Chapitre 12
Chapitre 12
Aux alentours de sept heures du matin, Astrid fut réveillée par des bruits curieux, comme si un chantier de construction avait lieu sous sa fenêtre. Elle grogna, et se recouvrit la tête avec sa couette. La jeune femme eut beau attendre, le vacarme persista. Avec un gémissement de défaite, elle émergea de son lit, aplatit ses cheveux sur le dessus de son crâne et se traîna jusqu'à la vitre. Ce qu'elle vit la réveilla tout à fait.
Les Golems, menés par McRaven, étaient en train de défigurer le jardin de la Villa. Des parcelles de fleurs avaient été arrachées, et les belles plantes s'entassaient dans un coin comme un charnier coloré. Une profonde tranchée coupait la pelouse en deux. Deux hommes installaient d'étranges constructions en bois, d'autres creusaient un trou où ils déversaient de l'eau qui devenaient vite boueuse. McRaven et Titan déroulaient du fil barbelé.
Astrid ouvrit grand la fenêtre et hurla :
- McRaven ! Qu'est-ce que vous faîtes ?
- On se prépare un parcours du combattant, pour s'entraîner, fit l'Américain en haussant les épaules.
- Vous avez saccagé le jardin !
- Et alors ?
- Arrêtez immédiatement !
- Descends donc, si ça te dérange tant que ça !
Furieuse, Astrid claqua la fenêtre, et sans songer à s'habiller, dévala les escaliers en pyjama avant de se précipiter dans le jardin : des Golems sortaient déjà une scie pour couper un des oliviers.
- Posez ça ! aboya la jeune femme.
Elle fonça vers eux mais la main puissante de McRaven la saisit par le col.
- Un peu de calme ! Et retourne te coucher, sale gamine !
- C'est vous qui m'avez dit de descendre !
- Tu croyais vraiment qu'on allait tout arrêter quand tu serais là ?
- C'est chez moi, et c'est mon jardin !
McRaven approcha son profil de brute à trois centimètres du visage d'Astrid qui ne recula pas.
- Tu as l'air d'un oiseau déplumé ! ricana-t-il. Remonte tout de suite où je t'écrase !
- Vous...laissez...mon jardin...tranquille ! explosa la jeune femme.
- Très bien, tu l'auras voulu !
Il la saisit, la jeta sur son épaule comme un paquet, et avant qu'Astrid n'ait pu faire quoi que ce soit, McRaven la jeta dans l'eau marron qui remplissait le trou creusé par les Golems. La jeune femme émergea, ruisselante, voulut sortir mais glissa sur la paroi molle. Elle retomba sur les fesses sous le rire gras des hommes.
- La boue, c'est bon pour la peau ! gloussa McRaven, se croyant spirituel.
- Qu'est-ce qui se passe ici ?
Astrid reconnut la voix de Lars, et le vit arriver à grands pas. Elle se sentit plus humiliée que jamais.
- Mais rien ! ricana McRaven.
Puis, sans prévenir, il se pencha et appuya sur le crâne d'Astrid pour lui enfoncer la tête sous l'eau brune. La jeune femme se débattit rageusement, mais ne réussit qu'à laisser l'eau s'infiltrer dans sa bouche et ses narines. Enfin, la main de McRaven disparut et Astrid put recracher toute la boue...sur la chemise de Lars, bleu clair, qui lui tendait ses doigts pour la faire sortir. Il y eut de nouveaux éclats de rire.
- Ah, Wolfgang, vous n'auriez pas dû vous approcher de la fange à cochonne !
Lars ne cilla pas et continua à tendre la main vers Astrid, qui l'ignora, le menton tremblant mais haut.
- Je n'ai pas besoin d'aide !
Elle se redressa, agrippa le bord fermement cette fois et se hissa hors du trou. Le visage de Lars était insondable, et la boue qui salissait sa chemise gouttait sur son pantalon. Astrid ne put supporter cela plus longtemps et courut jusqu'à la Villa sous les rires et les moqueries dans toutes les langues des Golems. McRaven riait comme une hyène hystérique.
Elle s'enferma dans la salle de bain du rez-de-chaussée, se jeta sous le pommeau de la douche et laissa l'eau couler. Elle ramena ses genoux contre sa poitrine et fondit en larmes.
