Chapitre 3 ~ campement
Nous avons encore un bout de marche avant d'atteindre le camp des géants. À vrai dire, c'est volontaire : on a choisi de transplaner un peu en retrait, loin des regards et des oreilles indiscrètes, pour avoir le temps de réfléchir à un plan d'action. Cela facilite aussi les choses, nous permettant de réapprovisionner nos vivres ou nous protéger des intempéries. Mais la vérité, c'est que ce détour me soulage un peu. Ce temps, je le savoure autant qu'il m'effraie. Chaque pas me rapproche du moment où je devrai non seulement affronter ces créatures redoutables, mais aussi la possibilité – ou non – de me rapprocher d'Olympe. Et ça, c'est presque plus terrifiant.
Olympe est incroyablement organisée, bien plus que moi, et je ne peux m'empêcher d'admirer la manière dont elle garde son sang-froid même dans les situations les plus stressantes. De mon côté, j'essaie de suivre son exemple, mais... disons que ma maladresse habituelle a tendance à se manifester.
Nous avons quelques imprévus sur la route. Par exemple, du côté de la frontière polonaise, on tombe sur deux trolls – de grands imbéciles aux bras comme des troncs d'arbres. Ils semblent fâchés pour une raison que je ne peux pas comprendre (probablement parce que je les ai réveillés en trébuchant sur un tas de pierres, mais allez savoir). J'essaie de régler ça rapidement avec un peu de diplomatie, mais mon approche « douce » implique beaucoup de grognements et quelques mouvements de bras peu rassurants. Olympe, toujours élégante, me regarde avec une patience presque surnaturelle avant de lancer un sort habile qui les calme. Ils s'éloignent en titubant, et je me retourne vers elle, les sourcils haussés.
— Vous auriez pu me prévenir, dis-je, en m'essuyant la sueur du front.
Elle croise les bras, un sourire amusé sur les lèvres.
— Vous sembliez très bien gérer... jusqu'à ce qu'ils essaient de vous arracher la tête.
— J'avais tout sous contrôle ! protesté-je.
Elle rit doucement, et ce son léger adoucit ma fierté blessée.
Plus tard, à Minsk, les choses prennent une tournure encore plus inattendue. Nous nous arrêtons dans un pub un peu miteux pour reprendre des forces, et tout semble bien se passer jusqu'à ce qu'un vampire – un type pâle avec des dents trop longues et une attitude de diva – commence à me lancer des regards que je n'apprécie pas. J'essaie de l'ignorer, mais il finit par faire un commentaire sur « l'arôme délicat » de mon sang, et là, c'en est trop. Je me lève, un peu brusquement, renversant ma chope de bière au passage, et le regarde droit dans les yeux.
— Écoutez, monsieur Canines, commence-je en pointant un doigt vers lui. Si vous voulez goûter à quelque chose, je vous suggère le ragoût d'agneau. Mon sang n'est pas au menu, compris ?
Olympe, assise à côté de moi, pose une main sur mon bras et me regarde avec une expression à mi-chemin entre l'amusement et la fatigue.
— Rubeus, dit-elle doucement, asseyez-vous. Ce n'est pas le moment de déclencher une bagarre internationale.
— Mais il m'a regardé comme si j'étais un dessert ! protesté-je.
Elle secoue la tête, son sourire légèrement moqueur, mais elle parvient à calmer le vampire avec quelques mots bien placés et une bourse de gallions. Quand nous quittons le pub, elle me taquine.
— Vous attirez vraiment les ennuis où que vous alliez, murmure-t-elle en me lançant un regard en coin.
— Eh bien, au moins, ça ne manque pas de piquant, rétorqué-je avec un sourire un peu gêné.
Finalement, nous atteignons les montagnes, et l'atmosphère change. L'air est frais et rempli de l'odeur de la roche et de la mousse. Nous marchons côte à côte, cherchant des traces des géants, mais chaque pas semble nous rapprocher aussi l'un de l'autre.
— Regardez, là-bas, dit-elle en pointant une empreinte massive dans le sol. Une preuve qu'ils sont proches.
