Chapitre 30
/!\ Le chapitre qui suit comprend une scène à caractère sexuel. Si vous n'êtes pas à l'aise avec ce genre de contenu, ne vous risquez pas. Vous pouvez poursuivre avec la suite sans que cela gêne la compréhension. /!\
« Oh! l'amour serait un bien suprême
- Si l'on pouvait mourir de trop aimer! »
-Victor Hugo, Hernani
La nuit était tombée et Sorel s'émerveillait de la voir si lisse, si parfaite. Comme un fruit intact, brillant, sucré, dans la paume de sa main. Quelque chose de gourmand qui lui mettrait l'eau la bouche et gâterait son sommeil.
Le sommeil, Sorel ne le trouvait pas. Ce silence était aussi prodigieux qu'il était dérangeant. Le comédien était trop coutumier des sons de Paris, des pulsations de son cœur à toute heure de la journée et plus encore la nuit, lorsque la plupart des vies humaines se taisaient. À Paris, le silence était trompeur. Il n'existait pas réellement, il y avait toujours un son étouffé, une plainte, un bavardage échappé, qui crevait la surface. Il y avait toujours un homme ou une femme pour briser la glace d'un rire cristallin ou d'un aboiement rustre. Le silence de la campagne ravivait les murmures de la nature endormie et c'en était grisant.
Iwan dormait paisiblement et son souffle était à peine encombré. Il allait bien, constata Sorel en se redressant sur sa couche, et il commençait à penser que l'idée n'était pas si tordue, pas si égoïste. Ce voyage, cet exil, serait peut-être bénéfique et l'air pur de la campagne pourrait bien apaiser les maux de son frère. Le nez enfoui dans les draps, celui-ci semblait plus jeune de plusieurs années. Minuscule. Un petit être qui n'appartenait plus qu'à moitié à ce monde et que Sorel chérissait plus que sa propre vie.
Sorel repoussa la couverture qui emprisonnait ses jambes nues et finit par abdiquer. Il ne trouverait pas le sommeil. Les rayons blafards de la lune éclairaient faiblement la chambre et baignaient le visage de Sorel de ses pâles arabesques. D'un pas feutré, il se déplaça jusqu'à atteindre la fenêtre et il écarta un peu plus le lourd rideau aux détails brodés. Dehors, tout était immobile, il entendait à peine le chant du grillon, un son qu'il ne connaissait que de nom et qui immobilisait ce décor comme une illustration en noir et blanc. Il resta là, à admirer tout ce gris, ces nuances qui ravivaient une atmosphère féérique dans le silence de l'extérieur, durant de longues minutes. Lorsqu'il s'en échappa, son cœur débordait d'une émotion sourde qu'il ne comprenait pas. Ses doigts figés sur le verre de la fenêtre étaient glacés et sa poitrine brûlait d'une chaleur enivrante. Il ne rejoignit pas ses draps et, après un dernier regard pour son frère endormi, une once de culpabilité et une compréhension très vague de cette envie qui le conduisait à l'inconscience, il quitta la petite chambre.
Il erra longuement dans les couloirs, ses pas tantôt étouffés par un tapi épais aux entrées des différentes composantes de la demeure, tantôt trop bruyants sur le parquet ciré avec frénésie par les quelques employés de Rose de Thancy. Ils habitaient ces lieux de manière presque clandestines, ils étaient devenus un refuge confortable, et Sorel avait le sentiment d'être un fantôme oublié entre les murs. Une présence enjôleuse imprégnée dans un souvenir.
Il trouva finalement ce qu'il était venu chercher, peut-être même sans en avoir vraiment conscience. La porte de la chambre d'Héliodore n'était pas si lointaine, mais Sorel avait emprunté plusieurs chemins, il s'était perdu à dessein. Il posa la main sur la poignée, suspendit son geste pour se demander si cette attitude était bien prudente, mais après tout, qu'avait-il à y perdre ? Sorel était un savant mélange de gestes irréfléchis et de gravité. Deux visages qui s'entrelaçaient, car la vie ne lui avait pas offert d'autres choix que d'être cet homme qui gardait toujours une part de son frère en lui. Il hésita un instant de plus avant d'opter pour sa face la plus imprévisible, la plus imprudente et la plus délectable. Il se fraya un passage dans l'embrasure de la porte et découvrit, à l'intérieur, la même pénombre à laquelle son œil s'était habitué. Il distinguait quelques meubles dans un style raffiné, les mêmes rideaux lourds aux couleurs qu'il devinait vives, et un grand lit qui s'étalait contre le mur. Héliodore y avait dormi enfant, il y avait sans doute cauchemardé, il y avait vécu des moments d'insouciance et de doute, et reposait toujours entre les mêmes draps, comme si rien n'avait changé. Sorel eut l'impression de lui voler cette vision, de s'emparer d'une part de lui qui ne lui appartenait pas, mais ne chercha pas à revenir sur ses pas. Il y eut comme un changement dans l'atmosphère et Héliodore s'agita. Il se tira immédiatement des bras de Morphée et avant même de voir la silhouette faite d'ombres entremêlées, il avait compris qu'il n'était plus seul.
