Chapitre 21.1

Chapitre 21

Deux jours plus tard, un foulard rouge noué autour de la tête pour retenir ses cheveux, Astrid transportait un énorme seau de viande crue jusqu'à la cage du tigre, qu'elle avait intérieurement baptisé Shere Khan. Il faisait une chaleur épouvantable et de la sueur lui coulait dans le dos. Elle était un peu devenue l'esclave du cirque, nettoyant le chapiteau, les caravanes et la cage de Shere Khan, préparant les repas dans une grosse marmite, seul ustensile de cuisine qu'elle avait pu trouver, et maquillant le clown Mario qui en profitait toujours pour lui pincer les fesses. Caramanti et Salvatore l'appelaient tous les soirs, mais Astrid n'avait pour l'instant rien trouvé de suspect. Le commissaire insistait pour qu'elle fouille la mystérieuse caravane qui servait d'entrepôt, mais celle-ci était toujours verrouillée.

En jetant un morceau de viande à Shere Khan, son téléphone sonna. Astrid le cala discrètement entre son épaule et son oreille. C'était Georgios.

- Comment vas-tu, mon petit ? Salvatore m'a expliqué toute l'affaire...tu travailles dans un cirque, paraît-il ?

- Oui. Et je suis en train de nourrir un tigre mal en point.

- Mon dieu.

- J'aimerais être avec toi en Grèce. Je me sens tellement seule.

- Où est Daniel ?

- Parti. Il m'a quittée. Salvatore ne te l'a pas dit ?

- Non...je suis désolé pour toi. Mais je suis sûr que ça va s'arranger.

À la périphérie de son champ de vision, Astrid vit Mario lui faire de grands signes.

- Je dois te laisser. Je t'embrasse.

- Hé, Angela ! Le patron a dit de ne pas nourrir le tigre ! aboya le clown.

- Mais pourquoi ?

- Il le trouve trop gras. Ne discute pas et viens m'aider à me préparer !

Tard le soir, alors que la dernière représentation était terminée, Astrid erra un moment parmi les caravanes, et jeta un coup d'œil à celle qui servait d'entrepôt. Elle remarqua tout de suite que le gros verrou qui barrait la porte était ouvert. Les artistes ayant tous regagné leurs roulottes, elle décida d'y entrer discrètement. Le commissaire va être content.

L'intérieur était sombre, et il y planait une drôle d'odeur, plutôt désagréable. Armée de son téléphone portable en guise de lampe, elle inspecta les lieux.

Elle découvrit immédiatement plusieurs sacs suspects. L'un était percé et la poudre blanche qui s'en écoulait ne devait pas être de la farine. Une petite cage abritait un étrange et gros lézard multicolore. Un portrait de clown particulièrement effrayant pendait à la paroi de gauche, à côté d'une tête réduite. Un vrai musée des horreurs.

Astrid buta soudain dans quelque chose de mou. C'était un gros sac de toile de jute, qui moulait une forme...humaine. Elle ne put retenir un cri de frayeur. Un cadavre ! Je dois appeler le commissaire ! Elle hurla de nouveau quand la porte s'ouvrit.

- Je me doutais que tu irais fouiner ici.

Astrid fit volte-face. Madeleine Clarence se tenait derrière elle, vêtue d'une chemise rose dragée et d'un pantalon blanc. Elle posa ses mains sur ses hanches avec un sourire moqueur.

- Aleksandar ! Viens voir qui j'ai trouvé !

Le serbe apparut, le visage déformé par la colère. En entrant, le clown Mario sur ses talons, il s'empara d'Astrid qui ne se débattit même pas. Elle priait simplement pour ne pas qu'ils lui prennent son portable et qu'elle puisse téléphoner à Caramanti. La jeune femme s'attendait à être enfermée dans la caravane de Varapovic à double tour, avec Mario pour surveiller la porte. Ce ne fut pas le cas.

Ils se dirigèrent droit vers la cage de Shere Khan.

- Je suppose que vous n'êtes pas vraiment une parente de Moira Orfei ? demanda Varapovic.

Il semblait plus déçu par cela que par la trahison d'Astrid. La jeune femme tenta de se libérer de sa poigne, paniquée. Il ne va quand même pas...

Mais, avant qu'elle ait pu crier ou supplier, il la poussa dans la cage du fauve. Madeleine Clarence posa un doigt sur ses lèvres pour lui faire signe de ne pas faire de bruit, puis elle, Varapovic et Mario s'éloignèrent, l'abandonnant à son sort funeste. Pour l'instant, Shere Khan dormait encore. Astrid se recroquevilla dans un coin et attendit de longues minutes, le souffle court. Il ne bougea pas. Décidément, sa vie était rocambolesque, en ce moment ! Elle chercha un fouet du regard, avec l'idée stupide de se la jouer Indiana Jones. Mais Shere Khan n'avait rien d'agressif. Finalement, quelque chose émergea de la brume de terreur qui envahissait son cerveau : mon téléphone portable !

