Chapitre 36.1

Chapitre 36

Durant la semaine d'attente, Astrid eut tendance à penser que c'était trop beau pour être vrai. Mais l'espoir était toujours là, et elle imaginait très souvent l'émotion du docteur P s'il retrouvait son Andrei. Elle passait du « Non, c'est impossible » au « Mais si, c'est lui ! » en un quart d'heure. Puis le jour vint.

Le test était positif. Astrid n'arrivait pas à le réaliser, malgré les premières coïncidences très troublantes qui avaient précédées. Elle sautilla un long moment dans sa chambre en tenant le papier qui annonçait les 99,99% de probabilité. Il fallait à présent qu'elle trouve comment annoncer qu'Aristide et Andrei n'était qu'une seule et même personne...

Astrid organisa une rencontre sur la plage de San Gennaro. Aristide et le docteur P se toisèrent derrière leurs lunettes respectives, et il fut alors flagrant qu'ils étaient père et fils. La ressemblance était frappante. Le cœur battant, la jeune femme leur montra les résultats du test.

- Je vous ai pris à chacun un cheveu et je vous ai demandé, Claudiu, de faire un test ADN. Je ne vous en ai pas parlé avant, car je voulais attendre d'avoir le résultat.

- Il est positif, murmura Aristide.

Le docteur P écarquilla les yeux, et secoua la tête, affolé. Il recula si brusquement qu'il tomba les fesses dans le sable.

- Ce n'est pas possible...

- Claudiu, chuchota Astrid, c'est votre fils. C'est Andrei.

Comme le docteur semblait paralysé, elle le releva, lui prit la main et la posa sur celle d'Aristide.

- Mais comment avez-vous...comment vous est venue une idée pareille ? balbutia ce dernier.

- Une intuition, sourit Astrid.

- J'ai perdu tellement de temps, renifla le docteur P. Je croyais que tu étais mort !

- Vous avez tout le temps de faire connaissance. Je vous laisse, maintenant.

Astrid tourna les talons mais le docteur P la rattrapa, et, en larmes, la serra brusquement dans ses bras.

- Merci n'est qu'un ridicule euphémisme pour vous exprimer ma gratitude. Vous venez de me rendre ce qui manquait à mon existence.

- Je suis tellement heureuse pour vous, répondit Astrid en lui rendant son étreinte.

Derrière eux, Aristide reniflait comme un petit garçon. Le docteur P s'écarta et rajusta ses lunettes. Il se retourna lentement vers son fils, et alors, il n'y eut plus qu'eux sur Terre. Astrid décida de les laisser. Bien qu'elle soit celle qui les avait réunis, elle n'avait plus sa place ici. La jeune femme se retourna une dernière fois et vit qu'ils s'asseyaient dans le sable, tout près l'un de l'autre. Brièvement, elle crut se voir avec Alvaro...ou avec un autre homme, bien vivant lui, à qui elle ne parlait plus. Mais ses pensées un peu tristes disparurent bien vite.

Astrid regagna la Villa, le cœur gonflé par une émotion fabuleuse.

                                                                                         ***

Il y a vingt-et-un ans...

Astrid jouait avec sa Barbie préférée sur le tapis du salon, aux pieds de Salvatore qui lisait le Corriere della Sera en la surveillant du coin de l'œil. Elle était tellement adorable qu'à chaque fois qu'il la regardait, il sentait son cœur se gonfler d'amour.

- Les Saltini seront là dans un quart d'heure ! annonça Antonio.

Salvatore replia rapidement son journal et prit Astrid sur ses genoux.

- Écoute, mon bébé. Des messieurs vont venir ici.

- Oui, j'aime bien les messieurs qui sont copains avec Tonio !

Astrid avait fait chavirer le cœur de tous les amis d'Antonio, même ceux qui étaient réputés pour ne pas en avoir. Elle en avait même convaincu certains de signer des contrats, avec un sourire et un gazouillement. Elle était devenue une vraie mascotte. Mais les Saltini étaient vicieux et retors. Salvatore avait décidé qu'ils ne devaient pas rencontrer Astrid. Ils pourraient voir en elle un moyen de chantage et menacer de lui faire du mal.

- Cette fois, mon amour, tu vas rester dans ta chambre.

- Je ne peux pas les voir ?

- Non. Tu ne dois pas descendre dans le salon tant qu'ils sont là.

Astrid eut une moue déçue.

- Pourquoi ?

- Parce que je te le dis. Viens.

Il cala la fillette contre sa hanche et monta les escaliers. Il poussa la porte de sa chambre et la déposa sur son lit. Astrid s'accrocha à son cou.

- Bisou ! s'exclama-t-elle.

Salvatore sourit et l'embrassa sur le front.

- Tu restes bien sage, d'accord ?

- Mais si je m'ennuie ?

- Ça ne durera pas longtemps.

- Je pourrais aller dans la piscine, après ?

- On verra.

Salvatore redescendit et attendit les Saltini avec Antonio. Ils arrivèrent à l'heure, chose étonnante. Roberto Saltini était laid et poilu, avec un visage simiesque et de grandes oreilles. Tout à fait le genre à faire du mal aux enfants. Mais Antonio lui serra chaleureusement la main et lui servit son meilleur vin. Salvatore surveillait le moindre mouvement suspect des hommes de Saltini. C'était toujours ainsi. Antonio pour la diplomatie, moi pour la sécurité.

Ils discutaient depuis un moment quand Astrid apparut dans les escaliers, son sourire « je-suis-une-merveilleuse-petite-fille » éclairant sa frimousse. Salvatore lui lança un regard furieux mais la fillette l'ignora et vint se planter devant Roberto Saltini.