— Sorel ?
Comment avait-il su ?
Une émotion tenace étranglait le comédien alors qu'il demeurait ainsi, immobile et muet. Statufié sur le pas de la porte qu'il finit par refermer avec prudence et sans un mot.
Héliodore s'était redressé, curieusement lucide alors qu'il venait à peine de s'échapper des bras avides de Morphée. Peut-être était-il déjà éveillé, ou à peine endormi, mais son visage était clair, limpide, dans les lueurs dansantes de la lune. Une inquiétude persistait toujours et il demanda :
— Y a-t-il un souci ?
— Non, rien.
Et Sorel faillit s'excuser et quitter la pièce. Il était si fébrile qu'il aurait pu le faire alors que cela lui ressemblait si peu. Il était de ces hommes entiers malgré leurs failles, malgré leurs nuances, et il achevait toujours ce qu'il initiait. Un doute l'avait investi et cela lui parut si inhabituel qu'il n'était plus certain de l'attitude à adopter.
Héliodore se redressa, se libéra du joug des draps et se pencha pour allumer la lampe installée sur la table de chevet. La lumière envahit la pièce et Sorel recula d'un pas. L'ombre avait reculé, comme lui, et il n'était plus préservé des regards intrusifs de son amant. Il n'y avait plus un seul coin obscur dans lequel se cacher et il avait pâli.
— Qu'y a-t-il, Sorel ?
Héliodore s'efforçait de comprendre, mais il ne saisissait pas le sens de ces actes. Sorel non plus. Le noble se leva pour de bon et d'un pas ample, mais lent, pour ne pas que le comédien s'échappe, il l'approcha. Sorel lui accorda un long regard, une œillade plus bavarde que tous les mots et qui en valait bien davantage. Ce fut lui qui réduisit à néant le peu d'espace qui les séparait encore pour donner la réponse qu'Héliodore attendait. Il creva les quelques centimètres qui les éloignait pour ravir ses lèvres d'un baiser brûlant.
Héliodore se consuma à ce contact. Un contact qui ne s'éternisa pas, mais qui ruina les dernières bribes de doute. Sorel l'observait à travers le voile de ses cils blonds.
— Je vous ai réveillé.
— Je ne dormais pas tout à fait. La chambre que je vous ai donnée ne vous seyait pas ? Je ne suis pas certain que la mienne soit plus à votre goût.
Une provocation. Sorel en fut si surpris qu'il faillit perdre le fil de la discussion. Ses cheveux narguaient ses épaules nues. Il était à peine couvert d'une robe de chambre qui lui donnait des allures fantomatiques et spectrales. Plus que jamais, Héliodore lui trouva l'air d'un songe. Une silhouette onirique venue le tirer des limbes du sommeil pour le hanter.
— Vous êtes bien bavard, cette nuit, lui fit remarquer Sorel, dans une répartie qu'il trouva bien ridicule.
— Vous ressemblez à un rêve.
— Taisez-vous.
Héliodore sourit. Il avait l'ascendant, il possédait le peu de contrôle que Sorel rechignait à lui confier d'ordinaire. La nuit pâlissait ses cheveux qui se paraient de reflets d'argent. La beauté de son amant avait quelque chose d'émouvant et de vulnérable. Déraciné de la ville de son enfance, de ce monstre urbain qui cristallisait autant de peur que d'espoirs, il ne restait à Sorel que sa sensibilité à fleur de peau et toutes les failles que ses masques ne savaient plus combler.
Un besoin irrationnel d'être aimé.
