I. II

Simon se mit à considérer le monde à la lumière de sa révélation. Cette nouvelle lumière posée sur le monde lui présenta plus clairement que jamais une multitude innombrable de détails qu'il n'avait jamais su voir. De plus en plus, il haït son travail. Certes, auparavant, il n'avait pas de joie à accomplir son office, mais son emploi ne lui semblait pas détestable pour autant. Bien vite, il porta la même haine à un nombre croissant d'éléments de sa vie.

Tout ce qu'il n'avait pas lui semblait insupportable. Lui qui ne possédait ni talent, ni argent abondant, jalousait à présent les détenteurs de ce qu'il considérait comme légitimement sien. Chaque bien, chaque richesse, chaque don moral ou matériel faisait remonter en lui une colère sourde ; il n'y voyait qu'une ostentation insolente, comme si chacun lui rappelait sciemment la médiocrité de sa condition et l'oisiveté de sa jeunesse qui le privaient à présent de tout cela. Tout lui semblait injustice dressée à l'égard de sa personne.

Croiser sans cesse les mêmes visages fades, les mêmes sourires mensongers, les mêmes corps vides, les mêmes paroles convenues, le rendait malade. Il haïssait sa condition, et cette haine le poussa à mépriser son entourage.

D'abord, il prit ces sentiments pour une lassitude passagère. Sans doute avait-il besoin d'un peu de repos. Prendre l'air quelques jours lui semblait être le remède le plus efficace contre les émotions qui le gagnaient. Il posa trois jours de congé et partit en Champagne. Il désirait certes oublier le travail pendant quelques temps, mais il ne désirait pas rester cloîtré chez lui durant son repos ; cette simple idée, qui lui aurait paru autrefois agréable, l'insupportait à présent.

Au cours de son voyage, soucieux de se défaire au mieux de la masse grouillante des rues de la capitale, il s'engagea, au hasard de son chemin, dans les routes les plus étroites, passa par les villages les plus petits. Chaque distance qu'il parcourait sans croiser une âme lui était un délice. Quitter ainsi ses congénères lui procurait le plus grand bien. Etait-ce cet aspect modeste, cette simplicité que dégageait chaque colline, chaque forêt, chaque paysage, qui le calmait ? Ou bien était-il tout simplement heureux dans cette région désertée par le plus grand nombre ? Le retour à sa vie quotidienne lui apporta la réponse.

Les jours de repos terminés, il se dédia à nouveau à ses tâches professionnelles. Il partit de chez lui d'un pas joyeux, l'esprit clair et reposé. Les oiseaux qui laissaient timidement entendre un faible gazouillis malgré le vrombissement acharné des voitures le remplissaient d'un contentement candide. Il se disait qu'enfin, tout était terminé, que ces quelques jours avaient libéré son esprit. Depuis son retour, il n'avait plus ressenti l'appel des voix dans son esprit.

Et Simon pénétra dans le métro. C'était le matin, à cette heure où tous les employés de la capitale se pressent et se bousculent pour aller travailler. Dans le wagon rempli de monde, foule disparate d'individus aux origines et aux conditions diverses, jeunes, vieux, femmes, hommes, mais partageant tous le même regard terne et vide, il se sentit mal à l'aise. Une angoisse profonde étreignait son cœur, le désarroi l'envahissait. Un à un, il dévisagea chaque voyageur : tous étaient indignes d'une quelconque estime. Ils n'étaient que des fourmis dans cette masse grouillante et informe qui s'agitait sous terre. Simon fut pris d'un sentiment d'oppression qui ne le quitta que lorsqu'il pénétra dans les bâtiments de son entreprise et que la foule se dissimula à sa vue.

Tentant d'oublier ces sensations, il se dirigea vers son bureau. Depuis l'entrée du bâtiment, le trajet ne représentait que quelques dizaines de mètres, et pourtant, cette distance lui sembla infinie. Chaque collègue qu'il croisait l'accueillait, en plus des banales salutations rituelles, par des questions sur son voyage. « Tu es de retour ? » ; « Alors, ce repos ? » ; « C'était bien, ces trois jours ? » ; « Tu t'es bien détendu ? ».

Ces innocentes questions l'agacèrent au plus haut point et il n'accorda pour toute réponse qu'un silence obstiné. Il ne voulait pas parler. Il ne le pouvait pas. Son esprit était tout à un agacement comme il n'en avait jamais connu. Il enrageait intérieurement. Ce qu'il voyait, ce qu'il sentait, ce qu'il entendait, tout ici l'insupportait, sans même qu'il sut expliquer pourquoi. L'odeur amère du mauvais café de sa voisine de bureau, le grincement persistant des semelles de cet employé derrière la porte, les incessants clignements d'yeux de son supérieur qui ne refrénait pas ce tic, le moindre détail l'envahissait ; même les mots les plus innocents qui lui étaient adressés ne créaient en lui que haine et mépris.

Simon ne parvenait pas à comprendre cette réaction. Le matin, il était pourtant parti de chez lui dans les meilleures dispositions, l'esprit reposé et l'âme sereine. Alors, pourquoi ? Pourquoi la vue de chaque personne qu'il croisait lui causait un tel dégoût ? Pourquoi son aversion pour son entourage resurgissait-elle, plus puissante et plus agressive que jamais ? Les pensées qui le tourmentaient quelques jours auparavant l'avaient enfin laissé en paix, et pourtant, en son for intérieur, la tempête enragée se poursuivait, s'intensifiait, même.

Simon constata que sa main tremblait, un tremblement très léger mais qui trahissait sa nervosité extrême. Il essaya de chasser cela en redoublant de concentration à l'égard de son travail. Cependant, en se replongeant ainsi dans les tâches monotones qu'il avait laissées, il sentit son agacement grandir encore et prendre des proportions colossales. Les chiffres et les mots alignés sur le papier qui n'attendaient qu'un traitement simple, presque idiot, n'avaient jamais été si écœurants à ses yeux. Pendant un long moment, il regarda fixement son écran et les papiers éparpillés devant lui. Il ne parvenait à surmonter cette vision, sa main restait fixe, refusant d'avancer. Au fond de sa pupille se terrait un désespoir sans fin. Une goutte de sueur perla sur son front.

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