Chapitre 17.1
Chapitre 17
Le jardin de l'hôtel Royal Mahārāshtra était le plus beau qu'Astrid n'ait jamais vu. Au centre se trouvait une fontaine dentelée, où flottaient des nénuphars, avec un éléphant en marbre qui crachait un jet d'eau par la trompe. Les quatre coins étaient surveillés par un gros Bouddha doré et souriant. La végétation, émaillée de fleurs roses, jaunes, orange et rouges, de longues lianes et de feuilles aux formes étranges, était sillonnée de sentiers en graviers blancs.
Les chambres étaient aussi somptueuses, chacune un petit palais de maharadja, avec des dorures et des meubles sculptés. Peut-être un peu kitsch, jugea Astrid.
- J'ai faim, annonça Ernesto. On va goûter ?
Georgios lisait un guide de Mumbai, ses lunettes au bout du nez.
- Allez-y sans moi. J'étudie notre itinéraire.
Ernesto et Astrid descendirent et commandèrent du kulfi, une sorte de glace onctueuse à la pistache et à la cardamone. La jeune femme se sentait beaucoup mieux, malgré la chaleur moite qui régnait en Inde. Mais la présence d'Ernesto et de son grand-père était incroyablement rafraichissante.
- Je suis contente d'être avec toi, fit Astrid en prenant la main du cubain. Ce n'est pas souvent.
- Moi aussi, princesse. Nous avons besoin de nous changer les idées. Depuis qu'Antonio...
Il ne finit pas sa phrase et soupira.
- Il nous laisse un beau bazar à gérer. Mais nous y arriverons. Nous avons ton grand-père, maintenant. C'est un intellectuel, du genre à lire des bouquins gros comme des briques.
- C'est vrai, pouffa Astrid. Comme le guide de Mumbai que nous avons acheté.
- Avec lui, au moins, on ne se perdra pas.
Ils remontèrent tous les deux dans la chambre ou Georgios était en train de préparer soigneusement leurs sacs à dos.
- Tu as mis de la crème solaire, mon petit ? C'est une vraie fournaise, dehors.
- Salvatore, sors de ce corps ! s'exclama Ernesto, ce qui fit rire Astrid aux éclats.
- Ne vous moquez pas, Ernesto, il m'a dit qu'il me tuerait si je ramenais Astrid avec un seul coup de soleil. Je prends cela très au sérieux.
En riant encore, ils sortirent du Royal Mahārāshtra et s'aventurèrent dans la ville de Mumbai, poussiéreuse, bruyante, colorée, grandiose et misérable à la fois. Le trio devait rencontrer un certain Kumar Sanjay Singh et son groupe, spécialisés dans le vol à la tire.
- Ils ne sont plus rentables depuis des mois, expliqua Georgios.
- Ils coûtent chers ? demanda Astrid.
- Eux non. Mais ceux qui revendent la marchandise, après, en toute discrétion, réclament un salaire. Antonio l'a déjà réduit au minimum, mais ça ne suffit plus. Il faudrait que Kumar et son groupe volent des objets qui rapportent plus. C'est la seule solution.
- Vous le connaissez ?
- Non, je l'ai jamais vu, répondit Ernesto en haussant les épaules.
Ils avaient rendez-vous dans un ancien entrepôt utilisé par l'industrie du cinéma de Bollywood. Il était maintenant à l'abandon, et semblait crasseux.
Ils poussèrent une porte qui ne tenait sur ses gonds que par miracle. L'intérieur paraissait vide, à l'exception de quelques caisses poussiéreuses. Brusquement, comme tombé du ciel, un garçon atterrit devant eux. Il était dégingandé et très maigre, les cheveux noirs et drus, et un bandeau cachait son œil droit. Il ne devait pas avoir plus de quatorze ans.
- Je suis Kumar Sanjay Singh.
C'est un gamin ! Et soudain, d'autres enfants apparurent, sautant du balcon filant intérieur comme Kumar, ou jaillissant de derrière les caisses. Astrid compta sept garçons et cinq filles. Aucun n'avait plus de douze ans, et la plus jeune, une fillette minuscule, devait avoir six ans.
Tous regardèrent Ernesto, Georgios et Astrid comme s'ils venaient d'une autre planète.
- Ce sont des enfants, souffla la jeune femme à son grand-père. Ils ont l'air si vulnérable...
