Chapitre 13.1
Chapitre 13
Astrid fut réveillée en pleine nuit par un cauchemar. À ses côtés dans le lit, Domenico Sorabella dormait comme un fauve repu. Elle l'avait laissé faire, et en dix minutes, l'affaire avait été conclue. Au moment crucial, il avait soufflé : « Je viens ! », ce qu'Astrid avait trouvé plutôt drôle.
Elle alla à la fenêtre et l'ouvrit : elle n'avait pas fermé les volets. Dehors, ça sentait la mer, l'essence, les poubelles. Ça sent Naples. Ma ville.
Elle retourna se coucher, la tête embrumée et le cœur serré.
- J'ai fait du café, annonça Domenico comme si c'était l'exploit du siècle. Tu en veux ?
Astrid ne buvait jamais de café le matin, mais elle se força à en vider une tasse. Le chanteur était incroyablement guilleret et n'arrêtait pas de l'embrasser.
- C'était formidable, hier soir, lui murmura-t-il en lui déposant un baiser sur la nuque.
Tant mieux pour toi. Elle lui sourit et mâcha son mauvais croissant.
- Je vois mon producteur, cet après-midi, et ce soir, j'ai un autre concert. Tu viendras ?
- Oh, ce soir je travaille, je suis désolée.
- Que fais-tu ?
- Je livre des...pizzas. Je vais sûrement finir tard, il y a un match de foot, et les commandes explosent toujours quand c'est la SSC Naples qui joue.
Domenico prit sa troisième tasse de café.
- Je ne dormirai pas ici, alors.
- Je peux te donner la clé.
Il eut un sourire ravi mais protesta pour la forme :
- On se connait à peine.
- Moi, je te connais par cœur. J'ai lu tous les articles sur toi.
- Dans ce cas, d'accord. Et je remercie ton père, parce que c'est grâce à lui.
- C'est vrai. Il est super.
- Où habite-t-il ?
- À Frosinone.
- J'aimerais beaucoup le rencontrer.
Astrid élabora un plan à toute vitesse : Je pourrais organiser une rencontre avec le docteur P par webcam, sur mon ordinateur. Il faudra que je le prévienne avant, évidemment.
Le soir vint, et la jeune femme se demanda anxieusement ce qu'elle allait devoir livrer. Giovanni lui donna d'abord son salaire de la veille : deux cents euros. En une soirée, c'est plutôt correct ! Cette fois-ci, ce n'était pas un colis emballé, mais une petite glacière.
- Agostino et Martina Lucci, à Scampia.
C'était un des quartiers les plus défavorisés de Naples. Astrid pâlit.
- Ça ne craint rien ? Je veux dire...
- Garde ton casque, et ça ira, fit Giovanni de son ton perpétuellement neutre.
Sur le chemin, elle songea à Mama et Ernesto, qui devaient être rentrés à la Villa. Et si Lars les avait enfermés eux-aussi ? Non, Salvatore n'aurait tout de même pas permis ça. Il les a plutôt convaincus de prolonger leur séjour. Elle nota aussi qu'il fallait qu'elle rattrape les cours qu'elle avait ratés quand elle était à la Pension. Je n'aurais jamais ma « laurea triennale » si ma vie continue à partir en vrille.
Les longs immeubles noircis et biscornus de Scampia, qu'on appelait « Vele », se dessinèrent à l'horizon, et Astrid se mit à guetter la moindre chose suspecte. Elle faillit hurler en percevant un mouvement à sa droite, mais ce n'était qu'un chat noir, maigrichon et pelé. Mauvais signe. Et si je me faisais tuer, hein ? Lars et Salvatore feraient moins les malins.
Elle attacha sa Vespa en se demandant si elle avait vraiment une chance de la retrouver, puis monta chez les Lucci. Agostino était un gros homme à moitié chauve, mal rasé, portant un débardeur à la propreté douteuse. Sa femme, Martina, était particulièrement laide, beaucoup plus grande que lui, avec de longs cheveux filasses. Néanmoins, elle sourit chaleureusement à Astrid.
- Je suis Tina, et ça, c'est Tino. Entre donc. Tu boirais bien un coup ?
Tino inspecta la glacière, et sous le regard épouvanté d'Astrid, en sortit...une main humaine.
- T'es toute pâle, ma jolie. Bois donc un peu de la gnole à Tina.
Astrid vida son verre, toussa, faillit en recracher la moitié, puis avala finalement.
- T'es nouvelle, toi ? Ça se voit, ricana Tino.
- Sois pas méchant, Tino, elle a l'âge de notre gamine. Une gamine, ça ne devrait pas voir ce genre de chose. Range-moi cette main.
- Les bonnes femmes ! soupira-t-il en disparaissant dans la cuisine.
