III. III
Simon et Annie marchaient l'un à côté de l'autre, du même pas, se tenant par leurs bras entrecroisés. Ils discutaient en souriant, et quelquefois, un rire commun venait interrompre quelques instants le fil de leur conversation. A les voir ainsi, on eut dit un jeune couple, ou de très vieux amis se côtoyant en toute intimité.
Un mois s'était écoulé depuis Lucrèce Borgia. Un mois de joie et de plaisirs partagés. Un mois presque irréel où tout ce qui n'avait jamais été qu'une vision lointaine s'était offert aux deux amis.
Simon avait bien tenu sa promesse, et la soirée qui avait succédé à celle du théâtre s'était révélée plus magnifique que ne l'avaient été les dorures de la Comédie Française. Et la semaine suivante, et celle d'encore après, il en était de même. Chaque fois, ils rencontraient plus d'éclat qu'ils n'en avaient vu auparavant. Plus de joie, aussi, plus d'exaltation et un bonheur d'être ensembles toujours croissant.
Durant un mois, ce n'avaient été que théâtres, opéras, art, divertissement, grandes visites dans les hauts lieux de Paris. Chaque fois, Simon avait répété son extravagante générosité et avait payé largement le patron pour que celui-ci consente à libérer son employée. Chaque fois aussi, il avait joint à l'argent un cadeau pour Annie, petite gâterie dont il se refusait toujours à avouer le prix. « C'est impoli de demander », « C'est l'intention qui compte, pas le prix », répondait-il à chaque fois qu'Annie, contemplant son cadeau les yeux plein d'excitation, s'inquiétait de la dépense occasionnée.
Ce soir-là, en venant la chercher au Lupin, Simon avait apporté, enveloppée dans un grand papier rouge, une belle robe bleue, d'un bleu azur comme la mer sous le soleil d'été, et qui s'étendait gracieusement des épaules jusqu'aux genoux, serrée à la taille par une ceinture de soie céruléenne. A la voir ainsi, la peau si blanche sous son habit, on eut cru voir une fleur de lin, frêle et délicate.
« L'été approche, alors j'ai pensé à quelque chose de léger et d'élégant tout à la fois, dit Simon en tendant l'habit à Annie. »
Annie ne sut pas quoi répondre. L'étonnement bloquait les mots dans sa gorge. L'admiration devant la finesse de l'ouvrage la submergeait. Elle ne put que prononcer un timide « merci », après quelques secondes de silence.
Puis, elle se ressaisit peu à peu, et enfin, elle demanda fébrilement :
« Je peux la mettre ?
-Mais pourquoi poses-tu la question ? Bien sûr que tu peux, puisque je te l'offre. Une robe est faite pour être portée. »
Aussitôt, elle se dirigea vers les sanitaires, dans lesquels elle resta quelques minutes. Lorsqu'elle sortit, elle était parée de son cadeau. Les quelques clients qui parsemaient la salle contemplèrent cette femme qui apparaissait devant eux, ainsi apprêtée.
Annie se saisit du bras de Simon et, de son pas léger, elle l'entraina au-dehors en riant, comme à son habitude. Ils n'avaient pas plus tôt franchi la porte qu'une brise chaude, annonciatrice de l'été, les caressa. Doucement saisie par le vent, la robe s'agita et produisit un charmant petit froufrou, semblable au bruit d'un moineau prenant son envol.
Ils commencèrent à marcher, l'un à côté de l'autre, sans se presser. La mélodie du tissu frottant délicatement les jambes d'Annie ravissait Simon.
« Où va-t-on ce soir ? demanda-t-elle.
-Ce soir, je n'ai rien prévu d'autre que du calme, une promenade à deux en toute intimité. Viens, je t'emmène au jardin des Tuileries. »
Le printemps touchait à sa fin. Le soleil vespéral encore puissant éclairait vivement les avenues dont l'activité fourmillante semblait devoir ne jamais cesser. Tout souvenir de l'hiver avait cessé ; les manteaux, les gilets, habits de laine épaisse avaient quitté complètement les rues, remplacés par des vêtements plus légers et d'une élégance plus suggestive. Partout des amoureux, main dans la main, paradaient au grand jour.
Annie et Simon parvinrent bien vite à leur destination. Derrière les grilles aux pointes dorées s'étendaient les longues allées de platanes. Comme une mère protégeant son enfant, les arbres, en couvrant les passants de leur ombre, semblaient les éloigner de tous les malheurs du monde.
Ils avancèrent, lentement, sans prêter attention au chemin qu'ils empruntaient. Sous leurs pieds, le crissement presque imperceptible du gravier rythmait leur démarche régulière. Comme pour ne pas troubler tous les bruits environnants ni briser le charme des environs, ils se parlaient en chuchotant, presque silencieusement, et leur rire était un souffle fin et joyeux.
Sous un grand tilleul, un banc s'offrit à eux, d'un vert vif comme les feuilles qui frémissaient sous la brise. Ils s'y assirent et contemplèrent les environs. Non loin, on entendait le murmure des eaux du bassin, à peine masqué par les éclats de voix des promeneurs du soir. On percevait également les échos lointains du tumulte de la vie parisienne, qui semblait en ce moment distant comme un rêve évanoui.
Tout semblait si calme, à cet instant sous le feuillage, comme si la vie, d'un seul coup, avait cessé tout mouvement pour que Simon et Annie puissent en distinguer, un à un, chaque détail.
Le bras de Simon frôla l'épaule lisse et blanche d'Annie. Sans qu'il sût expliquer pourquoi, son corps tout entier fut parcouru d'un agréable frisson. Il eut été bien en peine de savoir si ce mouvement avait été volontaire ou accidentel. Répondant à ce contact, Annie lui saisit la main. La sienne était chaude comme un soleil de mars sur une fleur à peine éclose.
Simon la contempla une nouvelle fois. Elle était belle dans sa robe d'azur. L'habit lui seyait à merveille, comme s'il n'avait été imaginé et conçu que pour parer sa peau frêle. Ses lunettes fines lui donnaient un air ingénu qui ne la rendait que plus adorable.
Annie aussi regardait Simon, et dans ses yeux plus profonds que jamais, on pouvait voir plus que de l'amitié : une reconnaissance, une admiration sans bornes. De l'amour.
Le temps arrêta sa course.
Simon sentit son cœur battre à toute allure, de plus en plus vite. Il sentait au fond de lui une chaleur comme il n'en avait jamais ressentie, douce et diffuse, si merveilleuse que rien de bassement matériel n'eut su la reproduire.
Lentement, naturellement, comme si aucun autre mouvement n'avait été possible à ce moment-là, il se pencha vers Annie qui, portée par le même sentiment, lui offrait ses lèvres délicates. Enfin, leurs bouches se rencontrèrent avec une tendresse telle qu'ils en sentirent à peine le contact.
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