Un garçon posa une question en marathi, la langue de Mumbai. Kumar lui répondit sévèrement. Une petite fille aux grands yeux d'oisillon perdu s'approcha d'Astrid et frôla sa jambe. Elle avait le visage et les mains sales.
- Vous êtes des amis d'Antonio ? demanda Kumar.
- Oui. Je suis Georgios, et voici Ernesto et Astrid, sa filleule. Allons discuter, mon garçon.
Quand le grec et le jeune indien partirent à l'écart, Astrid empoigna Ernesto par le bras.
- Il faut aller leur chercher à manger, Ness. Vas-y.
- Je ne sais pas si je peux te laisser...
- Ce sont des enfants, ils ne me feront rien.
- Qu'est-ce que j'achète ?
- N'importe quoi ! Des sandwiches, des fruits, du kulfi !
Des enfants maigres comme des clous, livrés à eux-mêmes et obligés de voler pour survivre. C'est vraiment horrible. Ernesto revint avec un sac rempli de sandwiches au poulet. Astrid les distribua à la ronde et bientôt, les regards intrigués se remplirent d'admiration. Georgios revint. Astrid lui attrapa le bras à son tour.
- Nous ne pouvons pas les abandonner. Il faut continuer à leur donner de l'argent, même s'ils ne rapportent rien ! On se fiche bien de leur rentabilité !
- Évidemment, mon petit. Je crois que c'est ce qu'Antonio aurait voulu.
- Ils ont besoin de plus de nourriture, et d'une bonne douche. Nous devrions les faire venir à l'hôtel.
- Je ne pense pas qu'ils accepteraient. Kumar a l'air d'être un garçon très mature, autoritaire et fier. Il m'a assuré qu'il comptait augmenter leurs rendements le plus tôt possible.
- Au moins les petites filles, alors.
Kumar, non sans une certaine méfiance, accepta que les deux plus jeunes fillettes partent avec Astrid. Il croisa les bras sur sa poitrine.
- Ce sont les plus petites et les plus fragiles, lança-t-il à la jeune femme, dans un anglais hésitant. Les autres n'ont pas besoin de vous. Demain, vous devez les ramener ici avant midi.
Vous avez tous besoin d'aide. Vous n'êtes que des enfants, et toi aussi, Kumar.
Néanmoins, malgré les tentatives d'Astrid pour le faire changer d'avis, l'adolescent resta inflexible. Si jeune, et déjà si vieux.
Les deux fillettes se nommaient Gita et Deepali. C'était la petite aux yeux d'oiseau et la minuscule qui devait avoir six ans. Astrid demanda deux chemises propres à la réception de l'hôtel et les emmena dans sa chambre. Bien que timides, Gita et Deepali se laissèrent nettoyer sous l'immense douche dorée de la salle de bain. Astrid leur enfila les chemises, leur apporta à manger et les laissa jouer avec ses cheveux et son téléphone portable.
Ernesto passa et fit son numéro de clown habituel, faisant rire les fillettes, même si elles ne comprenaient pas un mot de ce qu'il disait. Pendant qu'il imitait l'éléphant, Astrid téléphona à Daniel, puis, comme il ne répondait pas, à Salvatore. Sans succès non plus. Finalement, elle appela la Villa et Mama :
- Tu as des nouvelles de Daniel et Salva ?
- Pas une seule. Pourtant Londres n'est pas le bout du monde.
- Tu crois qu'ils m'ignorent ?
- Mais non, ma fille. Cesse de te miner. Ils t'aiment.
Astrid ne dormit pas vraiment sereinement, sur le large canapé de la chambre. Le souffle régulier de Gita et Deepali ne suffit pas à la bercer. Elle ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter. Daniel a dit qu'il ne me quittait pas, il a dit que j'avais besoin d'une pause, et il a raison...mais Salvatore aurait dû répondre, lui. Qu'est-ce qui aurait pu leur arriver, à Londres ? Écrasés par un bus à double étage ? Étranglés avec de la Jelly ? Étouffés dans une cabine téléphonique ?
J'ai pris une grande décision : à partir de maintenant je posterai deux fois par semaine. Si un jour en particulier vous arrange, dîtes-le moi, sinon bah...ce sera au pif ! :D
Zoubi zoubi !
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