Tina tapota le dos d'Astrid.
- Pourquoi une belle fille comme toi est devenue livreuse ? Tu aurais pu faire des photos de magazine, moi je te le dis.
- Merci, bafouilla Astrid, le cœur à la dérive. Il faut que je rentre.
- Attends ! Je vais te donner une bouteille !
Tina revint et tendit une bouteille de gnole à Astrid, qui la prit sans discuter. Elle voulait rentrer chez elle et oublier qu'il manquait sans doute une main à un cadavre. La Vespa était toujours là.
Astrid traversa Scampia à toute vitesse, sans plus se soucier de la discrétion si chère à Giovanni, alla rendre son véhicule et son casque et enfin, rentra chez elle.
Domenico était là. Quand il l'embrassa, il fit une grimace.
- Tu sens l'alcool.
- Oui. Un client a absolument voulu que je rentre pour boire un coup. Bonne journée, toi ?
- Excellente ! Je vais peut-être participer au festival de San Remo avec ma nouvelle chanson !
- Vraiment ? demanda Astrid en réunissant ce qui lui restait d'enthousiasme.
- Oui. La mia stella. Tu veux l'écouter ? Je l'ai écrite avant de te connaître, mais à présent, elle parle de toi.
- D'accord. Laisse-moi prendre une douche avant.
- Bien sûr.
La mélodie était plutôt jolie. Les paroles parlaient d'une fille qui était à présent son étoile, qui avait illuminé le ciel obscur et effacé le monde autour de lui, qui avait tué sa solitude, qui était triste et mystérieuse. Quand il était entre ses bras, il était un pêcheur au paradis, il ne pourrait jamais guérir de son corps, il voulait l'aimer jusqu'à la mort. Un peu mièvre, mais mignon.
- Tu viendras avec moi à San Remo ?
- Oh, Domi, je ne sais pas. Je travaille et je dois aller à l'université.
- Mmh. S'il te plait ?
- Je verrai, je te le promets.
Quand il fut endormi, Astrid se releva pour s'offrir une rasade de la gnole de Martina.
***
- Vous avez bien compris, docteur ? Vous êtes mon père et vous êtes un fan de Domenico.
- Domenico comment, déjà ?
- Sorabella, soupira Astrid. Cherchez sur Internet.
Derrière l'écran de l'ordinateur de la jeune femme, le savant fou redressa ses lunettes.
- D'accord, laissez-moi dix minutes.
Et une fois ce temps écoulé, le docteur se déclara prêt. Astrid posa son ordinateur devant Domenico.
- Papa, je te présente Domenico.
- Quel honneur ! s'exclama le docteur P avec emphase. Je suis votre plus grand fan.
- Je suis heureux de vous rencontrer, monsieur Popa.
- Vous connaissez mon adorable fille. Je l'ai faîte moi-même, avec mes spermatozoïdes.
Domenico eut un rire poli. Astrid grimaça.
- Vous la fréquentez ? Je n'espère pas, parce que vous avez une femme. Francesca, c'est écrit sur Wikipédia.
La jeune femme manqua s'étrangler. Domenico hésita :
- Euh, Astrid et moi sommes de très bons amis.
- Papa, nous allons te laisser.
- Déjà ?
- Oui. Au revoir, papa. Bisous.
Et elle referma l'ordinateur. Qu'est-ce qui m'a pris ? Le docteur P, sérieusement ?
- Il est un peu spécial, j'aurais dû te prévenir.
- J'ai vu ça. Il a l'air très drôle, en tout cas.
- Depuis que maman est morte, il perd un peu la tête. Et il passe ses journées à jouer au poker. Il perd à chaque fois, et je dois rembourser ses dettes.
Astrid avait inventé cette petite histoire pour pouvoir demander de l'argent à Domenico.
- Nous ne roulons pas sur l'or, ajouta-t-elle.
- Cet appartement doit valoir cher, remarqua le chanteur. Comment l'as-tu eu, dans ce cas ?
- Un héritage de la famille de ma mère. Je ne veux pas le vendre. C'est...sentimental, tu comprends ?
- Bien sûr.
Il se pencha et prit le visage d'Astrid entre ses mains.
- De l'argent, j'en ai, moi.
- Non ! Je ne veux pas que tu dises ça.
Pas encore, du moins. Tu ne me fais pas encore totalement confiance.
- J'ai un concert, ce soir. Cette fois, dis-moi que tu viendras, reprit-il.
- Je ne sais pas...
Elle inspecta l'invitation qu'il lui tendait. Apparemment, c'était un concert organisé pour récolter des fonds pour une association. Astrid lut plusieurs noms bien plus connus que celui de Domenico, et notamment Max Gazzè, un de ses chanteurs préférés.
- Je crois que je vais pouvoir m'arranger.
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