II. II
Son aspect contrastait grandement avec celui des personnes présentes : il était habillé d'un costume droit assorti d'une cravate et ses cheveux noirs étaient coupés courts, avec simplicité. Malgré sa tenue ordinaire, il émanait de lui une aura particulière qui semblait lui assurer sa place au milieu de cette extravagante assemblée, un air de ferme assurance qui illuminait son regard. Il demeura debout devant la porte durant quelques secondes, parcourant des yeux le mobilier et les gens qui se trouvaient là. Puis il s'assit face au comptoir et commanda un verre qu'il but lentement.
Le temps s'écoula, la soirée passa et quelques clients partirent. Mais Simon restait là, sur la même chaise. Il commanda un deuxième verre. En le servant, Annie entama la discussion pour égayer ce début de nuit.
« Vous êtes nouveau ici ? Je ne vous ai jamais vu.
-Effectivement, c'est la première fois que je viens.
-Qu'est-ce qui vous amène ? continua-t-elle avec un grand sourire.
-Oh, pas grand-chose. Le hasard m'a conduit ici. Je me promenais dans Paris à la recherche d'un lieu agréable pour y passer la soirée, mais partout, je n'ai trouvé que des concentrés d'ennui et de banalité. Désespérant de trouver, j'errais dans les environs des boulevards lorsque j'ai vu ce bar. Je dois bien dire que je suis étonné d'être tombé sur un tel endroit. J'étais déjà passé dans ce quartier quelques mois auparavant, mais je n'avais même pas le souvenir de cette rue étroite, alors le bar... En passant devant, j'ai ressenti un petit je-ne-sais-quoi de particulier qui m'a attiré.
-C'est vrai que l'ambiance est particulière. Depuis que je travaille ici, ça a toujours été ainsi. Je suppose que ça remonte à loin, bien plus loin que quelques malheureux mois. Je trouve ça merveilleux, d'un certain côté, quelque chose d'aussi unique au milieu de Paris, sans que les gens n'en aient conscience, et depuis si longtemps. D'ailleurs, puisque vous êtes nouveau, que faîtes-vous dans la vie ?
-Voyez-vous, avant-hier encore, j'étais un garçon de bureau, sans rêves et sans avenir... »
Simon expliqua quelle était son ancien travail puis, sans mentionner sa voix, ni les conditions qui l'avaient fait changer, il se déclara comme étant « en vacances » et lui décrivit la vie palpitante qu'il désirait mener durant quelques semaines.
De fil en aiguille, on en vint à parler d'Annie. Elle était en troisième année d'études de biologie à l'université de Paris-Descartes. Malgré la difficulté de sa vie laborieuse, elle appréciait pleinement l'existence qu'elle menait ; elle décrivit successivement ses travaux de licence et son emploi au Lupin avec une foule de détails passionnés qu'elle savait intégrer avec talent dans son récit.
Tout en l'écoutant parler, Simon admirait son interlocutrice. Il ne pouvait s'empêcher de contempler sa chevelure blonde qui ondulait doucement chaque fois qu'elle bougeait la tête, balayant délicatement la peau lisse et blanche de sa nuque. Du fond de ses yeux d'un bleu d'azur rayonnait une joie intense, une lumière qui redoublait d'intensité chaque fois qu'elle parlait.
Il ressentait chez elle quelque chose qu'il n'avait pas perçu depuis des années chez une femme. Il n'avait même pas le souvenir que ce fut arrivé une seule fois. Il ne discernait ni la vanité si courante des filles de cet âge, ni timidité, ni exubérance excessive. Elle parlait avec esprit, naturellement, sans pompeuses circonvolutions du langage ni grossièretés éparses parmi ses phrases. A aucun moment, il ne l'entendit se plaindre de sa triste condition ; elle l'affrontait avec courage et clairvoyance, sans se morfondre. Et toujours le même entrain venait embellir ce qu'elle disait.
Simon en était convaincu : Annie était une aristocrate. Non pas une parmi ceux qui le deviennent grâce à une bonne éducation, mais parmi ceux, rares et inestimables, qui le sont naturellement. Elle n'en avait sans doute pas conscience, mais elle était de loin supérieure à l'immense majorité de ses contemporains.
Jamais il n'avait contemplé pareille magnificence morale. Toute sa personne en était illuminée, procurant à son corps d'apparence ordinaire une beauté qui s'offrait à qui savait la voir.
En lui parlant ainsi, il sentait lui aussi une certaine joie monter en lui. Un sourire lui montait aux lèvres. Une si agréable compagnie le comblait de bonheur. Il se sentait plus vivant qu'au moment où il était rentré dans le bar, comme si la compagnie d'un aristocrate suffisait à élever qui veut en devenir un. Cette pensée le remplit d'une exaltation nouvelle.
Annie elle-même appréciait cette soirée à parler avec Simon. Elle était impressionnée par la franchise virile et l'admiration presque enfantine qui émanaient de son regard.
Bien vite, ils commencèrent à discuter comme deux amis, réunis dans ce lieu hors du temps. Bien que Simon ne révéla rien de ses manœuvres financières, il se confiait toujours plus intimement. Annie faisait elle-aussi découvrir des aspects plus profonds et moins perceptibles de sa personnalité.
Hélas pour eux, l'heure avançait. Les clients s'en allaient peu à peu et bientôt, il fallut fermer boutique.
Désirant passer plus de temps avec Annie, Simon l'aida à ranger les tables et les chaises et à nettoyer la salle. Puis les deux partirent, l'un à côté de l'autre. Leurs voix résonnaient dans les petites rues à présent vides de Paris. Sur les boulevards se voyait encore une certaines activité ; les théâtres et les cinémas qui s'alignaient procuraient aux alentours une vie nocturne, moins visible mais non moins fiévreuse que durant le jour.
Ils descendirent dans les souterrains du métro. Malheureusement, leurs destinations étaient opposées. Le temps de la séparation vint. Après de chaleureuses salutations, Simon regarda mélancoliquement son amie du soir s'éloigner au rythme des frottements de sa jupe contre ses jambes graciles. Enfin, elle se déroba à sa vue et il partit de son côté, le cœur plein de joie d'avoir vécu une si merveilleuse soirée.
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