Chapitre 10 : Le Bigre Bougre


Chapitre 10 : Le Bigre Bougre

Nancy est toujours aussi adorable, jolie et gentille. Visiblement, la présence de ma collègue dans la boutique de ma mère a pour but de me rendre de plus en plus amère. Comme si j'avais besoin de quelqu'un pour bichonner mon aigreur quotidienne. Ma mère nous a abandonnées en plein milieu du "Bons Bio et Locaux" pour une sombre histoire d'aspirateur à passer dans la maison de ma grand-mère, alors que je l'ai moi-même fait il y a une semaine. J'imagine que c'est une petite pique passive-agressive à mon encontre. Je ne vais pas nettoyer la maison de Mamie Claudine tous les jours non plus. Déjà parce qu'elle est immense, ensuite parce que ce n'est pas chez moi, et enfin, j'ai vraiment d'autres chats à fouetter et pas seulement Vadrouille, qui a encore tenté de m'assassiner ce matin en s'étalant de tout son corps flasque sur une marche de l'escalier.

Nancy compte la caisse pendant que je nettoie le sol. Grand mot pour un simple assemblage de poussière très inégale.
— Fini ! clame Nancy, parfaite comme toujours, en sortant du bureau.
— Moi aussi, mentis-je en attrapant la pelle et la balayette pour ramasser le maigre tas.

On se dirige vers la sortie pendant que Nancy me raconte une anecdote inintéressante avec un client. Moi, hier, monsieur Auguste "Chemise-Pas-Repassée" a peut-être tenté une approche avec moi, c'est beaucoup plus intéressant et je ne raconte rien.

-— La cliente était choquée de découvrir la teneur en sucre de ses flocons d'avoine quotidiens, conclut Nancy, sans se douter un seul instant qu'elle parlait dans le vide.
— Tu m'étonnes, dis-je sans avoir écouté.

Je hoche la tête, feignant l'intérêt, tout en repensant à Auguste et à sa chemise froissée. Si seulement j'avais eu le courage de répondre quelque chose d'intelligent hier.

Nancy referme la porte de service à clé, et je m'apprête à la saluer lorsqu'elle m'annonce que son mari arrive. Elle le désigne d'un mouvement de tête. Je vais enfin voir si son mari est aussi parfait qu'elle.

Horreur ! C'est Arnaud ! L'outil de mon plan pour récupérer Marc est le mari de Nancy. Bigre, bougre !

L'infidèle marque un arrêt à peine perceptible lorsqu'il me reconnaît, avant de continuer à avancer vers nous. Il évite soigneusement de croiser mon regard et concentre toute son attention sur son épouse, parfaite et parfaitement cocue. Je suis partagée entre la satisfaction soulagée de découvrir que Miss Parfaite est casée avec un parfait connard, et la rage de réaliser que je me suis également faite avoir par ce parfait connard. Ce n'est pas que piéger un mec marié me dérange, mais le bigre, bougre m'a menti. D'une ! De deux : c'est le mari de Nancy. J'avais une demi-douzaine de prétendants et il a fallu que je choisisse celui qui pourrait créer du drama sur mon lieu de travail, envers celle qui, je dois l'admettre, ressemble le plus à une amie dans cette ville. Et dans toutes les villes, en général. Je n'ai pas beaucoup d'amies filles. Ni d'amis hommes, d'ailleurs. Je ne suis pas très amicale de façon générale. Comme pour l'aspirateur et les chats à fouetter, je n'ai pas le temps. Marc me prend toute mon énergie.

Arnaud embrasse rapidement sa chère et tendre épouse bafouée, et Nancy fait les présentations, sans se douter une seule seconde que je connais son mari bien plus qu'elle ne l'imagine.
— Marge ? s'étonne Arnaud.

Oui, il s'étonne, car je lui avais dit que je m'appelais Marie. En même temps, qui avouerait s'appeler Marge ? Pourquoi pas "Petits Carreaux" tant qu'on y est ? J'acquiesce bêtement. Si j'avais mis mon vrai prénom sur l'appli, on peut imaginer qu'il m'aurait probablement évitée. Nancy, qui souhaite éviter de raconter sa vie, a sûrement déjà mentionné à son infidèle la venue d'une collègue prénommée Marge dans l'épicerie.

— Oui, c'est bien moi, dis-je en tentant de dissimuler ma nervosité.

Nancy sourit, visiblement ravie de nous voir faire connaissance. Arnaud, quant à lui, reste figé un instant avant de reprendre contenance.
— Enchanté, Marge, dit-il finalement, jouant le jeu.

Je sens une tension palpable dans l'air, mais Nancy, toujours aussi parfaite, ne remarque rien. Elle continue de parler gaiement, ignorant la tempête qui gronde sous la surface. Je me contente de hocher la tête et de sourire, espérant que la situation ne dégénère pas complètement.

Je suis sous le choc et n'arrive plus à prononcer un mot. Dois-je dire à Nancy ce qui se passe ? Elle ne se doute de rien et enchaîne sur une histoire de pigeons qui s'incrustent dans la réserve. Oui, on s'en fout.

Arnaud finit par entraîner sa femme vers la voiture. Mon plan tombe à l'eau. Je ne récupérerai pas mon Marc de cette façon. Nouveau plan : le forcer à communiquer. Une fois que je l'aurai en ligne, il ne pourra plus s'échapper. Texto, WhatsApp, Insta, Messenger, mails et appels. En moins de 10 minutes, j'inonde tous les canaux possibles.

Je marque une seule pause quand je reçois un message d'Arnaud me suppliant de ne rien dire à sa femme. Le gars commence à me harceler, m'envoyant cinq messages d'un coup, m'expliquant qu'il a fait une erreur, qu'ils traversent juste une mauvaise passe et blabla. Je survole à peine ses messages et retourne à mes activités, bien plus constructives.

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