La jeune femme sortit enfin propre au bout d'une longue heure de shampooing, gel douche et sanglots. Elle remonta dans sa chambre sous le regard inquiet d'Edna, qui avait suivi toute la scène par la fenêtre.
Lars était assis sur son lit. Il avait heureusement changé de chemise.
- Qu'est-ce que tu fiches ici ?
- Je t'attendais.
Il se leva et voulut la prendre dans ses bras, mais elle s'écarta.
- Je veux que tu t'en ailles ! Tu crois que je n'ai pas assez...assez honte ?
Et elle éclata en sanglots à nouveau, même si elle était persuadée de ne plus avoir une seule larme dans son corps. Lars la serra d'autorité contre lui. Elle finit par s'abandonner.
- Je suis désolé, j'aurais dû intervenir plus tôt...tu as été très courageuse.
- Très boueuse, surtout. Et moi je te demande pardon de t'avoir craché dessus.
- Ce n'est rien. Tu ne savais pas.
Lars déposa un baiser léger sur ses cheveux puis s'approcha de l'étagère où se trouvaient toutes les boîtes à musique des membres du Pacte de Manfredi. Il caressa celle, argentée, de Bianca Manfredi.
- Je crois que c'est celle que je préfère. Et toi ?
- Moi, c'est la blanche.
- Celle que t'a donnée Solovine ?
- Oui. Avec l'araignée.
Les longs doigts de Lars glissèrent jusqu'à une troisième boîte, rouge et noire, celle de Twen-Chang Huang. Astrid se roula en boule sur son lit, la tête tournée vers lui.
- C'est celle que Xiu avait dans ses affaires.
- Je ne comprends pas, Astrid, fit Lars en fronçant les sourcils. J'ai l'impression que tu apprécies Solovine, alors qu'il l'a tuée, elle et ton grand-père.
- Je ne l'apprécie pas. Je...je ne sais pas...
Elle enfouit son visage dans sa couette. Lars admira un moment la statuette d'Aphrodite, la peluche de paresseux, et passa son doigt sur la tranche d'un CD de Domenico Sorabella. Puis il ouvrit le placard de la jeune femme et y dénicha une salopette en jean.
- Tu l'as toujours ?
Astrid leva les yeux et rougit en voyant le vêtement. C'était ce qu'elle portait la première fois qu'elle l'avait rejoint dans sa chambre, à la Pension. Cela lui parût remonter à une éternité.
- Je me souviens du magasin où nous l'avons achetée...et de ce qu'il y avait en dessous quand tu es venue...
- J'étais toute nue, sourit-elle avec un petit rire cristallin.
Lars la reposa soigneusement dans l'armoire puis se tourna vers elle.
- Je vais partir, Astrid. Il faut que je retourne à Hambourg pendant deux jours.
- Oh, juste deux jours ! répéta-t-elle sans pouvoir cacher son soulagement.
Il s'approcha avec sa démarche de panthère des neiges, et posa les mains sur le matelas de part et d'autre de la jeune femme.
- Je voudrais juste une chose...
La chose en question était évidente : ses lèvres s'étaient déjà entrouvertes et laissaient échapper un souffle chaud qui venait caresser doucement le visage d'Astrid, qui ne put s'empêcher d'inspirer profondément. Son odeur lui avait manqué. Pourtant elle n'osa pas bouger. Lars glissa ses doigts sous son menton pour l'attirer plus près, et posa brièvement sa bouche sur la sienne, pour tester sa réaction. La jeune femme allait craquer quand l'image de Daniel, en train d'écrire une lettre désespérée à la lumière d'une lampe vacillante, la fit reculer si brutalement qu'elle bascula en arrière sur le lit.
- Au revoir, Lars, dit-elle d'une voix ferme.
Il se redressa, le visage impassible.
- Très bien, répondit-il de sa voix polaire. Au revoir.
Astrid se détourna pour ne pas le voir sortir et s'enroula dans sa couette en espérant que le sommeil reviendrait, mais ce ne fut pas le cas.
Le lendemain, dans l'après-midi, McRaven décida de continuer à persécuter Astrid. Alors que la jeune femme achevait enfin le repas gargantuesque des Golems, à base d'une tonne et demi de spaghetti, le militaire se planta face à elle avec un grand panier de linge sale.
- Quand tu auras fini de faire la vaisselle, tu feras ta seconde activité de femme : la lessive.
Échaudée par la mésaventure de la veille, Astrid serra les dents et grinça :
- Débrouillez-vous tout seul. Je ne suis pas votre bonniche, vieux macho !