Je me penche pour examiner la trace, mais ma grande stature me joue un tour, et je perds l'équilibre, m'étalant lourdement dans la boue. Olympe s'approche rapidement, sa main tendue, mais je vois qu'elle essaie de cacher un sourire.
— Vous allez bien ? demande-t-elle, bien qu'il soit évident qu'elle se retient de rire.
— Oh, juste un peu de boue pour compléter mon look, grogné-je en me relevant tant bien que mal. Heureusement que je suis pas en mission de séduction.
Elle rit cette fois, un rire franc et chaleureux, et elle essuie un peu de boue de mon visage avec une délicatesse surprenante.
— Je dirais que vous n'avez pas besoin de faire d'efforts pour séduire, Rubeus, murmure-t-elle, et ses mots me laissent sans voix.
Je reste figé un instant, le cœur battant, avant de me mettre à rire à mon tour, un peu gêné.
Quand la nuit tombe, nous trouvons un endroit pour camper. Un large tronc tombé fait office de banc naturel, et nous nous y asseyons, côte à côte, en silence. Le feu crépite devant nous, projetant des ombres dansantes sur les rochers et les arbres autour. Je fixe les flammes, mâchonnant les restes d'un cuissot de volaille que j'ai rôti avec un peu trop d'enthousiasme. Les jus coulent encore sur mes doigts, et je m'essuie rapidement sur un mouchoir en me promettant de ne pas paraître trop grossier. Pourtant, tout en moi se sent... pataud. Maladroit. Mon corps semble deux fois trop grand pour cet espace si intime, et je ne sais pas quoi dire, quoi faire. Je jette un coup d'œil furtif à Olympe. Elle est là, assise droite comme une reine, son profil éclairé par les lueurs dorées du feu. Ses yeux sont fixés sur les flammes, mais son expression est calme, presque pensive. Même ici, au milieu de nulle part, elle conserve cette élégance naturelle qui me laisse toujours un peu béat. Je me demande ce qu'elle pense, si elle se sent aussi nerveuse que moi. Mais je n'ose pas lui poser la question. Le silence s'étire entre nous, et je sens mes paumes devenir moites. Peut-être devrais-je dire quelque chose. Une anecdote sur les géants ? Une blague pour alléger l'ambiance ? Mais chaque idée me semble stupide. Alors je reste là, à tripoter le coin de mon mouchoir, espérant qu'elle ne remarque pas mon malaise.
Finalement, c'est elle qui brise le silence. Sa voix, douce mais assurée, s'élève au-dessus du crépitement du feu.
— Nous devrions demander de rencontrer leur chef, dit-elle, son ton empreint de réflexion. C'est lui qui détient le pouvoir de négociation. Si nous gagnons son respect, les autres suivront probablement. Mais pour ça, il faut éviter tout signe de faiblesse. Ils respectent la force, pas la diplomatie.
Je hoche la tête, même si je sens mon cœur se serrer un peu à l'idée. Les géants ne sont pas connus pour leur hospitalité, et même en tant que demi-géant, je ne suis pas sûr d'être prêt à leur tenir tête. Mais ce n'est pas le moment de douter. Je dois être à la hauteur, pour elle autant que pour la mission.
— Vous avez raison, dis-je finalement, ma voix un peu rauque. Leur chef, oui... Mais si on tombe sur des éclaireurs avant d'arriver au camp ? On devra leur montrer qu'on est pas là pour plaisanter, mais... sans les provoquer non plus, vous voyez ?
Elle tourne son regard vers moi, et pour une fois, il n'y a pas cette distance habituelle dans ses yeux. Elle semble évaluer mes mots, et un léger sourire effleure ses lèvres.
— Vous avez raison, Rubeus, dit-elle doucement. Il faudra marcher sur une ligne très fine. Et vous, vous êtes bon pour ça. Vous avez une... présence. Une force naturelle.
Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Une force naturelle ? Moi ? Je veux lui répondre, lui dire que ça signifie beaucoup qu'elle pense ça de moi, mais mes mots restent coincés dans ma gorge. Alors, au lieu de ça, je me contente de rire doucement, un peu nerveusement.
— Oh, vous savez, j'espère juste qu'ils verront pas que je suis mort de trouille, dis-je en haussant les épaules.
