Chapitre 14.1
Chapitre 14
Domenico dut partir à San Remo, et supplia Astrid de l'accompagner. Mais elle refusa.
- Tu vas me manquer.
- Je t'appellerai, promis.
Il lui lissa les cheveux d'une main affectueuse et l'embrassa.
- Je vais gagner, pour toi. Surtout, prends soin de toi.
- Oui, Domi. Toi aussi.
Plus le temps passait, et plus elle s'attachait à lui, et ce n'était pas bon du tout. Elle se disait souvent qu'il fallait qu'elle le quitte avant que ça ne devienne trop grave. Mais elle ne s'en sentait pas capable, parce qu'il y avait Daniel, et qu'elle ne pouvait pas l'abandonner par sentimentalisme. Il lui fallait ces cent mille euros, et il ne lui restait qu'un mois.
Elle continua à effectuer des livraisons, dont plusieurs chez Tino et Tina, qui étaient toujours aussi sympathiques. Malgré tout, il lui restait encore à récolter soixante-quinze mille euros.
Je n'y arriverais jamais.
La colère devint sa plus fidèle amie. Elle faillit massacrer son four à micro-onde parce qu'il refusait de fonctionner au premier essai. Elle était retournée dans cette petite église, où elle avait rencontré Carlo Battaglione avec Andrea, et elle s'était retenue pour ne pas réduire la statue de la Vierge larmoyante en mille morceaux.
Astrid s'installa pour regarder le festival de San Remo à la télévision. Elle savait pertinemment que Domenico n'avait aucune chance de gagner. Il allait encore l'appeler dans un état pas possible. Entre les deux chansons qu'il avait proposées, c'était La mia stella qui avait été retenue.
Elle grignotait du parmesan à même le sachet quand la sonnerie se fit entendre. C'était en effet Domenico ; il ne faisait pas partie du trio de tête, il avait fini douzième. Il était étrangement résigné et annonça qu'il rentrait à Naples le lendemain.
- Est-ce que tu as donné l'argent ?
- Oui. Merci encore, Domi. Tu m'as probablement sauvée la vie, et celle de mon père.
- Ce n'est rien. Tu devrais peut-être en parler à la police.
- Oh, non. Ce serait trop dangereux. Ils le sauraient.
- En tout cas, ton père ne doit plus jouer. Tu devrais peut-être lui faire faire une cure de désintoxication, ou quelque chose comme ça.
- J'y penserai. À demain.
Astrid remonta sur sa Vespa et rajusta son casque. Elle revenait de chez Tino et Tina, et elle avait la tête qui tournait. Il n'était que vingt-deux heures, elle pouvait passer au concert que donnait Domenico en plein air, comme la première fois où elle l'avait vu. L'alcool faisait battre son sang contre ses tempes, comme des coups sur un gong égrenant les jours qu'il lui restait. Quatorze. Il reste quatorze jours. Elle avait encore récolté vingt mille euros de plus, grâce à Domenico et à Giovanni. Mais ce n'était pas encore suffisant.
Il ne restait plus que quelques places au dernier rang, et elle se laissa tomber sur une chaise avec soulagement. Quand Domenico commença à chanter, il y eut des bruits de pétards, juste derrière elle. Une demi-douzaine de jeunes ricanait en fumant, buvant et criant. Les mêmes que la première fois ! Elle se souvint de la colère de Domenico et elle se leva brusquement.
- Hé vous ! Fermez-la !
Ils la regardèrent et éclatèrent de rire. La rage et l'alcool se mélangèrent et formèrent un cocktail détonant. Astrid avisa une barrière métallique qui n'avait pas dû survivre au dernier concert et gisait dans un coin : elle en ramassa un barreau et, sans penser, l'envoya dans la figure du premier jeune, un grand avec une casquette. Il poussa un cri et s'effondra. Elle s'apprêtait à en frapper un autre quand un type de la sécurité arriva et la ceintura. Elle ne se débattit pas et lâcha le barreau.
- Elle est folle ! piailla une fille. Elle a cassé le nez de Marco !
Astrid passa la fin de la soirée et la nuit au poste de police. Domenico vint la chercher discrètement à huit heures du matin.
- Qu'est-ce qui t'a pris, bon sang ? Tu aurais pu le tuer !
Elle ne répondit pas.
- Astrid, tu m'écoutes ? Hé !
Il agita sa main devant son regard fixe. La fille avait raison. Je suis folle, et il faut que ça s'arrête d'une manière ou d'une autre.
Le destin lui offrit une porte de sortie le lendemain.
***
Elle livra une dizaine de faux passeports dans une cave en périphérie de Naples. Un passeur clandestin les distribua sous ses yeux à des immigrés chinois, africains ou sri-lankais, alignés derrière des machines à coudre en piteux états. Certains, n'ayant pas reçu le précieux sésame, éclatèrent en sanglots.
Quand Astrid rentra dans son appartement, elle y trouva Francesca Sorabella.
- Que faîtes-vous ici ?
- Alors, c'est toi. La petite prostituée de Domenico.
Astrid ravala l'insulte mais son cœur se mit à battre plus vite.
- Comment êtes-vous entrée ?
- C'est moi, Astrid.
Domenico apparut, l'air anxieux. Il s'approcha de Francesca comme si elle était une bête sauvage.
- Astrid n'est pas une prostituée. Je l'aime.
Une alarme et des rayons rouges clignotèrent dans le crâne de la jeune femme. Elle revit le visage en pleurs d'une fille qui devait à peine avoir vingt ans, et qui n'avait pas reçu de passeport. Il y aura encore des larmes aujourd'hui.
- Je me doutais bien que tu avais une maîtresse, tu ne prenais même plus la peine de m'appeler. Et tu l'aimes, dis-tu ? Elle se moque de toi, et tu ne le vois même pas !
- Je...
- J'ai vu sur ton compte en banque que tu lui avais fait des virements !
- Ça n'a rien à voir...
- Mais tu es idiot à ce point-là ?
- Astrid, dis-lui, fit Domenico en se tournant vers elle.
Lui dire quoi ? Que je t'aime ? Ce n'est pas vrai. Oui, je me moque de toi !
- Elle a raison. Je ne suis pas amoureuse de toi.
Domenico tressaillit comme si elle lui avait mis une gifle. Il écarquilla les yeux et Francesca lâcha un petit rire.
- Au moins, elle ne persiste pas dans son mensonge.
- Ce n'est pas vrai !
Domenico se tourna lentement vers Astrid, et la fixa comme s'il avait affaire à une dangereuse psychopathe. La jeune femme sentit des larmes sur ses joues. Voilà. Je pleure.
- Je suis désolée, Domi.
- Ne m'appelle pas comme ça, espèce de menteuse ! Comment as-tu pu ? J'ai cru que...
Francesca prit son mari par l'épaule et le poussa vers la porte.
- Viens. Nous allons discuter loin de cette...horrible créature !
La porte se referma avec un claquement sourd, et Astrid dut se rattraper au canapé pour ne pas tomber. Domenico et Francesca ne revinrent pas. Elle se laissa donc choir à genoux sur le tapis, le cœur tellement serré qu'il devait ressembler à un raisin sec.
C'est fini. Je suis un monstre, mais c'est à cause de lui.
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