CHAPITRE 1

"Son rire résonne dans mes oreilles, s'empare de mon être tout entier.
Son sourire illumine cette triste journée.
Il est un rayon de soleil, rendant les jours pluvieux, merveilleux.
Mes yeux pétillent de bonheur, mon coeur se serre à chacun de ses regards.
Il est le seul à pouvoir me faire vivre.
À ses côtés, je quitte le virtuel pour rejoindre le réel, il est mon unique réalité.
Il est si beau, son âme est pure, il est mon rêve, inaccessible.

Le temps est aujourd'hui maussade, la ville semble endormie, pleine de mélancolie.
Les nuages déversent toutes leurs peines, ils ne semblent plus vouloir cesser de pleurer.
Timeley est pourtant une ville pleine de vie, où le soleil demeure.
La mer n'est pas loin. L'air marin purifie notre air pourtant pollué.
Timeley est composée de grands bâtiments, immeubles, appartements, ainsi que d'immenses quartiers résidentiels, composés de luxueuses maisons.
Je vis ici, depuis toute petite.

Mes parents y ont emménagé juste après ma naissance, espérant vivre des jours heureux.
Ils n'auraient jamais pu imaginer qu'ils se trompaient, que leur compte à rebours était déjà lancé, que tout basculerait.

Nous nous arrêtons de marcher, nous sommes arrivés à destination.
Il me regarde de ses grands yeux bleus, m'offrant le plus tendre des regards.
Un sourire se forme aux coins de sa bouche.

- Bon...
- Merci de m'avoir raccompagné chez moi. Dis- je souriante.
- Mais c'est normal de faire ça entre meilleurs amis nan? Ironise t- il.
- Oh mon Dieu Louka Mans serait- il enfin devenu quelqu'un de bien? Dis- je malicieusement.
- Il faut croire. Tu comptes faire quoi ce soir?

Je compte faire quoi ce soir?
Je compte m'enfermer de nouveau dans ma bulle, seule.
Je compte me plonger dans mon monde, si familier, virtuel, seule.
Je compte laisser le temps me filer entre les doigts, seule.
Je serai toujours seule.

- Rien, comme d'habitude...
- Et ta mère? Elle n'est toujours pas là?
- Ma mère n'est jamais là, tu le sais bien. Elle travaille sans cesse, je ne me souviens même plus de la dernière fois que je l'ai vue...

Ma mère a tout abandonné pour m'offrir le meilleur.
Elle m'a également abandonnée, moi.
L'année de mes huit ans, mon père est partit, il nous a quittées.
Un matin le soleil s'est levé, notre famille en était encore une. Le soir le soleil s'est couché, nous n'étions plus rien.
Mon père est parti, sans raison, sans nous dire pourquoi, sans nous prévenir.
Il est simplement sorti de nos vies, laissant derrière lui, deux coeurs vides et dévasté.
Depuis ce jour, ma mère a commencé à travailler durement pour pouvoir m'élever. Elle voulait compenser le manque laissé par mon père.

J'ai perdu mon père, ainsi que ma mère.
Elle veut simplement me rendre heureuse, combler un vide trop immense pour que les morceaux soient un jour recollés. Pourtant, en consacrant sa vie au travail, elle a creusé ce vide en moi.
Elle est partie, elle aussi.

- J'aimerais tellement rester avec toi Leila... Murmure t-il.
- Ne t'en fais pas, je m'en sortirai...

Mon coeur brûle dans ma poitrine.
Louka s'avance vers moi, et me prend dans ses bras.
Sa sombre chevelure se mélange à la mienne.
Je ferme les yeux, savourant l'instant, me délectant du contact de son corps contre le mien.

Nous nous connaissons depuis notre plus jeune âge, j'ai pourtant l'impression de le redécouvrir chaque jour. Je lui ai donné mon coeur, il ne m'a jamais donné le sien.

Il est beaucoup plus grand que moi.
J'ai le sentiment d'être protégée au creux de ses bras, que rien ne peut m'arriver.
Il me serre fort contre lui. Mon coeur devient fou, il s'affole.
Malheureusement, je l'aime.

- Je serai toujours là pour toi, tu es comme ma soeur. Chuchote t- il tendrement.

Mon être s'affaiblit, mon coeur se serre.
Je suis partagée entre bonheur et mal être.
J'ai de la chance, je suis celle qui compte le plus à ses yeux, je suis la soeur qu'il n'a jamais eue, je le connais mieux que lui même.
Pourtant j'aimerais être une autre à ses yeux, avoir une autre place dans son coeur. La même que celle qu'il a dans le mien.

- Je vais rentrer.

Je le repousse doucement, mettant fin à ce délicieux moment.