En cela, les deux amants se comprenaient. Ils étaient identiques. Héliodore le lut dans le regard brûlant que Sorel lui donna et sur cette caresse envolée. Le noble fit courir sa main le long du bras de l'autre, jusqu'à son épaule, jusqu'à gagner sa clavicule et atteindre la frontière de son visage. Ce contact volé, qui déclencha un frisson le long de la peau de Sorel, les captiva tous les deux. Ils s'apprivoisaient, chercher à gagner leurs terreurs les plus intimes et à les atteindre. Ils avaient été nus l'un devant l'autre une fois, ils s'étaient vus tels qu'ils étaient vraiment, mais il restait tant de remparts à abattre. Il leur fallait apprivoiser leurs limiter, dompter leurs craintes respectives et donner un second souffle à leur passion.
Ils avaient à s'aimer.
Héliodore se pencha pour embrasser les lèvres de Sorel dans la pâleur morbide de la lune. Dans cette chambre qu'ils habilleraient de nouveaux souvenirs.
— Pourquoi êtes-vous venu ? demanda Héliodore.
Dans sa voix se trouvait un trouble mineur, un besoin d'être rassuré et de ne pas simplement taire les mots pour laisser chanter un tout autre type de langage.
— Pourquoi me posez la question ? Je suis ici, cela ne vous suffit donc pas ?
— C'était tout ce que je souhaitais.
— Cette passion qui nous anime, elle ne sera sans doute pas éternelle, le savez-vous ?
Une onde de tristesse figea les traits d'Héliodore. Ce n'était pas précisément ce qu'il souhaitait entendre, mais il savait que Sorel avait raison. Il y avait tant de choses qui les empêchaient de s'aimer, tant de barrière, de remparts, de barricades, et ils ne pourraient pas tous les franchir. Le ton était donné et Héliodore savait qu'il se voilait la face à espérer un dénouement heureux lorsqu'il assistait à une tragédie. Ils étaient Hernani et Dona Sol, les amants maudits, la fièvre poussée dans ses derniers retranchements, la violence d'un amour qui se meurt. Avant que les deux jeunes gens ne s'éteignent à leur tour.
Étrangement, ces pensées ravivèrent quelque chose en Héliodore. Il n'était pas abattu, il n'était pas désespéré. Il viendrait un temps où il se battrait sans doute pour sauver ce qu'il pouvait, et il l'avait déjà fait, avec une fougue qu'il ne se connaissait pas. Ce moment ne viendrait que plus tard, que trop tard. Il n'était pas encore temps pour les cris et les pleurs. Héliodore honora ce constat assuré d'un nouveau geste. Il passa sa main derrière la nuque de Sorel et emmêla ses doigts à ses mèches tissées d'or.
— Ni vous ni moi n'êtes éternels.
Sorel acquiesça. Cette réponse lui convenait, aussi évasive soit-elle. Ils s'étaient tout dit, tout ce qui était nécessaire de s'avouer, et le jeune homme rejeta le visage en arrière dans une posture offerte. Le souffle court, l'œil brillant, le corps arqué sous le fin tissu de sa chemise en lin, il emprisonnait chaque émotion, chaque sensation qui se refusait à lui et qu'il imaginait déjà courant sur sa peau dénudée. Il se gava de la consistance épaisse de l'atmosphère et de la fraîcheur de la nuit. Il aurait presque aimé entraîner son amant dehors pour goûter à cette saveur d'interdit et de luxure qui embaumerait l'air.
Sorel se hissa sur la pointe des pieds pour baiser la tempe d'Héliodore avant de s'éloigner. Hébété de ce revirement de situation, celui-ci crut que son amant allait l'abandonner là. Sorel n'en fit rien, il gardait cette escapade pour plus tard, et il rejoignit la fenêtre pour ouvrir les rideaux d'un geste vif. Les deux lumières, chaude et pâle, se mêlèrent. Dans son dos, la lueur vacillante de la lampe ; sur son visage, le phare blafard de la lune. Héliodore le rejoignit et Sorel se retourna pour admirer cette curieuse dualité sur les traits de l'homme. Ses cheveux absorbaient des reflets presque roux tandis que sa peau semblait plus pâle qu'à l'ordinaire. Il y vit plus nettement que jamais les grains de beauté qui mouchetaient son visage et qui couraient le long de sa gorge. Son corps en était recouvert et ces petites tâches, ces constellations orphelines d'appellations, dessinait les abords d'un chemin sur sa peau.
