Chapitre 15 : Tartes aux amandes d'enterrement
Le soleil brillait intensément, illuminant le cercueil à la sortie de l'église. Une foule de personnes s'était rassemblée, mais Marge gardait la tête basse. Elle ne voulait croiser le regard de personne qu'elle aurait pu connaître. Hors de question d'être distraite, d'avoir l'esprit occupé par autre chose que la procédure à tenir durant les étapes de cette journée où elle enterrait sa grand-mère. Il ne restait plus que deux moments à passer : la mise en terre, puis le petit pot post enterrement. Marge ne se permettrait aucune distraction avant la fin de ces obligations sociales.
Marge tenait sa mère par le bras, juste derrière le cercueil, en route vers le cimetière qui n'était qu'à quelques mètres. Sandrine se remit à pleurer en silence lorsque le cercueil fut descendu dans la tombe. Malgré la chaleur du soleil, il régnait un silence glacial. Les gens déposèrent des fleurs, et Marge reconnut des cousins, des oncles, et des tantes qu'elle n'avait pas vues depuis longtemps.
Des gens partirent petit à petit, et enfin, ils se dirigèrent vers une salle de sport, privatisée pour l'occasion. Le service traiteur était déjà en place. Parfaitement rodé à l'exercice. Marge se surprit à sourire à plusieurs reprises. Elle avait toujours aimé les pots après les enterrements, car ils permettaient une transition douce vers le monde d'après entre vivants.
Marge rencontra des petits-cousins qu'elle n'avait jamais vu et oublia leur prénom presque immédiatement après. Apparemment Marge avait rencontré beaucoup de gens quand elle était petite. Beaucoup de vieilles personnes se souvenait parfaitement d'elle, alors qu'elle n'avait pas la moindre idée de qui ils pouvaient être. Aucun souvenir d'eux. Elle se demanda si, dans quelques années, elle dirait la même chose à ses petits-cousins : "Je t'ai vu quand tu n'étais pas plus haut que trois pommes..."
- Tu as goûté les tartes aux amandes ? demanda Sandrine à sa fille.
- Oui, les tartes amandines. J'en ai même caché une dans mon sac, tout le monde se rue dessus.
- Mets-m'en une de côté.
- Je ferais mieux de passer en cuisine directement avec un tupperware, plaisanta Marge.
- Fais ça, approuva sérieusement Sandrine.
Marge se retrouva donc dans un espace cuisine minuscule où les deux employés du traiteur se relayaient pour renouveler les plateaux de gâteaux sucrés en tout genre.
- Tout se passe bien ? demanda Marge.
- Oui, très bien, répondit une jeune femme, probablement à peine majeure.
Marge attendit qu'elle disparaisse dans la salle pour ouvrir les placards. Elle trouva un rouleau de papier aluminium, en découpa un morceau, et l'étala sur le plan de travail. Elle y déposa quelques gâteaux en attente de distribution sur les plateaux, replia le papier comme elle put, et fourra le tout dans son sac, juste à côté de l'acte de décès de sa grand-mère, en espérant qu'il n'y aurait pas de fuite. Elle se dépêcha de rejoindre sa mère pour lui raconter son méfait, mais elle arriva pile au moment où un vieil homme se présentait à elle.
- Je suis un ancien collègue de votre maman, dit-il.
- Vous avez travaillé avec elle dans les surgelés ? demanda Marge.
- Non, avant ça, dans la vente de taille-haie. Je m'appelle George Gilbert.
Sandrine eut un mouvement de recul.
Vous n'êtes pas mort ? s'étonna Marge.
- Marge ! gronda Sandrine.
- Heu... non, répondit George.
- Ma mère nous a dit que vous étiez mort dans un accident de voiture en 1999.
- Non, j'ai juste crevé un pneu sur une aire de repos en 1999, mais ça ne m'a pas tué.
Marge détailla celui qui devait être son vrai grand-père. Il était grand, mince, et ses cheveux blancs contrastaient avec son costume gris, chic mais pas trop.
- J'aimais beaucoup votre maman et votre grand-mère, dit-il.
- On n'en doute pas, répondit Marge.
Sandrine lança un regard noir à sa fille.
- Vous avez goûté les tartes aux amandes ? demanda Sandrine.
- J'y vais tout de suite, dit George en s'éloignant vers des plateaux de plus en plus vides.
- Il n'y a presque plus de tartes, commenta Sandrine.
Si, dans mon sac, j'ai le diner., répondit Marge avec un sourire goguenard.
Sandrine sourit à sa fille.
- Alors, qu'est-ce que tu penses de ton grand-père mort-vivant ? demanda Sandrine.
- Pourquoi Mamie a-t-elle dit qu'il était mort ? demanda Marge.
- Elle s'est peut-être embrouillée. Ou elle ne voulait pas qu'on le cherche.
- Visnonia n'est pas grand, dit Marge. On aurait fini par savoir qu'il était vivant.
- Ce qui est curieux, c'est que ton grand-père a eu un accident en 1999.
- Il n'en est pas mort, rappela Marge.
- Non, mais ça a marqué le début de la fin pour lui. Ça lui a mis un coup, expliqua Sandrine.
- Alors quoi ? Joseph était bien ton père, et elle a mélangé les deux histoires ?
- Aucune idée. Peut-être qu'elle a tout inventé, qu'elle s'est trompée... ou qu'elle aurait préféré que George soit mon père...
- On fait quoi alors ?
- Rien, qu'est-ce que tu veux faire ? De toute façon, il ne lui reste sûrement plus beaucoup de temps, on ne va pas semer le désordre dans l'héritage de cette famille, dit Sandrine.
- Peut-être juste se renseigner sur l'héritage génétique, au cas où on tomberait malade, suggéra Marge.
- C'est judicieux, approuva Sandrine.
- Dernier plateau, commenta Marge en voyant que les deux employés du traiteur n'apportaient plus rien et se contentaient de ranger les verres et plateaux.
- Bien, tout le monde va partir. J'en peux plus. On nettoie rapidement après le départ de tout le monde et on rentre regarder un truc bien bête à la télévision.
- Un documentaire sur la crème solaire ?
- Non, je n'ai pas besoin de savoir que je vends de mauvais produits solaires. Je le sais déjà. On va trouver une émission de variété.
Les prédictions de Sandrine se révélèrent exactes. Lorsque toute la nourriture fut consommée, les invités commencèrent à partir. Marge et Sandrine furent aidées pour remettre la salle en ordre. Ne restait plus qu'à passer un coup de balai, ce à quoi Marge s'attela. Sandrine fut surprise de voir que sa fille maîtrisait un exercice qu'elle bâclait consciencieusement à l'épicerie.
- Vendeuse, ce n'est pas vraiment ma vocation, dit Marge.
- J'avais remarqué, répondit Sandrine.
Dans la voiture, Marge ralluma son téléphone. Elle ne fut pas surprise de ne pas avoir reçu de message de Marc. Déjà parce qu'elle-même ne lui avait pas écrit depuis des jours, et ensuite parce qu'elle ne l'avait pas informé de la mort de sa grand-mère. Elle ne voulait pas que Marc pense qu'elle cherchait à attirer son attention en profitant de la situation.
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