Chapitre 26.1
Chapitre 26
À partir de ce triste épisode, Astrid devint la cible de moqueries et de regards ou de gestes déplacés. Heureusement, Urano s'était mis à la suivre comme une ombre et savait écarter les plus insistants. Il restait devant la porte de la salle de bain quand elle prenait sa douche. Elle le soupçonnait même de monter la garde toute la nuit devant sa chambre. La jeune femme ne savait pas ce qu'elle avait fait pour obtenir la protection de ce mystérieux géant, mais elle n'allait pas s'en plaindre. Néanmoins, les quatorze autres évadés lui menaient la vie dure.
Astrid avait appris à les reconnaître, notamment le tueur à gage islandais, dont personne ne se risquait à prononcer le nom, et dont les cheveux étaient si clairs qu'ils en paraissaient blancs ; ainsi qu'Élie, l'ancien membre du Mossad, avec ses épais sourcils qui se rejoignaient entre ses yeux. Les autres étaient tous des satellites d'Abu El Kabar ou de Gonzalo Erizo. Ils formaient la deuxième galaxie de gens bizarres qu'elle explorait.
Seule dans son lit, elle ressassait les insultes et les propositions obscènes qu'elle avait entendues dans la journée et cherchait désespérément un moyen d'y mettre fin. Elle pensait aussi à ceux restés en Italie. Lars doit être furieux, et Salvatore fou d'inquiétude. J'espère qu'ils vont bien. J'espère qu'ils ne pensent pas que je les ai abandonnés, et qu'ils ne feront pas de bêtises. Quand elle n'arrivait pas à dormir, elle allait regarder les étoiles avec Urano.
Le cinquième jour, Abu tenta une nouvelle fois de lui toucher les fesses. Astrid sut alors ce qu'elle devait faire. Elle alla trouver Mikhaïl, qui préparait du bœuf Stroganov dans la cuisine.
- Je sais ce qui va les calmer ! annonça Astrid.
- Quoi donc, Cavaleri ?
- Des filles !
- Ce n'est pas une grande trouvaille. Mais il n'y en a pas beaucoup dans le coin.
- Alors il faut aller en chercher ! Il doit bien y avoir des maisons closes, à Saint-Pétersbourg ou dans la région ?
Mikhaïl découpa un oignon avec dextérité.
- Il y en a, évidemment. Mais les prostituées se paient, et Simon Solovine ne veut pas verser d'argent pour ça.
- Moi, si !
Astrid lui tendit la bague que Salvatore lui avait offerte pour son dix-huitième anniversaire. Elle l'avait entendu dire à Antonio qu'elle valait mille-cinq-cent euros. Cela la peinait de s'en séparer, mais elle n'avait plus le choix.
- Ça devrait suffire, non ?
- Sans doute. Mais à ce prix-là, ce ne sera pas les plus belles.
- Ce ne sont pas les plus beaux non plus.
Mikhaïl sourit et attaqua un nouvel oignon.
- Je m'en occupe, Cavaleri. Vous êtes sûre, pour votre bague ?
- Oui. Prenez-la.
Dans la soirée, Mikhaïl arriva au volant d'une camionnette. Une quinzaine de filles en émergèrent et se répandirent dans la grande pièce, qui se remplit de gloussements, de gros rires et de cris. Abu El Kabar s'octroya la plus jolie des filles, une blonde nommée Irina. La vodka coulait à flots et Astrid jugea préférable de rester à l'étage avec Urano. Ils regardèrent les étoiles, comme d'habitude, puis Astrid lui proposa de faire une partie de cartes. Ils jouèrent à la bataille et Urano gagna cinq fois.
Le lendemain, Gonzalo et Abu attrapèrent chacun Astrid par un bras dans le couloir. Urano se raidit mais n'intervint pas.
- Il paraît que c'est toi qui as fait venir les filles hier, lança le pirate.
- Oui, répondit prudemment Astrid.
- Ben, on voulait te remercier, continua Gonzalo. Ça nous a fait très plaisir.
Il ébouriffa les cheveux de la jeune femme et Abu lui donna une petite tape amicale sur la joue. Astrid n'osa pas bouger.
- T'es une gentille fille, Cavaleri. On te promet qu'on n'essaiera plus de te toucher si tu ne veux pas.
- Et on ne se moquera plus de toi.
- Euh...merci.
- Viens manger avec nous ce midi ! Mikhaïl a préparé une forêt-noire. C'est un truc avec des cerises, je crois.
Astrid hocha lentement la tête et les regarda partir en s'efforçant de ne pas se lancer dans une petite danse de la joie. Ce n'est pas tous les jours qu'on est poliment invité à manger avec un pirate et un chef de gang particulièrement effrayants ! Astrid déjeuna donc à la table commune, entre Urano et Élie, et personne ne se moqua d'elle ou tenta une approche non-désirée. Bien qu'elle ne comprît pas la moitié de ce qu'ils racontaient, elle se sentait un peu comme la reine du monde. Comme Bianca Manfredi !
Plus tard, dans la soirée, alors que les hommes jouaient au poker, Astrid, suivie comme toujours d'Urano, passa devant la porte de la chambre de Gonzalo et la trouva entrouverte. Elle ne put résister à la tentation et y jeta un coup d'œil.