Héliodore s'humecta les lèvres et ses yeux guettaient dans la pénombre un signe, une explication à ce comportement. La main fine de Sorel se leva, comme mue d'une impulsion propre, et imita le même chemin qu'Héliodore avait emprunté quelques instants plus tôt. Sorel était dos à la vitre et il n'avait qu'à reculer d'un pas pour que son dos rencontre la surface glacée. Pourtant, il dégageait une aura qui dépassait l'entendement. Il atteignit la nuque du brun pour tirer les mèches trop longues entre ses doigts.
— Embrassez-moi.
Sorel le tirait vers lui avec une forme d'urgence et de langueur. Un besoin qui lui intimait une attitude à la fois provocatrice et fuyante, qui lui inspirait des actes contradictoires. Héliodore posa sa main sur sa poitrine et Sorel recula d'un pas pour rencontrer la surface glacée de la fenêtre. Ses omoplates brûlantes à travers le tissu, les lèvres de son amant qui cherchaient les siennes, sa main fermement enfouie dans ses cheveux, il en était ivre.
Lorsqu'Héliodore s'écarta enfin, le souffle court, Sorel passa son pouce sur sa lèvre inférieure gonflée pour articuler :
— Vos grains de beauté sont semblables à une constellation.
Héliodore grimaça et tenta de se soustraire aux attentions de son amant. Sans succès. Il avoua, à mi-voix :
— Je ne les aime pas.
— Déshabillez-vous.
Le silence d'Héliodore, la raideur de ses épaules, étaient autant de signe de défiance. Il hésitait. La pénombre n'était pas suffisante à cacher les marques de son corps qui l'enlaidissaient. Apolline ne les avait jamais vues, elle connaissait seulement ceux de sa lèvre et de son visage. La noblesse chérissait ces grains de beauté, ces mouches qu'elle se peignait sur le corps. Héliodore en était naturellement dotés et cela ressemblait davantage à des impuretés sur sa peau lisse.
— S'il vous plaît.
Le cœur battant, Héliodore fuyait le regard de Sorel. Il se voyait d'une étrange manière dans ses œillades répétées et ne le supportait pas. Ils échangeaient leur fébrilité et Héliodore avait le sentiment que son amant agissait de la sorte pour taire son propre trouble, sa propre tourmente. Malgré tout, parce qu'il savait qu'il le fallait et parce qu'il avait compris que se cacher n'avait plus de sens puisqu'il s'était déjà mis à nu, Héliodore obtempéra. Ce fut différent de ce qui s'était produit la première fois, il se dévêtit seul et ses doigts écorchaient le tissu avant qu'il ne tombe mollement au sol. Ses gestes n'étaient pas précipités, il prenait son temps pour se soulager du dernier rempart à son intimité avec la pudeur des jeunes garçons. Avec l'inexpérience qui lui faisait monter le rouge aux joues et le baume au cœur. Ce n'était pas un supplice, cela avait des allures de nécessité et le regard de Sorel était aussi tendre, pénétrant, que douloureux. Les yeux clairs de l'homme éveillaient des craintes enfouies, des peurs qui perlaient à la surface de sa peau.
— Arrêtez de me regarder ainsi.
— Pourquoi ? Je ne devrais pas ?
— Vous me regardez comme je devrais regarder une femme.
L'espace d'un instant, le choc cerna les traits de Sorel, déjà prisonnier des lueurs dansantes de la lampe au fond de la chambre. Il ne comprit pas et il eut l'air presque offensé. Il saisit la portée de ces paroles lorsqu'il vit l'air tourmenté sur le visage d'Héliodore. Il semblait à la fois plus jeune, un adolescent qui découvrait les premiers émois amoureux et qui se savait délicieusement anormal aux yeux d'une société cruelle, et plus âgé, comme si le poids des hommes courbait ses épaules déjà basses. Il frissonna et la fraîcheur nocturne n'en était en rien responsable. Il était fébrile, plus fébrile encore que Sorel et ses émotions qui plombaient son cœur. Il se consumait d'une peur brutale qu'il avait voulu emprisonner dans les tréfonds de son être. Elle ressurgissait, avide et hideuse.
— Non, vous avez tort, rétorqua Sorel, d'une voix caressante. Je vous regarde comme un homme en regarde un autre.