- Bonjour, fit ce dernier. Comme tu es jolie ! Comment t'appelles-tu ?

- Astrid, déclara-t-elle fièrement. J'ai trois ans.

- Mon fils, Ricardo, est un peu plus vieux que toi. Est-ce la fille des Villanueva ? demanda Roberto en plissant les yeux d'un air calculateur.

- Oui, répondit Salvatore en attrapant Astrid sous les bras. Je reviens.

Il la souleva et la ramena dans sa chambre, fou de rage. Astrid s'en aperçut et son sourire s'effaça. Salvatore lui prit le menton pour la forcer à le regarder.

- Qu'est-ce que j'avais dit ?

- De ne pas descendre.

- Et qu'est-ce que tu as fait ?

- Je suis descendue.

Salvatore se redressa et croisa les bras. La petite fille se recroquevilla.

- Tu es fâché ?

- Je suis très fâché, Astrid ! Ce monsieur n'est pas gentil. Il est dangereux !

Elle éclata en sanglots. Je n'aurais pas dû dire ça. Elle va avoir peur !

- Je...je...voulais pas...je m'ennuyais...je ne veux pas qu'il te fasse mal !

Salvatore la prit dans ses bras et la serra.

- Il ne me fera pas de mal, mon bébé. Mais je ne veux plus que tu me désobéisses.

- Promis juré !

                                                                                         ***

Le docteur P et son fils allèrent mener leur enquête en Roumanie, avec l'aide de Fiora. Ils découvrirent qu'Andrei, après avoir été enlevé par la Securitate tout bébé, avait été confié à une famille de Timişoara. Après la chute du régime communiste, ne sachant plus quoi faire de lui, cette famille l'avait abandonné dans un orphelinat, où il avait été adopté par la famille Candace.

En prenant un café avec Madeleine quelques jours plus tard, Astrid lui raconta toute cette folle histoire. Peu à peu, la jeune femme réussit à orienter la discussion vers Edna.

- Si tu me racontais enfin votre histoire à toutes les deux ?

- Tu ne lâches jamais l'affaire ?

- Allez ! Je t'ai tout dit, moi, à propos de mes relations.

- Bon...

Madeleine poussa un soupir à fendre l'âme et touilla son cappuccino d'un air résigné.

- Nous nous sommes rencontrées au casino Monte-Carlo. J'étais avec un très beau garçon que j'ai vendu à un émir pour une somme exorbitante...

- Maddy !

- Oh, ça va ! Bref, je suis tombée sous le charme. Edna était très sûre d'elle, elle jouait les femmes mystérieuses et inaccessibles...j'ai adoré ça.

- Elle est très belle, remarqua Astrid.

- Hum, oui...Enfin, Edna n'était pas aussi inaccessible que cela, j'ai réussi à l'emballer en une partie de poker.

- Je suis sûre que c'était beaucoup plus romantique que ce que tu viens de dire.

- Nous avons passé la nuit ensemble, puis la suivante, et encore la suivante...je suis restée à Monaco plus longtemps que prévu.

- Tu étais amoureuse ?

Madeleine pinça les lèvres et ignora la question.

- Un jour, elle a découvert mon activité de trafiquante. Mais elle-même magouillait dans les casinos, alors elle ne pouvait rien me reprocher. Notre relation a duré six ans.

- Que s'est-il passé ?

- Je me suis fait prendre par la police. Ils ont interrogé Edna, et au lieu de me couvrir, elle a confirmé que j'étais une trafiquante. C'est à cause d'elle que j'ai fini à la P.I.H.S.

Astrid était certaine qu'Edna avait une bonne raison d'avoir fait ça, ou alors une autre version de cette histoire. En voyant Madeleine tourner ses yeux un peu trop brillants vers la mer, la jeune femme sentit que là encore, il y avait deux personnes à réunir.

Edna n'était disponible qu'à dix-neuf heures. Astrid dut se lever à quatre heures du matin, car il y avait huit fuseaux horaires entre Las Vegas et Naples. Elle alla dans la cuisine pour allumer son ordinateur et sa webcam.

- Bonsoir, Edna. Merci de m'avoir accordé un peu de votre temps.

- Mais c'est moi qui vous remercie, Astrid ! Je suis heureuse que vous m'ayez recontactée. Mon dieu ! Il doit être très tôt chez vous ! Je n'y ai pas pensé ! Je vous demande pardon !

- Ce n'est rien. Je voulais vous parler de Madeleine.

- Oh !

Derrière l'écran, l'américaine eut une grimace douloureuse.

- Elle m'a raconté ce qui est arrivé à Monte-Carlo. Elle dit qu'elle est allée à la P.I.H.S à cause de vous...

- Je savais qu'elle irait en prison, évidemment. J'avais peur pour moi, j'ai été égoïste...Et je n'ai pas pensé une seule seconde à la P.I.H.S ! C'est un endroit tellement horrible ! J'ai tout fait pour la sortir de là. J'ai payé les meilleurs avocats, j'ai corrompu les juges, j'ai même couché avec le directeur.

- Le directeur de la P.I.H.S ?

- Oui. Un homme répugnant.

- Tout ça, vous l'avez dit à Madeleine ?

- J'ai essayé. Mais vous la connaissez. Elle n'a même pas voulu écouter.

- Je crois pourtant qu'elle a toujours très envie de l'entendre.

- Vraiment ?

- Venez à San Gennaro, Edna. Vous aurez une chambre à la Villa.

- Astrid...c'est très gentil, mais je ne pense pas que Madeleine...

- Je m'occupe d'elle. Faites-moi confiance.

La jeune femme imaginait déjà la scène : une table au bord de la mer, une nappe blanche, des fleurs, des coupes de champagne, un ciel étoilé. Et une réconciliation.


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