Kosta s'était réveillé de très mauvais poil. Et sa « meilleure amie », Maëlle, n'y était pas pour rien.

Entre Kosta et Maëlle, le coup de foudre amical avait été évident et immédiat. Quand Maëlle était arrivée en 4ème, nouvelle au collège, Kosta l'avait imméditement prise sous son aile. Les rôles étaient alors bien différents. Maëlle était la nouvelle timide et mal dans sa peau pendant que Kosta était le petit con amusant et sûr de lui. À l'époque, il traînait avec les gens appréciés du collège, qui faisaient les quatre cent coups entre deux cours. Mais dès que Maëlle avait fait apparition dans sa vie, il avait changé du tout au tout.

Il avait tout fait pour la mettre en confiance, elle qui ne voyait qu'en lui l'idiot de service qui allait se jouer d'elle. Or, après avoir perdu sa sœur, le drame de sa vie, Kosta avait eu besoin de reporter tout son amour sur quelqu'un. Qu'elle le veuille ou non, Maëlle avait été ce quelqu'un. Il avait été doux et patient pour gagner sa confiance et son respect. Il lui avait montré qu'il pouvait être protecteur et à l'écoute, derrière ses airs insouciants. Il s'était même mis tous ses amis à dos, à force de n'avoir d'yeux que pour Maëlle. Et le pire, c'était qu'il s'en fichait. Au plus il apprenait à découvrir Maëlle, au plus il voulait passer du temps avec elle, c'était comme ça. Kosta avait ainsi radicalement changé de vie en tournant le dos à ce qu'il avait toujours connu pour une fille qu'il voulait impressionner.

Et cela avait fonctionné. Après des semaines à ramer, Maëlle lui avait fait son premier câlin, ses premières confidences. Elle avait commencé à se lâcher avec lui, à prendre confiance. Kosta n'avait jamais été aussi heureux. Voir la personne qui se cachait sous un masque de timidité était un réel privilège.

Or, cette relation avait pris un tournant dangereux. Kosta refusait de se l'admettre, mais il en était venu à totalement s'oublier et s'effacer pour faire briller Maëlle. Cette dernière ne semblait se rendre compte de rien non plus et le traitait parfois avec une dureté qu'il ne pensait pas mériter. De temps en temps, une part de lui ne regrettait pas d'avoir autant investi sa relation avec Maëlle.

Les premières fissures étaient apparues au mois de juillet. Du jour au lendemain, Maëlle a semblé insatisfaite de son existence, sans qu'il ne puisse jamais comprendre pourquoi. Elle lui avait envoyé un message chargé de reproches dans lequel elle exprimait son besoin de recommencer une nouvelle vie et de « vraiment profiter ». Elle ne s'en était pas rendue compte, mais ses propos avaient terriblement blessé Kosta. Il avait donné corps et âme dans sa relation avec Maëlle et elle exprimait clairement qu'il ne lui suffisait plus, qu'il n'était pas assez bien, ou du moins pas assez, pour elle.

Peu à peu, Kosta avait senti qu'elle lui échappait. Il avait lui-même pris ses distances, pour voir si elle reviendrait vers lui, mais aucune nouvelle. Ce froid l'avait profondément blessé. D'autant qu'en réalité, les sentiments qu'il éprouvait pour Maëlle dépassaient l'amitié. Au fond de lui, il rêvait de la prendre dans ses bras, de l'embrasser, et de finir sa vie à ses côtés. Il avait voulu lui en parler cet été, mais leur relation était si glaciale qu'il s'était abstenu. Il sentait Maëlle s'éloigner de lui, mais il savait qu'il ne pourrait pas surmonter ce chagrin d'amour. Alors il enfouissait ses sentiments au fond de son cœur en espérant un jour être assez en confiance pour les lui partager.

Bref, Kosta avait beaucoup appréhendé la rentrée. Il avait laissé passer l'été en espérant que sa relation avec Maëlle redeviendrait normal d'ici là. Mais il s'était réveillé ce matin avec un message glacial de sa part. « J'arrive seule demain pour la rentrée. On se voit à la récré. ». Aucune concertation, pas un bonjour, pas un au revoir, juste une affirmation qui semblait confirmer qu'elle ne voulait plus de lui dans sa vie. Après un moment de colère, Kosta était redescendu et avait décidé d'avoir une bonne discussion avec Maëlle avant de lui tomber dessus. Il voulait à tout prix comprendre ce qu'il se passait, il ne demandait qu'à communiquer. Il ne pouvait pas la perdre.

Après avoir ressassé ses pensées noires, Kosta pressa le pas dans les couloirs du lycée pour rejoindre la salle dédiée à sa classe. Un peu essouflé, il entra à l'intérieur. Toute sa classe était déjà quasiment là. Instinctivement, il chercha Maëlle du regard. Ils s'asseyaient toujours à côté et devant le bureau de l'enseignant, ils adoraient participer en classe ensemble.

La déception se mêla à l'agacement lorsqu'il la repéra, assise à côté du trio de la mafia des L - Léa, Léonie et il ne savait plus le nom de l'autre. Il savait juste que c'était trois filles superficielles et qui avaient la critique facile, voire qui pouvaient être carrément méchantes. Maëlle l'avait-elle vraiment abandonné pour ces trois pestes ? Que lui apporteraient-elles ? Il lui jeta un regard empli de froideur et lorsqu'elle le repéra enfin, elle lui renvoya un regard mauvais. Kosta se sentit blessé. Pourquoi semblait-elle en colère contre lui, encore ?

