Chapitre 19.2
- Maurizio a pris sa retraite ? demanda Salvatore en fronçant les sourcils.
Le commissaire Maurizio était un grand ami d'Antonio. La Villa n'avait jamais eu de problème avec lui. Il était loin d'être incorruptible.
- En effet, répliqua Caramanti d'un ton sec. Je le remplace. Asseyez-vous.
Bien que Salvatore parût contrarié qu'on lui donne des ordres dans sa propre maison, il s'exécuta, comme Ernesto, Mama et Astrid. Caramanti croisa ses jambes interminables et le bout de ses doigts.
- Vous avez entendu parler de la P.I.H.S, je suppose ?
- La Prison Internationale de Haute Sécurité, oui, répondit Salvatore. Le lieu le plus sécurisé du monde.
- On l'appelle la Forteresse de la Terreur, chez nous, précisa Ernesto avec un sourire.
- Et pourtant, quatre prisonniers se sont évadés mardi dernier.
- Nous n'y sommes pour rien ! s'insurgea Salvatore.
- Je n'ai jamais dit ça, monsieur Umberto, fit Caramanti. Ils ont réussi à sortir par leurs propres moyens. Mais maintenant, ils vont sûrement chercher à se réfugier quelque part. Chez des gens comme eux, chez des gens comme vous. De plus, deux d'entre eux ont déjà habité en Italie, selon nos informations.
- Vous savez que...
- Que vous êtes des criminels ? Me prenez-vous pour un idiot ? Antonio Cavaleri est encore plus connu que Madonna dans cette région !
La commissaire poussa un soupir exaspéré et ses yeux presque jaunes se plissèrent. Salvatore saisit la main d'Astrid comme s'il s'attendait à une catastrophe.
- Vous allez m'aider à retrouver ces évadés.
- Pourquoi ferions-nous ça ? demanda Mama.
- Parce que sinon, vous allez prendre leur place à la P.I.H.S. La jeune demoiselle aussi.
Ses yeux d'aigle croisèrent ceux d'Astrid qui frissonna.
- Elle n'a jamais rien fait ! protesta Salvatore, furieux.
- Dans votre milieu, quand on cherche un crime, on le trouve. J'ai besoin que deux d'entre vous partent dès demain en Sicile pour aider mes collègues à retrouver Farid Hazdrah, un contrebandier et un trafiquant qui doit traîner quelque part en Méditerranée.
Mama et Ernesto échangèrent un coup d'œil.
- Nous irons. Nous le connaissons un peu.
- Très bien. Monsieur Umberto, mademoiselle, vous êtes priés de vous rendre au commissariat demain à huit heures. Nous allons avoir le plaisir de collaborer pour retrouver les trois derniers prisonniers.
- C'est du chantage, siffla Salvatore. Et je refuse qu'Astrid soit impliquée là-dedans.
- Salva...nous n'avons pas le choix. Et puis, ça me changera les idées.
Il lui lança son regard attendri de père protecteur.
- C'est dangereux, mon amour.
- Tout est dangereux dans votre milieu, fit Caramanti. Bonne soirée et à demain.
Et il quitta la Villa, sa longue silhouette disparaissant dans la nuit, les deux autres policiers sur ses talons.
- Je n'ai jamais entendu parler de cette prison, fit Astrid.
- Elle est secrète. Et pire que Fort Knox, Alcatraz et Guantánamo réunis, répondit Ernesto.
On dit que la seule façon de s'en évader, c'est de mourir. Je me demande comment ils ont fait.
- Où se trouve-t-elle ?
- Quelque part dans l'océan Atlantique. Elle n'abrite que des criminels internationaux.
Astrid songea à Lars. Est-ce la prison dont il parlait ?
Le lendemain, elle était prête à sept heures. Elle était étrangement excitée. Enfin un défi, quelque chose qui lui donnait une raison de se lever de matin, une manière d'oublier que sa vie sentimentale était un mélange entre Verdun et Hiroshima, au moins ! Salvatore but plusieurs tasses de café en maugréant.
- Tout ça ne me dit rien qui vaille...Farid Hazdrah est une vraie ordure, je me demande qui sont les trois autres.
- Vous connaissez ce Farid ?
- Antonio connaissait tout le monde, mon bébé. Tu vas bien ?
- Oui. J'ai plutôt bien dormi.
C'était la vérité : elle n'avait même pas fait de cauchemar. Elle et Salvatore se rendirent au commissariat, où ils furent invités à entrer dans le bureau du commissaire Caramanti. La pièce ne contenait aucun objet personnel, à l'exception d'une photo d'un petit garçon qui jouait au football, posée sur le bureau. L'aigle aurait-il un aiglon ?
- Le plus dangereux des évadés est sans doute Cecil Bartholomew, un meurtrier et un vrai boucher, originaire de Washington. Sa passion était d'étudier les organes humains, qu'ils prélevaient lui-même sur les cadavres...ou sur des gens encore vivants. Un vrai savant fou, d'après ce que disent les rares personnes qui le connaissent.
Ces mots clignotèrent dans la tête d'Astrid.
- Je connais un autre savant fou. Très gentil, lui, précisa la jeune femme. Il pourrait peut-être nous aider...
Salvatore et Caramanti froncèrent les sourcils.