Elle appelait Caramanti quand Shere Khan ouvrit un œil. Il a faim !

- Dépêche-toi, siffla une voix derrière elle. Viens !

Une main la tira en arrière par le col. Astrid se traîna sur le sol crasseux, vers ce mystérieux sauveur. Le tigre referma la paupière, blasé. Ouf !

Madeleine Clarence referma soigneusement la cage et empoigna Astrid par le bras.

- Où sont Varapovic et Mario ? demanda Astrid en trottinant pour se maintenir à sa hauteur. Pourquoi vous...

- Je m'en suis débarrassé, répondit la trafiquante en tapotant le pistolet à sa ceinture.

- Vous les avez tués ? s'étrangla la jeune femme.

- Oh, tu ne me le reproches quand même pas ? Ils voulaient que tu finisses dans le ventre d'un tigre.

- Pourquoi ne pas les avoir tués avant ?

- Je voulais voir si l'animal t'attaquerait. Simple expérience scientifique. Mais il est bien dressé, apparemment. Ou alors, tu ne dois pas avoir bon goût. Tu es napolitaine, après tout. Peut-être que les tigres n'aiment pas l'huile d'olive.

Abasourdie, Astrid grimpa docilement dans la voiture de Madeleine, qui démarra et fonça dans la nuit, abandonnant derrière elles le champ et le chapiteau.

- Pourquoi m'avoir sauvée ?

- Tais-toi un peu. Je te ramène chez toi.

- À San Gennaro ? demanda Astrid, pleine d'espoir.

- Oui.

- Merci...beaucoup.

La lune les suivait gaiement alors que Bari s'éloignait. Bientôt, elles furent sur l'autoroute. Astrid se calma peu à peu. Tu n'es pas encore en sécurité. Elle a l'air complétement folle. Une expérience scientifique ? Sérieusement ? Et elle les a assassinés !

- J'ai déjà croisé ta mère, brièvement. Elle était enceinte de toi.

- Ma mère ? répéta Astrid.

- Oh, nous n'étions pas amies. Nous nous sommes juste rencontrées alors que j'allais voir Antonio Cavaleri. J'étais toute jeune, soupira-t-elle. La belle époque ! Mais je n'ai pas oublié son visage. Je suis assez physionomiste.

Ça n'explique pas pourquoi elle m'a sauvé la vie. Mais Madeleine Clarence ne prononça plus un mot jusqu'à ce qu'elles soient à Avellino, deux heures plus tard.

- Au fait, quel est ton vrai prénom ?

- Astrid.

- Original. Plus germanique qu'espagnol.

Le mot « germanique » amena la jeune femme à penser à Lars. « J'ai passé cinq ans en enfer ».

- La P.I.H.S, c'est vraiment horrible, n'est-ce pas ? souffla-t-elle.

Madeleine Clarence se crispa presque imperceptiblement. Quelques ridules apparurent au coin de ses yeux, et pour la première fois, elle avait l'air d'avoir son âge, probablement quarante-cinq ans. Elle secoua la tête comme pour chasser une mouche envahissante.

- Assez pour que je n'y reste pas plus de deux mois.

Elle se gara devant la petite église de San Gennaro. Astrid ouvrit prudemment la portière.

- Nous nous reverrons, et j'espère que tu pourras rembourser la dette que tu as envers moi.

Madeleine Clarence lui fit un clin d'œil, effectua un demi-tour parfait et disparut dans la nuit.

Astrid regagna la Villa, encore un peu sous le choc. Elle est à la fois triste et joyeuse, à la fois cruelle et bienveillante. Encore un vrai mystère.

Elle fut accueillie par Mama et Ernesto, enfin rentrés de Sicile. Grâce à eux, Farid Hazdrah était de nouveau enfermé à la P.I.H.S. Xiu la serra dans ses bras et s'empressa d'aller lui réchauffer une assiette de nouilles. Salvatore appela le commissaire Caramanti et Astrid lui expliqua toute l'histoire.

- J'envoie des hommes à Bari pour récupérer le corps de Varapovic. Vous êtes libres, tous. Merci d'avoir collaboré avec la police.

- Pas avec la police, précisa Astrid, avec vous, commissaire.

Caramanti lâcha un « pff ! » méprisant mais elle savait que ça lui faisait plaisir.

Un peu plus tard, alors qu'Ernesto et Mama racontaient leur propre aventure, on frappa à la porte. C'était Lars. Astrid bondit de sa chaise et lui sauta au cou.

- Ai-je assez attendu, chérie ? chuchota-t-il dans ses cheveux.

- Je crois que oui.


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