Chapitre 13 : Révélation du paternel, deuxième édition


Chapitre 13 : Révélation du paternel, deuxième édition

Il n'y avait qu'un paquet de pois chiches sur le tapis. Marge et Auguste échangèrent de nouveaux sourires radieux, et ce n'est que lorsque Marge eut fini d'encaisser Bruno qu'elle se posa et demanda à sa mère :

— Pourquoi tu m'as présenté Bruno ?

Sandrine regarda autour d'elle pour s'assurer que le magasin était vide.

— Pour te montrer quelle épave il est.

— Pour un ancien marin, être une épave, c'est logique, rétorqua Marge, amusée par sa propre réflexion.

— Il ne l'a pas toujours été, continua Sandrine. Mais j'ai toujours su qu'il finirait comme ça. Il avait la cote quand il était jeune, avec ce côté bad boy qui plaît... jusqu'à ce que les femmes atteignent la vingtaine et comprennent que le bad boy va mal finir. Et regarde-le maintenant, il a mal fini. Je le savais, je l'avais prédit.

— Félicitations, répondit Marge. On va ouvrir un stand de voyance au fond de la boutique.

Sandrine ignora sa remarque et reprit :

— Je savais qu'avoir ce type dans ma vie ne ferait que me rendre malheureuse. Que ma vie serait triste et pleine de problèmes supplémentaires.

— Tu as donc eu une histoire avec Bruno, conclut Marge. Je te rassure, je choisis un peu mieux mes amoureux.

— Il ne s'agit pas de toi là, s'agaça Sandrine. Enfin si. Complètement, en fait.

Marge sentit un froid intérieur l'envahir. Elle ne comprenait pas trop ce qui se passait, ni pourquoi sa mère, qui parlait par monosyllabes depuis trois semaines, était en train de s'épancher devant elle, entre la caisse et les carottes pleines de terre. Elle ne comprenait pas, mais ses signaux d'alerte étaient en éveil.

— Si cet homme avait été dans ta vie, il aurait été une source d'ennuis. J'ai laissé passer le délai pour l'avortement, mes parents voulaient absolument que je nomme le père et que je le force à assumer. Mais je ne pouvais pas faire ça. Imagine quelle vie nous aurions eue toutes les deux avec ce type alcoolique. Une source de complications. Alors oui, être mère célibataire, ce n'est pas simple. Mais ça aurait été encore plus compliqué avec lui. Je ne lui ai rien dit pour qu'il n'éprouve pas l'envie de te reconnaître. De toute façon, il s'est engagé à Saint-Malo.

Sandrine avait enfin terminé sa tirade devant une Marge médusée. Complètement glacée à l'intérieur, son cœur s'accélérait dangereusement.

— Je peux comprendre pourquoi tu as fait ce choix, je ne suis pas certaine de l'approuver, dit finalement Marge.

— Maintenant, tu le connais, il te connaît. À toi de voir si tu veux ou non l'approcher. Tu peux juste l'étudier de loin pour le moment et prendre une décision le moment venu. Est-ce que tu veux le fréquenter ? Te présenter officiellement comme sa fille ? Fais comme tu veux. Ne prends pas de décision hâtive, c'est tout ce que je te suggère.

— Effectivement, ça mérite réflexion, dit Marge d'une voix lointaine.

Elle avait attendu cette révélation toute sa vie. Toute sa vie, elle avait espéré que sa mère lui parle enfin de son père. Elle rêvait secrètement qu'il soit un homme riche, brillant, entouré de célébrités. Pas qu'il soit une misérable célébrité locale. Pas qu'il soit une loque. Pire, Marge avait toute sa vie reproché à sa mère ses cachotteries. Et voilà que la raison de ces cachotteries était presque valable. Bruno était une source d'emmerdes, Sandrine n'avait pas voulu se coltiner les galères qu'il lui aurait infligées et n'avait pas voulu les imposer à sa fille. Égoïste, mais pas complètement stupide.

— Je vais trier les lentilles, annonça Marge.

Elle voulait fuir sa mère, se retrouver seule quelques instants avec sa panique. Elle tenta de se calmer. Elle n'avait aucune décision à prendre pour le moment ; elle allait simplement observer Bruno à distance. Pas de panique... Elle pourrait en revanche paniquer pour l'entretien d'embauche qui l'attendait le lendemain. Et voilà, elle paniquait déjà.

L'entreprise était située dans un quartier récent, alignée avec une douzaine d'autres entreprises presque dans le même domaine d'activité. Le bâtiment, en forme de cube pseudo-futuriste, était entouré de places de parking inutilement protégées par une barrière ouverte.

Marge avait passé la soirée à réviser ses classiques. À force de cumuler les entretiens d'embauche sans jamais décrocher un poste, elle avait perfectionné sa technique. Sa tenue était un mélange habile entre un style branché décontracté et un tailleur classique, une prouesse difficile à réaliser, mais pourtant atteinte. Elle fut reçue par deux membres des ressources humaines. L'un était grand, roux et efflanqué, tandis que l'autre avait une tête de chien danois. Une autre sorte de prouesse.

Marge s'employa à répondre aux questions, surtout techniques, qui lui furent posées. Elle glissa subtilement qu'elle était célibataire sans enfant et prête à déménager au pied de l'entreprise puisqu'elle était entre deux logements. Satisfaction chez Scooby et Sammy, qui échangèrent un regard entendu. Marge avait du mal à articuler ; chacune de ses phrases était ponctuée d'un "heu...", "bah..." ou encore "bah euh...".

Elle tortillait ses doigts comme jamais et entendait les craquements involontaires des jointures de ses phalanges. Sa prestation n'était pas des plus remarquables. En saluant Scooby et Sammy, elle fut soulagée que ce soit fini ; il lui faudrait endurer cette souffrance encore une douzaine de fois avant de trouver un poste. De retour dans la voiture, elle réalisa que toutes ses réponses, malgré les "euh" et "bah et de bah euh,", étaient correctes. L'assurance n'était pas le point fort de sa performance, mais sur le plan technique, elle n'avait commis aucune erreur.

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