Héliodore tenait toujours entre ses doigts serrés sa robe de chambre, comme s'il hésitait encore à la passer au-dessus de sa tête et à quitter son propre repère. Il se trouvait en pleine lumière, même si la nuit régnait en maître au-delà de cette grande fenêtre.
— Vous comprenez ce que je veux dire, dit-il, plus faiblement.
— Vous m'avez toujours regardé ainsi.
— Vous êtes bien le seul que cela ne choque pas. Vous savez de quels termes d'autres qualifient cette inclinaison.
— Vous ne voudriez pas que je vous en fasse la liste, déclara Sorel, un brin plus cassant. Je les connais, ces termes, Héliodore. Je les connais et ils n'ont jamais fait de moi quelqu'un de pire. Ces termes ne sont pas moi et c'est vous qui décidez de ce que vous êtes. Pour moi, nous ne sommes que deux hommes pris de passion comme vous auriez pu aimer votre femme. Cela n'a rien de plus répréhensible, de plus mauvais, de plus répugnant. Je ne me sens pas sale lorsqu'il me prend l'envie d'aimer.
Au frisson qui anima Sorel, Héliodore comprit que l'émotion était partagée. Le blond savait seulement mieux l'étouffer. Il y avait déjà songé à maintes reprises, il savait que de tels gestes étaient proscrits. Il y avait quelque chose d'interdit dans leur manière de se regarder, de se désirer, de s'étreindre. C'était la loi des hommes qui le voulait, pas la leur.
Sorel s'approcha à nouveau et son regard captura les yeux d'Héliodore pour délaisser un court instant la vision plaisante de son corps nu. Il se pencha pour embrasser son épaule, à l'endroit où un grain de beauté perçait la peau, avant de considérer à nouveau le visage de son amant. Il lui dit, dans l'écho d'un murmure à peine audible :
— Laissez-moi vous aimer comme un homme.
Puis, il attrapa le visage d'Héliodore entre ses deux mains et déroba un langoureux baiser sur ses lèvres. Il n'y avait plus de demi-mesure, de retenue toute aristocratique, seulement un hommage. Une dénégation au nom de tous ceux qui les rendaient coupables d'aimer.
Lorsque Sorel s'écarta enfin, après avoir volé contre ses lèvres un fruit identique à celui de la nuit silencieuse, il avait les joues rougies et le souffle haletant. Il prit la main d'Héliodore et le guida jusqu'au lit dans une course digne de deux amants fous, imprudents. Personne ne saurait quel secret ces draps ont porté. Héliodore s'invita jusqu'au milieu du lit et repoussa les couvertures tandis que Sorel s'immobilisait à la frontière de la couche, toujours entièrement vêtu. Il avait la main égarée sur l'ourlet du vêtement et Héliodore s'approcha à nouveau après avoir guetté l'approbation du comédien. Délicatement, il passa la robe de nuit, qui le couvrait à peine jusqu'aux genoux et qui aurait pu appartenir à une femme, au-dessus de la tête blonde de Sorel. La gorge nouée, le noble s'était assis sur le bord du lit et laissait son regard voyager sur les courbes sveltes du corps dénudé. Il n'y avait plus aucun rempart et les masques de Sorel s'étaient fêlés. Il ne rougissait pas, il ne cherchait pas non plus à cacher son intimité et la représentation la plus évidente de sa masculinité. La représentation bien nette de son désir. Le sexe roide réclamait toutes les attentions et l'homme ne s'en cachait pas. Il y avait cependant dans son attitude quelque chose de plus pudique qu'autrefois, comme la marque de ses craintes qui engluait sa peau diaphane. Héliodore tendit la main pour caresser l'arrière du genou et remonter le long de la cuisse, juste suffisamment pour capturer l'entière attention de son amant et pour l'empêcher de sombrer dans de déplaisantes réflexions. Juste suffisamment pour raviver un désir plus conséquent que les interrogations futiles.
Sorel pressa son corps contre le visage d'Héliodore et la bouche de celui-ci se situait à peine au-dessus de son nombril. Une promesse implicite, mais évidente. Le noble embrassa la peau fine de son ventre et son bras s'enroula autour de sa taille avec les derniers semblants d'une timidité qui l'empêchait d'aller plus loin. Il n'avait qu'à incliner la tête et à se baisser un peu pour déposer ses lèvres sur le sexe érigé de son amant. La pudeur le bridait encore assez pour qu'il ne s'y risque pas.
