Chapitre 2 : Le réconfort caféiné sucré
La maison de Claudine, où Marge était désormais installée, conservait l'ambiance sombre d'une vieille demeure bretonne. Les murs étaient tapissés d'un antique lambris qui semblait absorber la lumière, conférant à chaque pièce une atmosphère rustique et déprimante. Les meubles étaient recouverts de napperons usés, témoins silencieux des années passées à servir de supports à des tasses de café fumant et à des plateaux de biscuits sablés à moitié mangés. On stoppait toujours la dégustation d'un sablé de Mamie Claudine après un premier contact contre les dents.
En descendant les escaliers, Marge se retrouva à devoir enjamber Vadrouille, le vieux matou de 14 ans de sa grand-mère, qui semblait toujours occuper le milieu du passage. Jamais en mouvement le chat apparaissait d'un point à l'autre, avachi de tout son long.
Dans la cuisine, Mamie Claudine s'affairait, passant sous l'eau froide les assiettes fumantes qui sortaient du lave-vaisselle. Marge choisit d'ignorer cette lubie et s'installa à la table de la cuisine.
— Sandrine, tu as bien dormi ?
— Encore raté, dit Marge en guise de bonjour. Je suis Marge.
— Je le sais bien, répondit la vieille dame avec évidence. Je t'ai sorti les céréales.
Marge se servit un bol de céréales colorées, une habitude qu'elle n'avait pas eue depuis des années, et entreprit de savourer le mets étonnamment mou tandis que sa grand-mère lui apportait un bol de lait au chocolat.
— Tu n'as pas du café plutôt ?
Claudine parut surprise une seconde avant de servir une tasse de café à sa petite-fille.
— Tu as dit que tu n'en buvais plus.
— Encore raté, c'est maman qui a décidé de se lancer dans une désintoxication de la caféine. Et si j'étais elle, je ne commencerais pas la désintox par le café.
— Elle a aussi arrêté le sucre, rappela Mamie Claudine.
— Une vie presque saine...
Marge se figea brusquement.
— Attends, ça veut dire qu'il n'y aura pas de sucre ni de café dans son épicerie ?
— Tous les produits que vend ta mère sont bios, bons et locaux, récita Claudine.
Marge réprima un gémissement. Elle s'apprêtait à travailler avec sa mère sans pouvoir satisfaire ses dépendances légales et communes. Elle se sentait incapable d'affronter le sommeil, le silence radio de Marc, sa mère et les moustiques qui pullulaient autour de la Vilaine sans un minimum de réconfort caféiné sucré. En vérité, il n'y avait pas spécialement de moustiques autour de la Vilaine, sauf peut-être dans la ville de Visnonia, probablement construite sur un marais. Bien sûr, sa mère avait choisi d'installer son épicerie au bord de l'eau. « C'est tellement pittoresque et pas cher ! » avait-elle déclaré fièrement, à la grande désapprobation de Marge qui considérait l'endroit comme vétuste et le prix réduit comme le résultat des inondations régulières de la cave qui finiraient par pourrir les fondations.
Finissant laborieusement son bol de céréales, Marge n'écoutait plus sa grand-mère, qui ne parlait que de ses géraniums rouges sur les balcons. Ses yeux se posèrent alors sur la date de péremption de la boîte. Le paquet avait survécu à deux confinements, célébré une deuxième étoile de la Coupe du Monde, avait été Charlie et avait applaudi la loi pour le mariage pour tous. Profitant de l'absence de sa grand-mère, Marge jeta le paquet, priant pour ne pas tomber malade.
Dans le garage, Marge observait ses cartons empilés, occupant l'espace habituellement dédié à la voiture de Mamie Claudine. La disparition de cette dernière était l'œuvre de Sandrine et résultait d'un nouvel affront de Mamie Claudine au principe de mise en danger d'autrui. Une sombre histoire de poussette émergeant sur un passage piéton. Vicieuse poussette, elle n'avait même pas été heurtée par la voiture de Mamie Claudine. La femme poussant la poussette n'avait pas apprécié la frayeur causée par le véhicule surgissant sur son chemin et avait averti Sandrine évitant ainsi d'informer la maréchaussée. Sandrine avait pris des mesures et avait pris les clés dans le pot-pourri. Un nouvel indice sur l'état de la santé mentale de Mamie Claudine : les clés étaient dans le pot-pourri.
Marge déplaça les cartons, à la recherche des affaires dont elle ne pouvait se passer durant la crise de Marc. Son message quotidien, "Passe une bonne journée, mon chéri", restait sans réponse. Une situation habituelle. Marc était au travail, et comme à son habitude, il tardait à répondre aux messages qu'elle lui envoyait durant ses heures de bureau. Elle devrait patienter jusqu'à midi pour lui envoyer le prochain message. Il fallait respecter un intervalle de quelques heures entre chaque envoi et éviter de bombarder sa boîte de réception, en envoyant plusieurs messages par minute. Elle ne voulait pas être perçue comme une harceleuse et avait appris de ses erreurs passées au cours des semaines précédentes. Il était crucial de changer de stratégie pour ramener Marc à la raison. Cette crise n'était pas de bon augure. Marge savait que Marc n'était pas parfait, mais elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une anxiété grandissante devant son comportement. Tant qu'ils n'avaient pas d'enfants, il pouvait toujours la mettre à la porte de l'appartement. Mais une fois qu'ils auraient des enfants, cela serait inconcevable. Leur vie de famille devait être stable, plus stable que celle que Marge avait connue.
Elle n'avait pas eu de père. Pas qu'il soit parti du foyer, il n'avait simplement jamais été présent, il n'était peut-être même pas au courant de l'existence de sa progéniture. Marge offrirait un père à ses enfants. Elle refusait de reproduire le schéma de sa mère avant elle. Elle offrirait un Marc à ses enfants.
Enfin, elle repéra ses culottes, non pas dans un carton mais dans un sac en plastique transparent, bien en vue pour les déménageurs.
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