Chapitre 16.1

Chapitre 16

Après son aventure américaine, Astrid se serait bien vue explorer l'Australie ou le Mexique, or son avion atterrit en Italie. Mais pas n'importe où en Italie : à Venise.

- Antonio adorait cette ville, expliqua la jeune femme à Daniel. Il disait que s'il n'avait pas été mafieux, il aurait été gondolier.

- C'est magnifique. Et c'est la ville des amoureux. On pourrait presque croire que nous sommes en voyage de noces, tous les deux.

- Mais il y a Salvatore.

- Où est-il, d'ailleurs ?

- Probablement en train de m'acheter une ceinture de chasteté, pouffa Astrid.

Le ciel était gris perle au-dessus de la Sérénissime quand ils arrivèrent à leur luxueux hôtel. La jeune femme se laissa tomber sur l'immense lit pour tester la dureté du matelas.

- Ouah ! Il est bien mieux qu'à Barney Hills. Là-bas, j'avais l'impression de dormir sur une planche. Mais tu sais ce qui est le mieux ici ? Je n'ai vu aucune Pocahontas vicieuse.

- Astrid. Je croyais que c'était pardonné.

- Il n'y a pas de pardon, Dan, il n'y a que de l'oubli. Et je n'ai pas encore oublié, puisque ça ne fait que deux jours.

- Tu es bien philosophe. Embrasse-moi plutôt.

Par la fenêtre, ils voyaient l'élégant pont du Rialto étirer son arche au-dessus du Grand Canal, recouvert de touristes. Daniel ironisa :

- Nous ne sommes jamais seuls, ici. Alors que dans le Wyoming...

- Mieux vaut une grappe de touristes échevelés qu'une seule sorcière à plumes.

- Vous êtes prêts ? demanda Salvatore qui venait d'entrer dans la chambre sans la moindre gêne.

- Tu pourrais frapper, lui fit remarquer Astrid.

- Non, sinon vous vous sentirez libres de faire n'importe quoi, n'importe quand.

Astrid leva les yeux au ciel en soupirant.

- Où se trouve l'atelier des artistes ? questionna Daniel.

- Près de l'Arsenal.

Cette fois, ils allaient visiter l'atelier d'une dizaine d'hommes spécialisés dans le trafic d'œuvres d'art et la fabrication de contrefaçons, surtout de tableaux. C'étaient tous des peintres de grand talent, selon les quelques notes qu'Antonio avait laissées. Mais depuis quelques temps, ils rapportaient moins qu'ils ne coûtaient.

- Cette ville a vraiment la forme d'un poisson, remarqua Daniel alors qu'ils marchaient. Regarde sur la carte, c'est flagrant.

- Oui, je vois.

Il est mignon. Daniel faisait preuve d'un enthousiasme attendrissant et s'émerveillait devant la moindre petite église ou petite place. Il lui avait confié qu'il n'avait pas beaucoup voyagé, qu'en fait il ne connaissait que la France, un peu la ville de Québec et la région de Naples, grâce à Antonio. Salvatore, lui, marchait d'un pas assuré sans accorder un regard aux beautés de Venise. Il fait son blasé.

Ils arrivèrent devant une maison à la façade un peu délavée et aux volets vert foncé. Un très bel homme aux cheveux bouclés leur ouvrit. Il portait une blouse recouverte de taches multicolores.

- Je suis Adriano, se présenta-t-il, avec l'accent vénitien. Je vous en prie.

À l'intérieur, on avait abattu les murs pour que le rez-de-chaussée ne forme qu'une seule et même pièce lumineuse, au sol carrelé, et où s'entassaient toiles, chevalets, pinceaux et bâches.

Adriano leur montra plusieurs peintures, copies d'œuvres peu connues.

- Les plus célèbres sont déjà dans des musées, et authentifiées, expliqua-t-il. Notre travail consiste aussi à nous renseigner sur des tableaux méconnus d'artistes renommés, qui le plus souvent ont disparus...et que nous faisons renaître. Celui-ci est un Van Gogh. J'y travaille personnellement depuis deux mois.