En plus de l'habituel duo lit et commode, il y avait une antique machine à coudre, des rouleaux de tissus et, sur une étagère, trois peluches adorables et frappantes de réalisme : un ourson, un paresseux et un hibou. Malgré le grognement de désapprobation d'Urano, Astrid, fascinée, entra et prit le paresseux dans ses mains. Il était vraiment craquant, avec ses petits yeux noirs et ses longs bras. Elle les passa autour de son cou et se retourna vers Urano...mais devant la porte, il y avait Gonzalo. Emportée par son enthousiasme, elle s'exclama :
- Oh, elles sont magnifiques !
Le sud-américain fronça les sourcils et croisa les bras.
- Je devrais t'égorger pour être entrée dans ma chambre.
Astrid comprit son erreur et déglutit.
- Je voulais juste...voir les peluches.
Elle reposa le paresseux sur l'étagère et baissa la tête.
- Pardon, je ne...dirais rien. Je le jure.
Comme Gonzalo ne bougeait pas, Astrid bredouilla :
- Qui les a fabriquées ? Elles sont...
- Moi.
Astrid en resta bouche bée. Elle contempla la machine à coudre.
- Je te la donne, si tu veux. Celle-là.
Gonzalo prit la peluche-paresseux et la tendit à Astrid.
- Mais si tu dis un mot à qui que ce soit, je t'étrangle.
La jeune femme eut un large sourire et avisa une forme en tissu qui ressemblait vaguement à un caméléon.
- Vous en fabriquez une autre ?
Gonzalo semblait particulièrement étonné par la réaction d'Astrid. Il pensait que j'allais me moquer de lui...alors qu'il a un talent extraordinaire.
- Oui. Un caméléon.
- Merci, pour le paresseux. Je vais le mettre dans ma chambre.
- Tu ne diras rien ? répéta-t-il.
- Croix de bois, croix de fer.
- Allez, fiche le camp, gamine.
Astrid retourna dans sa chambre et y trouva Urano, qui prit la peluche et la secoua comme si elle allait produire un bruit bizarre.
- C'est un paresseux. Tu as vu L'Âge de glace ? Tu connais Sid ?
Urano se contenta de hausser un sourcil. Astrid lui souhaita bonne nuit et se coucha en serrant contre elle son cadeau. Même les pires criminels peuvent faire des choses mignonnes. Elle se souvint de Salvatore à quatre pattes dans sa chambre pour retrouver son doudou tombé sous le lit, et de Lars qui voulait remonter la fermeture éclair de sa doudoune à Nuuk. Elle s'endormit en souriant, mais se réveilla à quatre heures du matin.
On frappait à sa porte. Urano avait disparu. C'était Abu.
- Il paraît que tu sais garder un secret. C'est assez étrange pour une fille, mais Gonzalo n'est pas du genre à mentir.
- Gonzalo t'a raconté ?
- Il m'a juste dit que tu savais te taire quand il le fallait. J'ai un service à te demander.
Astrid se frotta les yeux et soupira :
- Bon. Entre.
Le pirate sourit en voyant le buste de Lénine, toujours à sa place.
- Que de bons souvenirs !
Il se jucha sur le bord du lit et sortit un papier froissé de la poche de son jean.
- J'ai fait quelques essais pour écrire une lettre...d'amour...
- Une lettre d'amour ? Toi ?
Abu la fusilla du regard et émit un son méprisant avec sa bouche.
- Ferme-la. Je veux juste que tu m'aides à l'écrire.
- C'est pour qui ?
- T'occupe pas de ça ! Tu sais écrire en russe ?
- Ah, non. Elle est russe ?
Astrid prit la feuille qu'il lui tendait avec un petit sourire en coin. Le pirate avait gribouillé quelques mots dans un anglais approximatif. Il parlait de cheveux blonds comme le soleil et d'yeux bleus comme le ciel. C'était si mauvais qu'Astrid ne put retenir un petit ricanement.
- C'est un peu...banal.
- Qu'est-ce que tu proposes ?
- Tu pourrais dire...qu'elle est ton étoile, qu'elle a illuminé le ciel obscur et tué ta solitude. Que, dans ses bras, tu es un pêcheur au paradis et que...tu ne pourras jamais guérir de son corps, et que tu l'aimeras jusqu'à la mort.
- Oh, c'est bien ça ! Écris-le-moi en anglais !
- D'accord. Ce sera fait demain, promis. Mais avant, laisse-moi dormir.
- Je compte sur toi !
Une fois le pirate sorti, Astrid se sentit soudain très mal. La mélodie de La mia stella résonnait dans sa tête. Elle se mit à la siffler doucement, et quand Urano réapparut, elle l'invita à entrer.
- Abu veut écrire une lettre à Irina, figure-toi. Il ignore que je sais que c'est pour elle, mais je ne suis pas stupide. Je lui ai proposé le texte d'un chanteur que j'ai connu. Je lui ai fait beaucoup de mal, et... quand je pense que Gonzalo fabrique des peluches et qu'Abu est tombé amoureux d'une gentille prostituée, je me demande si le pire monstre ici, ce n'est pas moi.
Urano secoua vigoureusement la tête et la souleva sans difficulté pour la poser sur son lit.
- Pourquoi sommes-nous ici ? Que veut Simon Solovine ? murmura Astrid.
Le géant tourna les talons et sortit.
Merci !
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