Incapable de lutter contre son amie, il s'assit tout seul à l'avant de la classe, juste devant Anastasia et une autre brune qui semblait nouvelle. Cette dernière lui lâcha un grand sourire auquel Kosta n'eut pas la force de répondre, mais il lui mit du baume au cœur.

Kosta n'écouta pas les explications de monsieur Rupin, leur professeur principal. Il était perdu dans ses pensées. Il devait absolument parler à Maëlle à la récréation. Il avait forcément loupé quelque chose. Même physiquement, elle était métamorphosée. Toujours aussi belle, mais étrangement différente.

À peine la sonnerie de la récréation eût-elle retenti qu'il se dirigea vers Maëlle d'un pas décidé. Elle l'observa arriver d'un air ennuyé, qui le blessa autant qu'il fit enfler sa colère.

« Il faut qu'on parle, lâcha Kosta. »

Maëlle leva les yeux au ciel comme s'il était le dernier de ses soucis.

« Si tu veux. À plus tard, les filles ! ajouta t-elle à l'attention de ses nouvelles meilleures amies. »

Même sa voix a changé. Kosta les observa ricaner comme des bécasse d'un air dégouté. Maëlle méritait mieux que ces filles, bon sang. Elle méritait... Quelqu'un comme lui, tout simplement.

Les deux adolescents sortirent dans la cour et d'instinct, Kosta se dirigea vers un banc isolé où ils avaient l'habitude de discuter tous les deux pendant des heures. Mais Maëlle le stoppa net.

"On a besoin d'aller aussi loin ? Pourquoi t'as toujours envie d'être isolé du monde, comme ça ?"

J'ai juste envie d'être avec toi. Ses paroles avaient heurté Kosta de plein fouet. Maëlle semblait rayer tout ce qui appartenait à son ancienne vie. Mais il décida de ne rien laisser paraître, au moins pour le moment. Ils allèrent s'assoir sur un banc plus proche en silence.

« Bon, qu'est-ce qu'il y a ? soupira Maëlle d'un ton moins agressif. »

Non. Kosta refusait qu'elle soit aussi nonchalante face à la détérioration évidente de leur relation. Il la connaissait par cœur. Il chercha au plus profond de ses yeux et décela un combat intérieur qui semblait avoir lieu chez son amie. Que lui cachait-elle, qui pouvait justifier un tel revirement de situation ?

« Arrête de faire semblant, Maëlle, commença Kosta avec douceur, ne sachant pas comment aborder le problème. Tu es ma meilleure amie et je tiens à toi. Tu sais ce que tu représentes pour moi. Pourquoi tu m'ignores ? D'où ça vient, ta lubie soudaine de changer de vie ? »

Maëlle détourna le regard et Kosta remarqua qu'elle hésitait à se confier. Depuis quand ? Avant, ils n'avaient jamais eu de secret l'un pour l'autre. Ils se confiaient toujours leurs craintes, leurs espoirs, leurs doutes...

« Je te l'ai dis, finit-elle par lâcher mécaniquement. J'en ai marre de notre routine, je veux profiter de mon adolescence à fond. Ce n'est pas contre toi, Kosta. Je... Je tiens à toi aussi. Mais j'ai envie de voir d'autres choses, d'autres personnes.
- Je ne te suffis plus, c'est ça ? demanda Kosta sans parvenir à cacher le tremblement de sa voix.
- C'est pas ça, le problème ! explosa soudain la blonde. Tout ne tourne pas autour de toi, putain ! Je veux juste aller avec qui j'ai envie d'aller, sans me prendre la tête, merde. Arrête de tout prendre personnellement, ma vie ne tourne pas autour de toi. »

Ses mots avaient été durs et crus. Kosta encaissa et baissa la tête. Maëlle sembla touchée par sa détresse et ajouta avec plus de douceur :

« Tu dois prendre ton envol. Et moi aussi. Je ne peux plus... Je dois vivre. Seule. On peut continuer à rester amis, mais je ne veux plus de la relation exclusive qu'on avait. La routine ne t'ennuyait pas, toi ? Tu peux le dire, ça ne me vexera pas, au contraire. »

Mais leur routine n'avaient jamais dérangé Kosta, bien au contraire. À partir du moment où Maëlle était dans sa vie, il avait été heureux. Le reste importait peu. Aller en cours, regarder des films, sortir ensemble,... Leur binôme, aussi simple soit-il, était ce qui comptait le plus au monde pour Kosta. Le monde pouvait s'écrouler, le sien tiendrait le coup tant que Maëlle serait à ses côtés.

« On mange ensemble, ce midi ? tenta Kosta. »

Ils avaient l'habitude de manger tous les deux au self et de se plaindre ensemble de la piètre qualité des repas. Ces moments de vie simples comblaient Kosta. Il n'aurait pas d'appétit, sans elle.

Maëlle détourna le regard, gênée.

« Je mange avec les filles. Un autre jour, peut-être.
- Tant mis, je vais manger seul. »

Kosta se sentait un peu honteux de mendier son amitié de la sorte, mais c'était la dernière perche qu'il lui tendait. À elle de la prendre, ou non.

Maëlle ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais la referma. Elle resta un moment en silence, sans changer d'avis. Et puis elle lança maladroitement :

« Tu comprendras, un jour. »

Kosta la regarda s'éloigner. Il sentit que sa vie prenait un tournant différent, qui menaçait de le changer à jamais. Son cœur blessé se noircit d'un sentiment presque nouveau pour lui - la haine.