Elle rit aussi, un son bas et chaleureux, et je me rends compte que c'est la première fois depuis longtemps que je l'entends rire de cette façon. Pas un rire distant ou poli, mais quelque chose de vrai. Ça me donne un peu de courage.
— Vous êtes plus courageux que vous ne le pensez, Rubeus, dit-elle en posant sa main sur mon avant-bras.
Juste un instant. Mais c'est suffisant pour que mon cœur rate un battement. Je baisse les yeux vers sa main, puis vers elle. Ses doigts glissent doucement avant qu'elle ne les retire, et je sens la chaleur de ce contact bien après qu'il ait disparu. Je redresse la tête, pris d'un élan de courage qui me quitte presque aussitôt que je croise son regard. Ses yeux sombres, éclairés par les reflets vacillants du feu, semblent lire en moi comme dans un livre ouvert. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, et mes mains, posées sur mes genoux, se crispent un peu.
— Je... Olympe, pour la dernière fois, je... tiens vraiment à m'excuser, dis-je d'une voix basse, hésitante.
Les mots trébuchent dans ma bouche, maladroits, mais sincères. Elle lève un sourcil, et je vois sa mâchoire se contracter légèrement. Elle détourne les yeux, fixant un point invisible dans les flammes, avant de soupirer, exaspérée.
— Vous remettez ça sur le tapis ? dit-elle, son ton mi-agacé, mi-fatigué.
Je baisse immédiatement la tête, confus. Un élan de chaleur monte à mes joues, et je m'en veux. Je n'aurais pas dû. Elle a raison, bien sûr. Elle m'a déjà pardonné cette fichue maladresse – ou du moins, elle l'a dit. Alors pourquoi est-ce que je ressens toujours ce besoin de m'excuser encore et encore ? Peut-être parce que, au fond, je ne suis pas sûr qu'elle l'ait vraiment oublié. Ou peut-être que c'est moi qui n'arrive pas à me le pardonner.
— Désolé, murmuré-je presque pour moi-même, triturant nerveusement le coin de ma cape.
Elle reste silencieuse un moment, et je n'ose pas relever les yeux. Le crépitement du feu emplit l'air entre nous, accompagné du bruissement des feuilles dans la brise nocturne. Puis, finalement, elle parle, sa voix plus douce qu'avant :
— Rubeus... écoutez-moi. Je ne souhaite pas réaborder le sujet de ma taille, d'accord ?
Je hoche la tête, incapable de répondre immédiatement. Elle n'a pas dit ces mots avec colère, mais avec une sorte de fermeté tranquille qui me coupe le souffle.
— Vous êtes un homme bon, continue-t-elle, et ses mots me surprennent.
Je redresse légèrement la tête pour la regarder.
— Peut-être un peu trop maladroit parfois, mais... bon. Et il n'y a pas beaucoup de gens comme ça. Alors, s'il vous plaît, arrêtez de vous battre contre votre propre cœur.
Je la regarde, stupéfait, et je sens un mélange d'émotions m'envahir. Ses paroles sont simples, mais elles portent un poids immense. Je veux lui répondre, lui dire à quel point cela compte pour moi, mais les mots restent coincés dans ma gorge. Alors, au lieu de parler, je lui offre un sourire hésitant, sincère. Elle esquisse un petit sourire en retour – pas grand-chose, juste une courbe légère au coin de ses lèvres – mais c'est suffisant pour me réchauffer l'âme.
— Bien, dit-elle finalement, en se levant et en époussetant sa cape. Nous devrions nous reposer. Demain, nous aurons besoin de toutes nos forces.
Je la regarde s'éloigner vers sa tente, sa silhouette gracieuse se fondant dans l'ombre. Quand elle disparaît à l'intérieur, je reste là, immobile, le regard perdu dans les flammes. Ses mots résonnent encore en moi, et je sens que, peut-être, je viens de franchir une petite étape. Rien de grand, rien de spectaculaire. Mais quelque chose de vrai.
Je soupire profondément avant de m'allonger près du feu, mes pensées toujours tournées vers elle. Et pour la première fois depuis longtemps, je me sens... un peu plus léger.
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