne feras pas un pas de plus.
- Mais McRaven...
- On se fiche de ce gros débile, d'accord ? Je vais te porter.
Il la souleva et traversa le jardin. En passant devant l'Américain, il lança :
- Je vais faire venir un médecin.
- Ah, ça non ! Personne ne viendra ici ! Elle n'a qu'à serrer les dents !
- Vous la fermez, McRaven ! Je vais appeler...
- Tarelli, murmura Astrid. Le docteur Tarelli.
- Il est digne de confiance, au moins, ce toubib ? demanda McRaven un peu plus tard.
Astrid avait été installée sur le canapé, et Lars s'était assis près d'elle. Il se retenait de lui caresser les cheveux ou le visage, de lui dire qu'elle était belle, forte et courageuse.
- Oui, il ne dira rien, affirma Astrid.
Le docteur Tarelli était le médecin officiel de la Villa et un grand habitué des blessures en tout genre de ses habitants. Il se présenta, vérifia la cheville d'Astrid et lui apposa de la glace avant de lui faire un bandage.
- Évite d'utiliser ta jambe pendant quelques temps. Prends des béquilles.
- C'est une entorse grave ? demanda Lars.
- Oui, plutôt. Si ça enfle encore, prévenez-moi. Si elle a mal, donnez-lui du paracétamol.
- Merci docteur.
Tarelli parti, Lars se précipita dans la salle de bain pour chercher de l'antidouleur. Il commit l'erreur de laisser Astrid seule avec McRaven quelques minutes :
- Le gros bébé joufflu a bobo à sa petite cheville ? Mais Wolfgang va s'occuper de cette jambe, hein, puis de ce qu'il y a sous la culotte...
Astrid releva son nez avec son doigt et imita plusieurs fois le bruit du cochon :
- Vous voyez, je parle votre langue couramment !
Lars revint et prit Astrid dans ses bras pour la remonter dans sa chambre. McRaven retourna embêter Edna dans la cuisine.
- Tu dois arrêter tes provocations avec McRaven, mais aussi de répondre aux siennes. On dirait des enfants de cinq ans. C'est ridicule ! Et regarde le résultat ! Une foutue entorse !
Furieux, Lars déposa Astrid sur le lit et remarqua que le bas de son pantalon était tâché de boue. Il entreprit de lui retirer mais elle le repoussa sèchement :
- Non mais ça ne va pas ? Je peux le faire moi-même !
- Avec ta cheville...
- Retourne-toi !
Lars s'exécuta. Il entendit la jeune femme souffler, pester, gémir, puis capituler :
- Bon, d'accord. Aide-moi.
Sans cacher son mécontentement, il saisit brusquement le vêtement et le tira jusqu'aux mollets, avant de le baisser plus doucement au niveau des chevilles. Il vérifia du coin de l'œil que la droite n'avait pas gonflé, puis se releva et jeta le pantalon sur le tas de linges sales.
- Tu me fais la tête ? demanda soudain Astrid.
En culotte sur son lit, les jambes pendantes, elle avait plus que jamais l'air jeune et fragile.
- J'ai l'impression...que tu penses que tout cela n'est qu'un jeu. Ce n'est pas un jeu ! Tu n'es plus une petite fille, tu dois te rendre compte que le monde dans lequel tu vis est dangereux, et particulièrement en ce moment !
- Je sais qu'il est dangereux, murmura-t-elle.
Du bout des doigts, elle effleura mécaniquement la fine cicatrice blanchâtre qui lui barrait le ventre au-dessus du nombril. Lars fut alors enseveli sous une avalanche de souvenirs terribles : du sang, des larmes, une voiture qui fonçait vers un hôpital japonais.
Il se laissa tomber à genoux devant la jeune femme, qui continua à voix basse, comme pour elle-même :
- Je ne me souviens de rien...sauf de ta voix. Tu me disais que je n'aurais plus mal, que je devais te regarder...et ne pas t'abandonner.
Si Lars n'avait pas un certain don de contrôle sur ses émotions, il serait tombé dans les pommes. Jamais il n'aurait imaginé qu'elle se souvenait de ses paroles.
- Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie, lâcha-t-il en fronçant les sourcils.
Il posa son doigt sur la cicatrice et en suivit la ligne.
- Tu vois, quand je te disais que je me transformais en monstre de Frankenstein, plaisanta-t-elle. Il y a aussi celle-ci...
Elle releva son tee-shirt pour montrer son flanc.
- La balle d'Andrea Noro...et là, le shuriken de Fuyuki Shiro...
Lars baissa précipitamment le vêtement : s'il voyait encore un centimètre carré de sa peau, il n'était pas sûr de pouvoir se retenir. Il releva la tête et vit qu'elle pleurait. Lars prit son visage entre ses mains, embrassa ses larmes, ses paupières et ses lèvres, plusieurs fois. Mais Astrid se contenta de passer ses bras autour de ses épaules et de le serrer très fort contre elle. Puis elle s'écarta. Lars eut envie de pleurer à son tour. Il y avait tellement cru !
Avant de partir, il posa la tête contre sa poitrine, et écouta les battements sourds et réguliers de son cœur. Astrid resta figée.
- C'est le plus beau son du monde pour moi. Ne l'oublie pas.
Il sortit de la chambre et referma la porte derrière lui. Quelque chose lui disait qu'il avait dit exactement ce qu'il fallait.
Merci <3
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