- D'accord, on se voit demain en cours alors.
- Bien sûr!

Il me fait un rapide clin d'oeil avant de partir, chez lui, retrouver sa famille.

Je suis seule.
La solitude est indissociable de ma vie.
Il me manque déjà, il n'y a que lui, pour me donner envie de profiter un peu de la vie.

Je rentre dans l'immeuble.
Le silence règne.
Je m'avance délicatement jusqu'à l'escalier.
Je monte les marches, une à une.
Seuls mes pas résonnent dans la bâtisse.
Je glisse la clef dans la serrure, et entre enfin chez moi, chez nous.

L'appartement est gigantesque, lumineux, impeccablement rangé.
Nous avons peu de meubles, mais le peu que nous avons est luxueux et incroyablement cher.
J'ai tout ce dont j'ai besoin.

Mais ce n'est que du matériel.

Comme je l'avais prévu, ma mère est absente.
Je suis toujours seule.
J'ai l'impression qu'à seulement seize ans, j'ai déjà mon propre appartement, vivant seule, indépendante, loin de ma famille.

Seule dans le monde réel, je me suis laissé emporter dans le monde virtuel.
Sans que ma mère ne s'en rende compte, je suis devenue dépendante, dépendante aux nouvelles technologies.
C'est là mon unique échappatoire.
L'irréel me permet de vivre une vie que je n'ai pas, de me construire telle que je le souhaite, de m'évader.

Je décide de faire comme à mon habitude.
Je m'installe sans plus attendre sur le canapé en cuir.
Mon programme pour cette soirée sera simple, jeux vidéos jusqu'à ce que mon réveil sonne m'annonçant que je dois me préparer pour aller en cours.

Je sursaute.
Quelqu'un martèle la porte d'entrée.
Je me lève difficilement.
Je regarde l'heure, il est dix- neuf heures passé.
Je trouve ça très impoli de frapper ainsi à la porte de quelqu'un.

Agacée, j'ouvre.

- Bonjour! Excusez- moi d'avoir tambouriné à votre porte, mais j'ai besoin de votre aide!
- Oh! Déjà vous êtes qui vous? M'énervais- je.
- Oh euhh.. Je suis Nina... Nina Fedley. Je suis votre voisine depuis peu.
- Leila Galys, enchantée...
- Votre mère est ici?
- Non.
- Oh...
- Oh?
- Vous êtes une grande fille nan? Je suis vraiment désolée mais serait- il possible que vous veniez garder ma fille Mia? Elle a quatre ans, elle sera sage je vous le promets.
- Je ne suis pas sûre...
- Je vous en prie. Je viens de recevoir un important coup de fil et je dois retourner au bureau de toute urgence. Elle a déjà mangé. Et puis ce ne sera pas long, je serai de retour vers vingt heures.

Nina semble affolée. Je vois bien qu'elle ne contrôle en rien la situation.
Elle me fait de la peine, je vois bien sa détresse.
Je préférerais pourtant rester seule plutôt que d'aller me sociabiliser avec un être humain.
Un être humain âgé de seulement quatre ans.

- S'il vous plaît...
- Bon c'est d'accord...

Je n'ai pas pu résister.
Elle me suppliait, me priait de l'aider.
Venir garder sa fille, ne me coûte rien, si ce n'est ma tranquillité.

- Super! Merci! Bon bah j'y vais, je reviens dans environ une heure. Prenez bien soin d'elle!

Sans me laisser le temps de répondre, elle s'en va, dévalant les escaliers à toute vitesse.

Je soupire.

Je n'ai qu'une heure à survivre, une heure en compagnie d'un autre être vivant que Louka.
Je ferme soigneusement la porte à clef et me dirige vers l'appartement en face du mien.
C'est évidemment ouvert.

- Euh... Y'a quelqu'un? Demandé- je timidement.
- Oui.

Seule la petite voix de Mia me répond.
J'entends ses pas frapper le sol.
Elle m'apparaît enfin.
Elle est adorable.
Elle ressemble tellement à sa mère.
Elle est toute petite, ses longs cheveux blonds la recouvrent presque entièrement.
Son regard ose a peine croiser le mien.
C'est une magnifique petite fille.

- Bonjour madame... Dit- elle timidement.
- Bonjour. Je viens m'occuper de toi en attendant que ta maman revienne.
- Je sais, maman m'a tout expliqué. Je peux retourner jouer?
- Bien sûr.

Mia repart, pour mon plus grand bonheur.
Je suis à nouveau seule.

Je visite rapidement l'appartement.
Il est simple, comporte beaucoup d'objets et de meubles plus étranges les uns que les autres.
Une chose est sûre, les Fedley n'ont pas de bons goûts.