- Vieux quoi ?
- Vous n'êtes qu'un gros macho répugnant ! Si vous voulez porter du linge propre, lavez-le vous-même ! Et d'ailleurs, dorénavant, vous ferez votre nourriture tout seul aussi !
- Astrid...voulut intervenir Edna.
- Non ! J'en ai assez ! Nous ne sommes pas leurs esclaves !
Edna ouvrit la bouche, mais McRaven la devança. Il attrapa Astrid et lui envoya une grande claque sur les fesses.
- C'est ce que méritent les petites filles désobéissantes comme toi ! Tu vas faire la lessive illico presto !
Astrid se retourna avec la ferme intention de répliquer, mais Edna lui lança un regard suppliant. Alors que McRaven repartait, hilare, en laissant le panier en évidence, l'Américaine lui chuchota :
- Pour l'instant, ces plaisanteries sont stupides et puériles. Mais si tu t'opposes trop à lui, je crois qu'il pourrait te faire du mal, Astrid. Beaucoup de mal.
- Ce n'est qu'un crétin !
- C'est une brute, et je crois qu'il vaut mieux qu'il te prenne pour une petite fille.
Astrid était trop en colère pour saisir la note douloureuse dans la voix d'Edna. Elle n'avait même pas véritablement entendu. Elle saisit le panier avec un sourire diabolique.
- On va voir s'il me demandera deux fois de faire sa lessive !
Edna lui prit le bras avec inquiétude.
- Qu'est-ce que tu vas faire, Astrid ?
- Tu verras. Ce sont principalement des sous-vêtements blancs...et mon tee-shirt est rouge. On va leur faire prendre un petit bain ensemble.
Avant qu'Edna ait pu la retenir, Astrid se dirigea vers le coin buanderie qui se trouvait dans une salle de bain de l'étage. Elle déversa les caleçons sales dans le tambour et y ajouta son tee-shirt rouge ainsi qu'une jupe et un chemisier de la même couleur. Puis elle tourna le bouton avec un rire sardonique.
Le soir arriva, avec une pluie diluvienne et une cargaison de sous-vêtements roses. Et un beuglement venu du tréfonds des entrailles de Philip McRaven.
- Qu'est-ce...que...c'est...que ça ?!
Il agitait un slip rose bonbon en écumant de rage.
- Votre nouvelle garde-robe, annonça fièrement Astrid, avec un sourire jusqu'aux oreilles.
- C'est toi, ignoble petite morveuse !
La jeune femme réussit à l'esquiver une fois, deux fois, mais pas trois : la grosse main de McRaven se referma sur son épaule et la broya soigneusement.
- Tu vas le regretter !
Il réfléchit un moment, sans lâcher Astrid qui se tortillait pour lui échapper.
- J'ai une idée...
Il traîna Astrid jusqu'au rez-de-chaussée et la dépouilla de son pantalon et de son corsage, avant d'ouvrir la porte d'entrée et de la propulser d'une bourrade dehors, sous la pluie terrible qui s'abattait depuis de heures.
- Bonne nuit ! ricana McRaven.
En soutien-gorge et culotte, Astrid fut bientôt trempée comme une soupe. Mais il était hors de question qu'elle supplie ou même qu'elle réagisse. Il aurait alors gagné. Elle s'assit contre la porte, se recroquevillant pour éviter le maximum de gouttes. La Méditerranée, qu'elle pouvait apercevoir au bout du jardin défiguré, s'écrasait furieusement contre les roches, noire et agitée. Astrid pensa à ceux qu'elle aimait et qui se démenaient pour exécuter les volontés de ce crétin de McRaven. Elle dormait à moitié, transie de froid, quand Lars la trouva. Il pensa bizarrement au conte d'Andersen, La Petite Fille aux allumettes, et la secoua.
- Astrid ! Astrid, tu vas bien ? Qu'est-ce que tu fais là sous la pluie, et sans vêtement ?
- C'est McRaven, murmura la jeune femme. Parce que j'ai teint ses slips en rose.
- Mais que dis-tu ? soupira Lars en l'enveloppant dans son manteau.
Il la prit dans ses bras pour la relever, puis frappa vigoureusement à la porte.
- Tu dors dehors ! cria McRaven de l'autre côté.
- Ouvrez tout de suite ! ordonna Lars.
