Chapitre 36.2
Il y a vingt ans...
Salvatore entra dans le bureau d'Antonio, écumant de rage. Il claqua la porte si violemment qu'un cadre se décrocha du mur et s'écrasa sur le sol.
- Tes abominables rejetons ont accroché Astrid à une branche de l'olivier ! Par la culotte !
- Je suis au courant. Mais elle n'a rien, si ?
- Est-ce que tu rends compte, à quel point c'est grave ? La branche aurait pu céder, elle aurait pu tomber, elle aurait pu se tuer !
- Astrid n'est pas tombée, et Astrid n'est pas morte, Salvatore, soupira Antonio. Elle va bien.
- Elle va bien ? répéta-t-il. Elle était terrorisée ! J'ai mis une heure à sécher ses larmes ! Tes fils ne sont que des sales petits cons !
Il y eut un silence, puis Antonio répliqua sèchement :
- Je ne te permets pas d'insulter mes fils. Ils n'ont que sept ans.
- Tu ne sais faire que ça : les défendre ! Tu te fiches bien d'Astrid !
Antonio se leva, furieux à son tour.
- C'est ma filleule ! Dois-je te rappeler qu'au début, tu ne voulais pas que je l'adopte ? Aujourd'hui, tu te l'appropries complétement. Elle n'est pas à toi, Salvatore. Tu n'es pas le seul à savoir prendre soin d'elle !
Salvatore inspira profondément, pour tenter de se calmer. Antonio se rassit et prit un cigare.
- D'ailleurs, je pense que la façon dont tu l'accapares n'est pas saine pour elle. Tu devrais t'éloigner quelques temps, pour prendre du recul. J'ai besoin d'un homme en Slovénie...
- Tu veux nous séparer ? Mais elle a besoin de moi ! rugit Salvatore.
- Non ! Toi, tu as besoin d'elle. Regarde dans quel état tu es.
Salvatore se laissa tomber sur une chaise, les poings serrés.
- Si tu me l'enlèves, je...merde, Antonio, elle est toute ma vie !
- Mais non. Tu as un travail, des amis. Tu as Gloria.
- Gloria...elle veut que je parte avec elle à Rimini.
- Quelle bonne idée ! Des vacances te feraient du bien.
- Sans Astrid ?
- Tu lui manqueras énormément, mais c'est une petite fille forte. Je suis sûr qu'elle survivra sans toi pendant une semaine.
- Arrête de te foutre de moi. Tu ne sais pas comment...à quel point...à quel point je l'aime.
- Si, Salvatore. Je sais.
À ce moment-là, un petit « toc » se fit entendre et Astrid entra dans la pièce, avec sa petite robe jaune et son doudou qui traînait par terre. Elle leur adressa sa moue la plus craquante :
- Je peux aller dans la piscine ?
***
Depuis quelques jours, Björn sentait qu'Astrid s'éloignait de lui. Le début de la fin, songeait-il souvent. Quand la jeune femme l'avait embrassé en Russie, il savait déjà que leur histoire ne serait qu'éphémère. Les plus belles choses sont éphémères. Comme les papillons.
Il avait conscience qu'Astrid était et serait toujours amoureuse de Daniel Tremblay. Lars lui avait dit, un soir où il était ivre :
- Cette fille, on se dit qu'on réussira à l'avoir, à lui faire oublier son canadien, mais plus tu essaies et plus elle l'aime !
Lars lui manquait. Ils étaient amis depuis des années, ils avaient travaillé et monté leur affaire à Hambourg ensemble. Maintenant, ils n'avaient plus de raison d'être rivaux : la jeune femme n'avait choisi ni l'un, ni l'autre. Elle choisira toujours Daniel. Même s'il est marié, même s'il a un enfant. Elle l'attendra toute sa vie.
Björn décida d'appeler Lars un après-midi où Astrid s'était éclipsée pour aller chercher Edna Conners à l'aéroport.