Ils investirent le lit, bien plus confortable que le canapé sur lequel ils s'étaient découverts quelques jours plus tôt. Sorel surplombait Héliodore et guidait ses gestes jusqu'à ce qu'il prenne l'initiative de les mener seul. Il parcourait les côtes, les hanches, les cuisses, le ventre et évitait avec un certain soin le centre de son anatomie. Sorel n'était pas en reste et bientôt, les mains se mêlaient, les caresses avec elles et les soupirs transfiguraient le silence de la chambre. Ils s'apprivoisèrent durant de longues minutes, peut-être même des heures, jusqu'à ce que les contacts se précisent et cueillent ce qu'ils étaient venus chercher. Sorel embrassa chaque grain de beauté qui constellaient la peau de son amant et finit par élire domicile entre les cuisses d'Héliodore. Il embrassa la longueur de son sexe, y fit courir sa langue, en goûta la soie sensible et le noble rejeta le visage en arrière avant d'étouffer une plainte dans son poing. Cette caresse intime aiguisait ses sens au point où il en perdit tout contrôle. La bouche ouverte sur un cri muet, il finit par échapper à la bouche tentatrice de son amant. Les sourcils haussés, il paraissait presque confus d'avoir été surpris dans une pareille situation. Un comble. Lorsqu'il embrassa Héliodore, un sourire badin crevait ses lèvres.
— Vous êtes indécent.
— Vous le pensez vraiment ?
— Vous êtes bien plus que cela.
Sorel était assis sur les cuisses d'Héliodore qui s'était redressé à son tour comme pour défier l'impertinent de reprendre son activité lubrique désormais qu'il s'était découvert longuement et qu'il avait dompté les quelques peurs que la nuit voyait surgir. Les mains de Sorel avaient recueilli la crainte d'Héliodore. L'indifférence dans laquelle il avait été élevé, la peur de ne vivre que trop peu, les prémices d'une existence instable qui l'effrayait. De même, Héliodore avait soulagé son amant du poids des responsabilités, des mille masques qui se confondaient avec son vrai visage et l'effroi de la santé déclinante de son frère. Ils avaient compris chaque nuance de leur personnalité, chaque subtilité, jusqu'à ce qu'ils soient enfin capables de s'aimer.
Sous les yeux du noble, Sorel se prépara à le recevoir, il se gava du regard brûlant qu'Héliodore lui réservait alors que ses doigts se perdaient dans son intimité et que son autre main s'accrochait encore à son épaule. Parfois, il picorait sa peau, venait cueillir un baiser sur sa joue, à la naissance de sa gorge où il laissa même sa propre trace au milieu des grains de beauté de son épiderme laiteux. Alors, il demanda :
— Héliodore ?
— Je vous en prie.
Une parole étranglée qui arracha un bref sourire à Sorel. Le désir coulait contre sa peau et ils s'étaient tant cherchés à travers les caresses que la tension ne demandait qu'à éclater. Une bulle de savon qui répandrait sa délicieuse odeur.
Sorel se hissa sur ses cuisses, son ventre taquinant celui d'Héliodore tant ils étaient proches et déjà imbriqués, et s'empala lentement sur son sexe. Une communion silencieuse. Sorel apprivoisa la douleur comme il avait su dompter la peur d'Héliodore et celui-ci ouvrit la bouche dans un geignement étouffé. Le blond passa ses bras autour des épaules du noble et il ondula, lentement, lascivement, jusqu'à ce que la fièvre les consume à nouveau et qu'il soit forcé de donner à cette danse amoureuse un nouveau souffle. Cela dura de longues minutes, peut-être bien une heure, et leurs lèvres se cherchèrent, ils testaient leurs limites respectives, se gâtaient mutuellement. Les jambes de Sorel enserraient la taille d'Héliodore et son fourreau emprisonnait la queue de ce dernier. Ils étaient si proches qu'ils ne savaient pas où finissait un corps et où débutait le second. Leurs souffles se mêlaient, la tension ne demandait qu'à éclater tandis que le plaisir les gagnait. Héliodore rejeta le visage en arrière et exhala un gémissement lorsque les muscles de Sorel se contractèrent autour de lui. Il venait de cueillir le trésor enfoui dans l'intimité du comédien et ce contact l'électrisa au point où ils décidèrent, d'un commun accord, d'abandonner la douceur de soie de cette osmose pour en conquérir une autre.