- Il est parfait, fit Astrid, impressionnée. Et celui-ci ? Je dirais un Rembrandt.

- C'est une invention. Nous empruntons le style d'un artiste et nous créons une œuvre qu'il n'a pas peinte...mais qu'il aurait pu peindre. Nous sommes aussi des imitateurs.

- C'est fabuleux, vraiment.

- Vous vous y connaissez, en peinture ?

- J'étudie l'histoire à l'université, et j'ai eu des cours d'histoire de l'art.

Adriano eut un sourire ravi et lui montra plusieurs autres tableaux. Daniel et Salvatore suivaient en paraissant s'ennuyer un peu, mais Astrid était captivée.

- Vous préférez copier une œuvre existante ou en créer une nouvelle ?

- Créer, évidemment. Je m'inspire de modèle, parfois. Vous feriez un bon modèle, ajouta-t-il en regardant Astrid d'un air inspiré. Vous pourriez être...un Renoir, par exemple.

- Oh, c'est plutôt flatteur.

Adriano lui sourit encore, un beau sourire blanc.

- Comment se fait-il que vous n'ayez pas vendu de tableau depuis trois mois ? attaqua Salvatore dont ils avaient presque oublié la présence.

- Les aléas du marché de l'art...nous avons de plus en plus de concurrents, particulièrement en Asie.

- Vous voulez dire que des asiatiques savent mieux copier des Renoir et des Van Gogh que vous ? répliqua à son tour Daniel.

Pourquoi sont-ils si agressifs ? Ah, j'ai compris.

- Certains, oui...

Astrid entraîna Daniel et Salvatore à l'écart tandis qu'Adriano discutait avec un de ces collègues. Elle était en colère.

- Arrêtez d'être désagréable avec lui !

- On se sent un peu à l'écart, mon bébé, expliqua Salvatore. Tu es tellement cultivée, toi. Je ne savais même pas que Renoir était un peintre. Et cet Adriano parle comme si c'était évident.

- Oui, il ne voit que toi, visiblement, ajouta Daniel.

- Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?

- Ça veut dire qu'il n'aimerait pas que te peindre.

- Oh ! Le principal, c'est que je n'aille pas m'enfermer dans un tipi avec lui, non ?

- Astrid, c'est injuste.

Elle lui lança un regard noir et fit un signe à Adriano.

- Je vous invite à dîner, ce soir. Nous parlerons peinture.

Le peintre adressa un regard méfiant à Daniel qui enfonça ses doigts dans le bras d'Astrid. Elle l'ignora.

- Ce serait avec plaisir, mademoiselle Cavaleri. Mais permettez que ce soit moi qui vous invite. Ce soir à vingt heures, ici, ça vous irait ?

- Parfait ! À ce soir.

- Tu vas dîner avec lui ? s'étrangla Daniel une fois dehors. Pourquoi essaies-tu de me rendre jaloux ?

- Pour te montrer un peu ce que ça fait.

- Je rêve, tu me reproches encore Ozalee ? Elle m'avait ensorcelé, tu l'as dit toi-même...

- Elle ne t'a pas ensorcelé, elle n'a pas de pouvoir magique ! Le rituel d'Erzulie m'a simplement servi à vous montrer à quel point elle était folle, et ça a marché, puisqu'elle a essayé de m'étrangler !

- Astrid...voulut intervenir Salvatore.

- De quoi je me mêle ? Je ne coucherai pas avec Adriano, si c'est ce qui vous inquiète. Je vais simplement discuter art et culture avec lui.

- Désolé de ne pas être assez cultivé pour vous, mademoiselle Cavaleri, ironisa Daniel.

- Oui, c'est franchement insolent, ça, Astrid, ajouta Salvatore.

- Allez-vous faire voir !


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