L'Américain, en entendant sa voix, finit par venir.
- Vous pouvez entrer, Wolfgang, mais pas elle.
- Vous êtes fou ? Il pleut à verse ! Et c'est vous qui l'avez déshabillée ?
- C'était une punition.
- Laissez-nous passer, siffla Lars, d'un ton qui fit vaciller McRaven lui-même.
Ce dernier grimaça, puis s'écarta de mauvaise grâce. Mais quand Astrid passa devant lui, il lui envoya un croche-patte sournois qui la fit tomber.
- Si vous la voulez, Wolfgang, prenez-la. Elle ne mérite pas qu'on lui demande son avis, cracha l'Américain.
Lars l'ignora, aida Astrid à se redresser et l'emmena dans sa chambre. Il resta auprès d'elle jusqu'à ce qu'elle s'endorme.
Au matin, il avait disparu, et quand Astrid alla vérifier discrètement le courrier, elle trouva une lettre.
Mon trésor adoré, amour de ma vie,
Je t'écris très tard le soir, mais il fallait à tout prix que je te raconte. Nous avons eu une visite à l'imprimerie aujourd'hui. Quand j'ai vu l'homme entrer, je pensais que c'était pour Gregor, mais il m'a affirmé que c'était moi qu'il voulait voir. Il m'a regardé avec une telle intensité que j'ai eu l'impression qu'il voulait voir mon âme.
Il a dit qu'il s'appelait Axel Desmarais, et qu'il était le propriétaire de cette imprimerie. Il est en fauteuil roulant, il a les cheveux gris et les yeux de la même couleur. Il est effrayant, comme si lui, il n'en avait pas, d'âme. Une sorte de statue animée...je ne sais pas très bien comment expliquer. Il m'a parlé en français.
Je lui ai demandé quelle sorte de papier il désirait, mais il m'a répondu qu'il voulait simplement déjeuner avec moi. Nous sommes donc allés manger au restaurant dont je t'ai parlé, et il m'a posé des questions sur moi, sans me lâcher des yeux. Il buvait la moindre de mes paroles. J'ai réussi à lui demander pourquoi je l'intéressais tant.
Il m'a répondu qu'il cherchait de nouveaux collaborateurs pour une grande imprimerie qu'il comptait ouvrir en France. J'ai refusé, je lui ai expliqué que ma vie était en Italie, auprès de la femme que j'aime. Encore une fois, il m'a regardé si intensément que j'ai baissé les yeux.
« Vous êtes heureux avec elle ? » a-t-il questionné. « Oui, mais ça ne vous regarde pas » j'ai répliqué. Finalement, il est parti, et j'ai été très soulagé.
Je ne sais pas pourquoi ce type me terrifie, et j'espère qu'il ne va jamais revenir. J'étais si mal à l'aise...Bon, cessons de parler de ça. Ta dernière lettre m'a un peu soulagé. Ce McRaven a l'air vraiment stupide. Et Lars...du moment qu'il reste à une distance raisonnable de toi...je crois que je me contenterais de ça.
Irina ne va pas tarder à accoucher, non ? Tu sais, pour tenir le coup, j'imagine notre mariage. Mais aussi ce qui arrivera plus tard. Je te vois avec un ventre tout rond, puis avec une mini-toi, une mini-Astrid, qui aurait des boucles noires et tes grands yeux. J'ai même cherché des prénoms...que dirais-tu de Bianca, en hommage à ta chère arrière-grand-mère ? J'aime bien. Ou alors Melina. Et si c'est un garçon...Paolo ?
Tu me manques. J'ai envie de toi, moi aussi. C'est de plus en plus difficile de dormir convenablement. J'espère que tu penses un petit peu à moi, la nuit. Si ça se trouve, on le fait au même moment, et nous sommes reliés par les étoiles...bon, je délire un peu.
Ne t'inquiète pas pour moi, je sais que je me plains tout le temps, pardon. Du moment que cet Axel ne revient pas, et que je sais que tu m'aimes, je peux tenir encore très longtemps.
Tu vois, je ne t'ai pas parlé de Mongkut. Je progresse. Je prends du recul, comme tu me l'as dit. Je fais tout ce que tu me dis. Je t'aime.
Je t'aime, je t'aime, je t'aime, je t'aime.
Ton Daniel en progression.
PS : en rentrant, je crois que je te ferais ce bébé immédiatement.
Merci <3
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