L'ambiance est oppressante, étrange.
J'aimerais disparaître, tant mon instinct me crie de partir.
Il faut dire que Nina est un sacré personnage.
Cette femme est énigmatique, mystérieuse.
Son être, son âme, elle est si mystique.
Je ne saurais dire pourquoi, mais l'instinct ne trompe jamais, cette femme est différente.

J'entre dans le salon et m'installe sur le canapé dont le tissu est presque entièrement déchiré.
Un profond malaise m'habite.
J'ai besoin de m'évader, je ne peux pas résister.
Je sors mon téléphone de ma poche et branche mes écouteurs.
Je laisse la musique s'emparer de mon esprit brumeux et de mon âme meurtrie.
Je laisse la musique me faire oublier le passé.
Je laisse la musique m'emporter.

Il est bientôt vingt heures.
Mon estomac me torture.
J'ai si faim.
Je devrais peut être manger. Je suis affamée, je n'ai aucune envie d'attendre d'être chez moi, sachant que Nina pourrait très bien rentrer en retard.

Je pose mon téléphone sur la table basse et me dirige vers la cuisine.
Mia est toujours dans sa chambre, elle sourit en me voyant passer.
Elle a l'air de bien s'amuser, même en étant seule.

La cuisine est une pièce minuscule.
Je prends une casserole et la remplit d'eau chaude.
Je mets l'eau à bouillir.
Il me faut maintenant patienter quatre minutes.

Je retourne m'assoir dans le canapé et remet la musique au niveau sonore maximal dans mes oreilles.

Il ne me reste plus qu'une minute à attendre.

Un cri vient transpercer la douceur de la musique.
Je retire précipitamment mes écouteurs et me lève d'un bond.
Un second cri strident se fait entendre.
Je me précipite vers l'origine du hurlement, la cuisine.

Je manque de m'évanouir devant l'atrocité de la scène se présentant devant mes yeux.
Nina me regarde, horrifiée, désemparée.
La rage monte en elle, ses poings se serrent, elle ne dit rien. Elle pleure, elle pleure toutes les larmes que le monde pourrait verser.
Elle ne dit rien, elle a tout perdu.
Je remarque qu'elle tient un téléphone dans sa main droite.
Elle a donc déjà prévenu les urgences.

Je suis pétrifiée.

Mia est là.
Mia n'est plus parmi nous.
Elle est allongée sur le dos, par terre.
La casserole est à quelques mètres d'elle, vide.
Son visage si pur est gonflé, en sang, brûlé.
Quelques gouttes d'eau bouillante perlent encore sur son visage défiguré.
A certains endroits, sa chair est apparente, offerte aux démons.
Nous offrant, à sa mère et moi, un effroyable spectacle.

L'ambulance est rapidement arrivée, nous sommes toutes deux montées au chevet de Mia.
Son coeur s'est, à plusieurs reprises, arrêté.
Sa mère ne m'a prêté aucune attention, aucun regard, aucun reproche, j'étais comme inexistante.
Ses larmes semblent ne plus pouvoir arrêter de se déverser.
Mia vit, faiblement.
Une fois arrivée, Nina et moi sommes restées dans la salle d'attente, en attendant les résultats des médecins.

Après une heure d'attente, un médecin vient enfin à nous.

- Mesdames. Nous avons pu la stabiliser. Mais Mia est dans un profond coma, les brûlures sont profondes et ont attaqué sa chair. Malheureusement, je crains qu'une si petite fille ne puisse pas supporter tant de souffrance. Je suis vraiment désolé.

Nina fond de nouveau en larmes.
Le médecin quant à lui, repart, comme si de rien était.
J'aimerais être à la place de Mia. Contrairement à elle, je ne manquerais à personne, en quittant ce monde.
Elle, laisse derrière elle une mère dévastée.

- Qu... Que.. s'est- il pa.. pa.. passé?

Nina me regarde.
Ses yeux sont vides, son regard eteint.
Les larmes ruissellent sur ses joues.
Son corps frémit à chacune de ses respirations. Son souffle est court, sa respiration saccadée.

Dans mon esprit, tout se bouscule, tout est de ma faute.
Je revois Mia allongée sur le sol de la cuisine. Le visage en sang, l'âme éteinte.
J'imagine son petit corps entrain de lutter contre la mort, cette petite âme enfantine essayant tant bien que mal de survivre, seule. Elle est si innocente, trop fragile pour gagner un tel combat.
Je devais m'occuper d'elle, pas la laisser sans surveillance, mourante, seule.