— Hélior ! souffla Sorel, à son oreille.
L'intéressé sourcilla à peine à l'évocation de cet étrange diminutif. Il se laissa emporter par le besoin, par le désir et par la chaleur qui l'enivrait depuis de trop longues minutes. Il avait atteint sa limite et il ne pouvait plus se retenir. Ce ne fut ni violent ni brutal, ce fut passionné là où ils avaient été amoureux dans chacun de leurs gestes. La pièce tut chaque cri, chaque plainte, chaque supplication jusqu'à ce que la jouissance les emporte. Sorel d'abord, précipité dans sa chute par une volupté qu'il rugit, les ongles enfoncés dans la chair d'Héliodore qu'il entraîna dans sa déchéance. Le plaisir éclata enfin et ils succombèrent, enfin repus.
Plusieurs minutes leur furent néanmoins nécessaires pour calmer les émois de leurs corps épuisés. Héliodore serrait Sorel contre lui à lui en briser les os et ce dernier embrassait chaque grain de beauté, encore et encore. Ce fragment de lui qui le rendait singulier et plus désirable encore. Ils eurent encore, l'un pour l'autre, quelques caresses inconscientes, sans y penser. Des petites attentions, des gâteries pour flatter les échos de leur orgasme. Héliodore en frissonnait toujours, mais finit par échapper à leur étreinte. Son sexe au repos glissa de l'intimité humide de la concrétisation de son plaisir et il embrassa les cheveux humides, assombris, de son amant avant de quitter les draps. Ses jambes tremblaient un peu, mais il revint avec une serviette pour laver les traces de leurs ébats. Plus par respect pour son amant que pour les dames de chambre qui risquaient fort de laisser courir une rumeur déplaisante à leur sujet.
— Celles que votre mère engage, elles risqueraient de parler. Trois hommes, dont deux du peuple, dans une demeure de campagne, seuls, ce n'est pas anodin, déclara Sorel, alors qu'Héliodore s'affairait à retirer les traces qui maculaient son ventre.
— Quelle importance ? Vous feriez un excellent héritier. Vous avez la peau pâle, vous possédez une bonne éducation.
— Mon éducation n'est pas celle d'un fils de...
— Ils diront ce qui leur plairont, rétorqua Héliodore, avant de ponctuer ses dires d'un baiser à la naissance de la gorge de Sorel.
Celui-ci finit par opiner. Que craignait-il ? Il n'avait pas à avoir peur du déshonneur et les quelques langues bien pendues des paysannes ne devraient pas être craintes de lui. Il se leva d'un mouvement ample et considéra l'éclat de la lune les bras le long du corps. Il ramassa sa robe de chambre et l'enfila rapidement sur le regard intrigué d'Héliodore. Il y avait une once d'inquiétude dans ses yeux bleus.
— Vous pouvez rester dormir, si vous le souhaitiez.
S'il le souhaitait ? Cela ressemblait davantage à une requête de sa part et Sorel n'était pas dupe. Leurs gestes se répondaient, ils se cherchaient et il n'y avait plus de maladresse. C'était grisant et Sorel refusait de voir mourir trop vite la beauté inouïe de l'instant. Il s'empara des vêtements de son amant et les lui tendit :
— Habillez-vous plutôt.
— Pourquoi ?
Avant d'obtenir la moindre réponse, il avait déjà obéi. Il cacha les restes d'une nudité inacceptable, mais que Sorel aimait chérir. Celui-ci passa sa main le long de la hanche d'Héliodore d'un geste léger, mais plein de sens avant de s'emparer de ses doigts et de les enlacer aux siens. Il souffla, au creux de son oreille, et avant de l'entraîner dans son sillage par-delà la chambre et dans le mystère saisissant de la nuit :
— Suivez-moi.
Un long, très long chapitre, là encore. Il fait plus de 4500 mots et il s'agit du deuxième lemon du roman, mais pas le dernier... J'espère de tout coeur que ce passage vous a plu, car j'ai adoré l'écrire. Héliodore et Sorel sont très... inspirants, à leur manière et la passion de cette période permet quelques petites choses sympathiques !
J'espère que vous avez passé un bon début de semaine. Pour ma part, il a été étonnamment bon.
Je vous embrasse et une bonne soirée à vous <3
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