- Wolfgang, annonça Lars en décrochant.
- C'est moi.
- Olofsson. Salut.
- Tu avais raison. Même moi, je le savais depuis le début. Astrid ne passera jamais sa vie avec moi. Elle n'est pas amoureuse.
- Ouais. Elle t'a quitté ?
- Pas encore, mais je sens que ça ne va plus tarder.
- Tu as fait ton temps. C'est comme ça. Elle te donne l'illusion qu'elle ne peut pas vivre sans toi, qu'elle t'aime et que tu es l'homme de sa vie, mais elle est comme ces putains de cygnes : un seul partenaire jusqu'à la mort.
Lars eut un étrange petit rire et ajouta :
- Tu t'en remettras.
- On pourrait se voir, non ? Pour boire une bière. Entre amis. Comme au bon vieux temps.
- Avec plaisir.
***
Il y a dix-huit ans...
La voix de Gloria raisonnait dans sa tête, rebondissait contre ses tempes, comme une ritournelle horripilante : « J'en ai assez, Salvatore ! C'est elle ou moi ! Elle ou moi ! ». Il avait hésité, il avait senti son âme se déchirer. Choisir, c'est renoncer. Salvatore avait choisi de renoncer à Gloria. Il rentra à la Villa, le cœur déchiqueté, et se laissa tomber sur le canapé, le crâne entre les mains.
- Salva ?
Astrid était là, avec ses couettes et son sourire d'ange malicieux. Elle tenait un dessin la représentant elle et Salvatore devant la Villa, coloriée en jaune, avec le jardin vert et un carré bleu pour la piscine. La colère et la douleur rendit cette vision enfantine insupportable pour Salvatore : il attrapa le dessin, le froissa et le jeta de l'autre côté de la pièce. Astrid écarquilla ses grands yeux noirs, abasourdie. Elle remarqua alors que Salvatore pleurait : elle voulut l'approcher, puis jeta un coup d'œil à son dessin qui gisait dans un coin, et sa lèvre inférieure se mit à trembler. D'un air digne, Astrid alla ramasser son dessin et s'éclipsa.
Ai-je fait le bon choix ? Salvatore resta prostré un long moment, marinant dans ses larmes et ses pensées noires. Il remonta dans sa chambre d'un pas lourd. Ai-je fait une erreur ?
Sur son lit, lissé le plus soigneusement possible, il y avait le dessin d'Astrid. Elle avait ajouté un gros cœur rouge et un « je t'aime » tremblotant au crayon mauve. Salvatore eut l'impression qu'on venait de lui jeter un seau d'eau en pleine figure.
Évidemment qu'il avait fait le bon choix !
Il fit demi-tour et poussa la porte de la chambre d'Astrid.
- Mon amour ? Tu es là ?
Elle était juchée sur son lit, et lisait une des bandes dessinées que les jumeaux avaient oubliée en repartant chez leur mère. La petite fille releva la tête, voulut parler, mais Salvatore l'enveloppa de ses bras et la serra de toutes ses forces.
- Pardon, mon bébé ! Pardon ! Ton dessin est merveilleux !
- Tu étais triste, remarqua Astrid, à moitié étouffée.
- C'est à cause de Gloria. Nous nous sommes disputés. Je ne la verrais plus.
- Plus jamais ?
- Non. Mais ce n'est pas grave. Je t'ai, toi.
- Bah oui, lâcha la petite fille du ton de l'évidence.
Elle se dégagea et le contempla en plissant les yeux.
- Tu trouveras une autre amoureuse. Tu es beau, et tu es gentil.
- Moi, je suis gentil ? sourit Salvatore.
- Oui. Gentil comme un papa.
Petit chapitre tout plein de bons vieux flash-back mignons.
Je me suis inspirée d'Agnès pour imaginer mini-Astrid. Trop chou le palmier, non ?
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