Les larmes menacent de couler, mais je les retiens, je n'ai pas le droit.
Je suis la cause de tout ça, je suis un monstre.
Je n'ai pas le droit de souffrir, la douleur que j'éprouve n'est rien comparée à celle qu'endure Nina.
Celle qu'endure Mia.

- Je suis tellement désolée...
- Réponds à ma question. Dit- elle sèchement.
- Je.. Je.. J'avais faim.. Je suis allée dans la cuisine me faire des pâtes, puis je suis retournée jouer sur mon téléphone en écoutant de la musique...
- Et?
- Je ne sais pas ce qui s'est passé... Elle a dû vouloir regarder ce que je faisais bouillir et...

Mon coeur se serre. Le monde entier s'écroule sur moi. Je n'ai pas la force de finir ma phrase, je n'ai plus de force. Je donnerais tout pour remonter le temps, je donnerais tout pour être à sa place, mais c'est impossible.
Mon être est désormais à la merci du désespoir.

- Tu ne la surveillais pas?
- Non.... Répondis- je honteuse.
- Pfff tu étais bien trop occupée à jouer!
- Je suis vraiment déso...
- Non tu ne l'es pas! Pas autant que moi! Je t'ai demandé de garder ma fille, de t'en occuper, seulement pendant une petite heure! Et toi, tu as préféré la laisser seule, sans aucune surveillance?! Avec ta musique tu ne l'as même pas entendue hurler ou Dieu seul sait ce qu'elle a pu faire ou dire avant de ... de...

Son corps tremble.
Ses pleurs brisent mon âme, me détruisent.
Elle est perdue, désorientée. J'imagine sa douleur sans pouvoir la ressentir.
A cause de moi sa vie n'a plus aucun sens. J'ai tué deux personnes ce soir.

- Pourquoi es- tu autant sur ces appareils? Pourquoi?! Ils ont coûté la vie à ma petite Mia. Sanglote- elle.
- Je.. Je n'en sais rien...

Sa respiration reprend un rythme régulier. Elle semble s'apaiser, pour l'instant.
Son regard transperce le mien.
Ses yeux viennent se figer en moi.

- Même pour toi, ça va te pourrir la vie. Tu vas rater beaucoup de choses tu sais.

Ses yeux sont désormais lumineux, aucune larme ne coule. Un certain éclat malsain traverse son regard.

- Tu n'as qu'une vie, tu devrais la vivre, plutôt que de passer ton temps avec de la technologie. Tu devrais vivre plutôt que de te couper du monde. Tu devrais profiter de la vie.
- J'ai tout le temps devant moi, je suis encore jeune.

Je n'aime pas du tout la manière dont elle me parle.
Ce n'est ni de la rage ni de la haine.
Son regard reflète une expression, machiavélique, malsaine.

- Tu es sûre de toi?
- Oui, j'ai toute la vie devant moi.

Un sourire mesquin se dessine avec lenteur sur son visage.
Un air démoniaque se reflète en elle.

- On verra ça.

Nina me jette un dernier regard avant de s'en aller, me laissant seule.
Seule face à mes remords, seule face à moi même.

Je franchis le seuil de la porte d'entrée.
L'appartement est plongé dans le noir complet. Ma mère n'est toujours pas rentrée bien qu'il soit désormais tard.

J'ai envie de me décomposer, de partir, de mourir.
Mia est entre la vie et la mort, un infernal combat qu'elle ne gagnera pas.
Je l'ai tuée.
Même si elle survit, elle sera comme morte, elle n'aura plus cette envie de vivre.
J'ai tué cette adorable petite fille.
J'ai également tué sa mère, son âme s'est perdue à tout jamais.
J'ai tué cette petite famille.
Il n'y a plus aucun espoir pour moi.
Je suis une meurtrière, un monstre, je me dégoûte, me répugne.

Je n'oublierai jamais Mia. Je n'oublierai jamais son sublime visage tout comme ce sang qui ruisselait parmi l'eau bouillante sur sa peau d'enfant.
Je n'oublierai jamais Nina. Je n'oublierai jamais son regard, à la fois haineux et mort, mort de chagrin. Le désespoir la tuera.
Je n'oublierai jamais ces mots, les mots de Nina. Je n'oublierai jamais cette expression diabolique et ce regard malsain.
Je n'oublierai jamais ce jour.

J'ai toute la vie devant moi. C'est une chance qu'elles n'auront pas.
Ma passion pour les nouvelles technologies leur a coûté la vie.
Je ne peux plus me permettre d'exister.

Demain sera un autre jour, un jour de plus.
A moins que ma vie change, se bouleverse.
Pour le meilleur et pour le pire.
Les remords me tueront.
Elles me hanteront.

J'ai toute la vie devant moi.
Enfin c'est ce que je croyais."

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