- Allons à Frosinone.
Une fois là-bas, Kate accueillit Astrid en la serrant longuement dans ses bras.
- Le retour de l'enfant prodigue ! Les petits sont à l'école, quel dommage !
Le commissaire Caramanti s'éclaircit la gorge.
- Nous venons voir Claudiu Popa. Est-il là ?
- Oui, je vais le chercher.
Le docteur P apparut, et salua chaleureusement Astrid et Salvatore. Tous s'assirent à la grande table du réfectoire. Caramanti sortit un calepin et un stylo, et attaqua :
- Vous connaissez Cecil Bartholomew ?
Les yeux du docteur s'écarquillèrent derrière ses lunettes rondes.
- Si je connais Cecil ? Mon dieu, oui. Je croyais qu'il était en prison.
- Il s'est évadé. Nous devons le retrouver. Racontez-moi comment vous l'avez connu.
- Hé bien...la Securitate m'a pris mon fils, Andreï, afin que je travaille pour le gouvernement soviétique. C'était la Guerre Froide.
Astrid prit la main du docteur dans la sienne. Elle savait que c'était douloureux pour lui de parler de son fils perdu.
- Les Russes et les Américains étaient rivaux dans tous les domaines...vous avez entendu parler du légendaire combat de boxe d'Igor Galienov et de Jimmy Bull, pendant les Jeux Olympiques de Munich, en 1972 ?
- Non.
- Les Russes m'avaient demandé...d'aider...Igor Galienov à gagner...avec quelques produits dopants. Des piqûres, ce genre de choses... Mais les Américains avaient demandé à Cecil de faire la même chose avec Jimmy Bull. Le combat a duré plusieurs heures.
Il eut un grand sourire fier.
- C'est Igor qui a gagné, évidemment. Et Cecil me déteste depuis ça.
- Assez pour vouloir se venger ?
Le docteur P redressa ses lunettes et hocha la tête.
- Il a dit qu'il me ferait payer et qu'il me découperait le foie lui-même. Ou la vésicule biliaire, je ne me souviens plus.
- Depuis quand Bartholomew est en prison ? demanda Salvatore à Caramanti.
- Depuis 1973.
- Plus de quarante ans à la P.I.H.S, ça n'a pas dû l'arranger...soupira Astrid.
- Surtout, cela signifie que la dernière chose qu'il a vécu en tant qu'homme libre, c'est la défaite de son champion. Sa défaite contre vous, fit Caramanti au docteur P.
- Cecil est intelligent et revanchard, déclara gaiement ce dernier. Il a dû se mettre à me chercher dès sa sortie de prison...
- Alors, il est en Italie, conclut Salvatore d'un ton lugubre.
***
Le commissaire Caramanti se renseigna sur tous les faits divers ayant eu lieu à Frosinone et en Campanie, et, très vite, il trouva une piste. Il y avait eu une explosion dans un supermarché près de Scampia, et cinq corps avaient été retrouvés. Leurs organes avaient disparu. En entendant le nom de ce quartier familier, Astrid eut une nouvelle idée. Son cerveau était en pleine ébullition.
Elle conseilla au commissaire de mettre une tenue civile pour passer inaperçu. Salvatore affichait un air mi- paniqué mi- horrifié depuis qu'il avait appris qu'Astrid avait mis les pieds à Scampia. Elle ne lui avait pas tout raconté à propos de la période sombre où elle était livreuse. Plus que jamais, il la suivait partout et la câlinait à la moindre occasion. Elle le laissait faire, car elle savait que c'était sa façon d'exprimer sa culpabilité.
- Tina, apporte la gnole ! aboya Agostino Lucci en voyant Astrid devant sa porte. Tu nous as amené de la visite ? Qui c'est donc ?
- Je vous présente Salvatore et...Emilio.
- Avec lequel tu couches ? Les deux, peut-être, et j'ai fait une gaffe ?
- Non, aucun des deux. Tino, Tina, j'ai besoin de votre aide. Nous devons trouver un type qui doit traîner dans le coin. Un américain. C'est sûrement le responsable de l'explosion du supermarché.
Tino et Tina échangèrent un coup d'œil. Le commissaire semblait particulièrement mal à l'aise et Salvatore couvait Astrid des yeux.
- Oui, on l'a déjà vu. Il a voulu acheter la vésicule biliaire de Tino. Il veut acheter la vésicule biliaire de tout le monde, même celle des drogués qui vivent dans le squat, en bas. La mamma Bobbo est intéressée, pour arrondir sa fin de mois, elle me l'a dit hier.
- Je peux vous demander un service ? Acceptez sa proposition.
- On va pas lui vendre ma vésicule biliaire ! protesta Tino.
- Non, vous allez simplement le lui faire croire. Et quand vous irez le retrouver pour conclure l'affaire, on pourra l'attraper. Ce sera un piège, vous comprenez ? Vous voulez bien faire ça pour moi ?
- Bien sûr, ma jolie, qu'on va faire ça pour toi.
En rentrant au commissariat, Caramanti se porta à la hauteur d'Astrid.
- Si votre plan fonctionne, vous aurez toute mon admiration.
- Son plan fonctionnera, assura Salvatore.
Astrid sourit. Tina a parlé de drogués dans un squat. Giulio est peut-être là-bas ?
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