Chapitre 16.2

À dix-neuf heures trente, elle quitta l'hôtel sans un mot pour Daniel et Salvatore. Ils me tapent sur les nerfs. Eux ont tous les droits et moi je dois rester une bonne petite fille sage et soumise ?

Adriano avait dressé une table au milieu de la grande pièce. Tous les tableaux étaient recouverts de draps blancs, et formaient comme une assemblée de fantômes autour d'eux. Des fantômes avec des oreilles coupées, de longues barbes, des favoris, des canotiers. Il ouvrit une bouteille de vin et ils commencèrent par parler de Venise.

- Ça doit être la ville idéale pour peindre.

- En effet. Elle concentre à la fois toutes les beautés et les laideurs.

- Les laideurs ?

- Oui. Le tourisme de masse, le profit à tous prix, la superficialité, la vanité humaine. Mais il y a tout autant de beautés ! La légèreté, les couleurs, la poésie et surtout, parfois, au détour d'une ruelle, la plus belle chose du monde : le silence.

Astrid piqua une pâte avec sa fourchette. Elle aurait pu l'écouter pendant des heures.

- La vraie beauté n'est pas celle que l'on te montre, mais celle que tu ressens par toi-même.

Il s'interrompit un moment puis détailla longuement le visage d'Astrid.

- Je pourrais vous peindre, si vous le désirez. Vous avez besoin qu'on vous regarde. Pas comme une enfant, mais pas non plus comme une femme. Simplement comme une belle personne.

Astrid se sentit rougir. Elle secoua la tête.

- Non. Je ne suis pas une belle personne.

- Je suis sûr que si. Votre fiancé le sait, et votre père aussi.

- Daniel n'est pas mon fiancé, et Salvatore n'est pas mon père.

- Vous avez raison. Ils sont bien plus que ça pour vous.

Adriano sourit et se resservit du vin. Astrid remua ses paroles dans sa tête.

- Et vous, vous avez une fiancée ? demanda-t-elle.

- Oui. Sara. Nous allons nous marier.

- Félicitations !

Quand Astrid rentra, Daniel semblait dormir. Elle savait que ce n'était pas le cas. Elle repensa aux paroles d'Adriano et se dit qu'elle devait lui demander pardon et l'enlacer. Daniel n'était pas rancunier. Il avait tellement de qualités. Néanmoins, elle se glissa dans le lit et lui tourna le dos. Pourquoi suis-je tout le temps en colère ? Parce qu'Antonio est mort mais que nous continuons à vivre dans son monde ? Parce que je ne connais toujours pas l'assassin de Mattia ? Parce que je pense encore à Lars ? Parce que Domenico va divorcer ? Parce la voiture de mes parents est partie en fumée ?

Elle tira sur son oreille droite jusqu'à ce qu'elle s'endorme.

                                                                                              ***

Le lendemain, c'était dimanche. Quand elle s'éveilla, Daniel n'était plus là, mais il avait laissé un mot sur la table de nuit : « Nous sommes allés visiter la Place San Marco avec Salvatore. Nous rentrons vers midi. D. » Au moins, ma mauvaise humeur les a rapprochés, tous les deux. Elle s'enroula dans la couverture et alluma la télévision.

C'était une de ces émissions racoleuses où des célébrités dévoilaient leur vie privée à une présentatrice blonde. La gorge d'Astrid se transforma en nœud marin quand elle vit que l'invité était Domenico.

- Francesca et moi allons divorcer, oui, c'est vrai, disait-il. Il y a quelques temps, j'ai rencontré une jeune femme et nous avons eu une liaison. Je croyais que c'était de l'amour.

- Mais ça ne l'était pas, ajouta inutilement la présentatrice.

- Non. Elle s'est moquée de moi, elle a abusé de ma confiance. Elle n'en voulait qu'à mon argent.

Le public poussa un « oh ! » atterré.

- Vous détestez cette jeune femme ? demanda la présentatrice.

- Un peu, avoua Domenico. Mais elle me fait aussi de la peine. Elle n'a qu'une vingtaine d'années et elle a déjà atteint un stade avancé de délabrement moral.

Et voilà. Je suis délabrée moralement.

- En même temps, cette relation empoisonnée m'a ouvert les yeux et m'a montré que je n'étais plus heureux avec Francesca. Voilà pourquoi nous avons décidé de nous séparer.

Je suis délabrée et empoisonnée.

Astrid pleurait toujours quand Salvatore et Daniel rentrèrent.

Ils retournèrent à San Gennaro le lendemain. Astrid avait insisté pour qu'Adriano et son atelier ne soient pas privés de subventions. Elle insista aussi pour repartir en voyage le plus vite possible. Daniel lui prit doucement la main.

- Tu pourras repartir, Astrid, mais sans moi.

- Pourquoi ?

- J'ai pensé...qu'il fallait que nous fassions une pause, tous les deux. Tu es malheureuse, et je vois que ma présence ne t'aide pas.

- Tu me quittes ? murmura Astrid, bouleversée.

- Non ! Je serais là dès que tu auras de nouveau besoin de moi. En attendant, tu peux partir en Inde avec Georgios et Ernesto. Salvatore et moi allons à Londres.

- D'accord.

Il lui prit la tête entre les mains et l'embrassa sur le front.

- Je t'aime, Astrid.

- Moi aussi, tu sais. Et...je suis contente que tu t'entendes bien avec Salva.

- Nous avons un merveilleux point commun.



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