Chapitre 23 : Léo

Léo observait Charlie faire un exposé en anglais avec admiration. Elle débordait d'aisance et racontait avec passion la guerre froide, ou quelque chose comme ça. Léo ne comprenait pas tout pour deux raisons : il était nul en anglais, et il était trop obnubilé par l'enthousiasme de Charlie pour se concentrer sur ce qu'elle disait. Pourtant, son accent anglais était impeccable ; de toute façon, tout était impeccable chez elle.

« That was perfect, Charlie, la félicita l'enseignante à la fin. Really interesting ! »

Charlie rougit sous le compliment et alla s'assoir à sa place avec un grand sourire. Léo la regardait d'un air gaga.

Sa vie était plus douce depuis que Charlie en faisant partie. Il avait l'impression de ne plus se lever avec un poids constant sur le cœur. Désormais, le matin, il lui envoyait un message pour savoir comment elle allait ou pour lui demander de quoi elle avait rêvé. Bref, toute opportunité pour communiquer avec elle était bonne à prendre. Léo ne demandait qu'à l'avoir dans sa vie. Peut-être qu'il se raccrochait un peu trop à elle, oui. Elle était devenue sa bouée de sauvetage. Par exemple, dès qu'il ressentait le besoin de boire de l'alcool, le simple fait de lui parler pouvait apaiser cette envie. Mais c'était bon signe, non ? Elle ne lui apportait que des choses positives.

Parfois, il la sentait un peu distante, et cela lui faisait peur. Il était terrifié à l'idée qu'elle l'abandonne. Pourtant, cela ne faisait qu'une semaine qu'ils avaient décidé de tenter une relation. Mais Léo avait envie d'elle depuis si longtemps qu'il avait l'impression que cela faisait des années qu'ils se fréquentaient. L'intensité de ses sentiments lui faisaient un peu peur. Car, la dernière fois qu'il avait autant aimé, il avait perdu Farah.

Penser à son premier amour était toujours douloureux. Il s'était juré de ne plus jamais retomber dans la même situation et de ne plus faire les mêmes erreurs. C'était pour cela qu'il s'investissait autant auprès de Charlie et était aussi présent. Il était terrifié à l'idée de la quitter des yeux et de la perdre. Cela avait été si rapide et brutal pour Farah. Il était encore trop tôt pour se l'avouer, mais il avait développé une forte peur de l'abandon.

Quelques élèves étaient passés en exposé pendant ses réflexions. L'enseignante lança :

« Bon, finalement, on a encore le temps de faire passer une personne. Léo, vas-y ! »

Le blond sentit un vent de panique monter en lui.

« Mais je devais passer demain...
- Et alors ? Tu devrais avoir préparé ton exposé depuis longtemps. Allez, je serai plus indulgente. »

Léo sentit son cœur redoubler de battements. D'ordinaire, il ne se serait pas préoccupé de cette situation : il aurait soupiré, dit qu'il n'avait rien préparé et accepterait un zéro. Mais là... Cet exposé, il l'avait travaillé avec Charlie. Et il ne voulait pas échouer devant elle. Mais il ne connaissait pas assez bien son texte pour passer ! Il avait envie de peaufiner son accent et son aisance, pour briller comme Charlie.

« Je ne suis pas prêt, est-ce que je pourrais passer demain, s'il-vous-plaît ? demanda t-il d'un ton presque suppliant.
- C'est maintenant ou jamais, rétorqua l'enseignante. Vous, les jeunes, vous êtes trop habitués à votre petit confort. Sortez donc de votre zone de confort, ça ne pourra vous faire que du bien. Et je t'ai dit que je serai indulgente. »

J'en ai rien à foutre que tu sois indulgente, pauvre conne. Léo voulait simplement avoir une bonne image devant Charlie. Or, c'était une humiliation garantie. Il ne pouvait pas se le permettre. Il devait être à sa hauteur.

« Je n'ai rien préparé, je ne passe pas, annonça t-il d'un ton sans appel.
- Alors c'est zéro, soupira la professeure.
- Attends, Léo ! s'écria Charlie. On l'a préparé ensemble. Je suis sûre que tu peux sortir quelques notions.
- Non, je ne peux pas, rétorqua t-il.
- Mais si, insista t-elle. Vas-y, tu ne peux pas avoir zéro pour rien ! »

Léo serra les poings. Il n'était pas énervé contre elle, il savait qu'elle ne voulait que son bien. Mais il ne voulait pas la décevoir. Charlie était si brillante, et lui n'était que le terminal redoublant et inculte. Mais il décida d'être en colère contre elle et se leva pour faire son exposé. Il allait lui montrer qui il était vraiment.

Léo prit son brouillon avec beaucoup de notes griffonnées sans qu'elles n'aient de réel sens. Sa préparation était médiocre et cet oral voué à l'échec. Pourquoi personne ne s'en rendait compte ? Pourquoi tout le monde en attendait trop de lui, alors qu'il se savait condamné à l'échec ?

Il fit une introduction misérable de deux phrases puis commença à faire défiler son diaporama. Mais dès la seconde diaporama, il ne sut que dire. Il avait écrit les mots-clés mais ceux-ci ne coïncidaient pas avec sa prise de notes. Paniqué, il passa à la troisième, mais ce fut le même problème.

Le regard de Léo vola à travers la classe. Ces camarades le regardaient d'un air étonné ou méprisant selon les têtes. Ses propres amis semblaient gênés. Léo rougit. Il finit par croiser le regard encourageant de Charlie, qui le regardait toujours avec espoir.

Espoir. Mais Léo ne pouvait pas incarner l'espoir. Il n'était qu'un bon à rien, que ce soit à l'école ou dans les relations. Il avait raté sa scolarité et détruit ses plus belles amitiés. Il avait provoqué la mort de Farah. Comment pouvait-il être regardé avec espoir, alors qu'il était destiné à échouer ? Il détestait que les autres comptent sur lui car il se savait condamné à les décevoir. Voilà pourquoi il avait évité de s'attacher à quiconque dernièrement. Comment avait-il pu penser qu'avec Charlie, ce serait différent ?

Peut-être que cela ferait moins mal si c'était lui qui la rejetait, plutôt que d'attendre qu'elle ne l'abandonne. Tôt ou tard, elle réaliserait qu'il n'était pas à sa hauteur, et il n'était pas sûr de pouvoir supporter son rejet.

Convaincu par son raisonnement, il alla ramasser ses affaires et sortit de classe. Il entendit bien l'enseignante l'appeler mais il l'ignora. Le cœur battant, il se dirigea vers la sortie du lycée.

« Léo, attends ! »

Et voilà que Charlie l'avait suivi. Il serra les poings. Il détestait l'idée de déverser sa colère sur elle, mais il savait que c'était ce qui allait se passer. Mais peut-être qu'au moins, elle ouvrirait les yeux sur lui.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? s'enquit-elle avec inquiétude. Tu as travaillé si dur... Tu as eu un trou ?
- Non, je n'ai pas travaillé dur, répliqua Léo. Je sais pas quelle image tu as de moi, mais tu m'as vraiment mal cerné. Je m'en fous, des cours, j'y connaissais rien à cet exposé. »

Face à l'air perdu de Charlie, il hésita à continuer mais son impulsivité prit le dessus.

« La seule raison pour laquelle j'ai bossé cet exposé, c'est pour être avec toi. Je suis pas comme toi, à stresser pour avoir des bonnes notes, je m'en tape. Mais, de toute évidence, ce n'est pas réciproque. J'ai l'impression que je te dérange à vouloir de voir tout le temps, alors que c'est normal !
- Woaw, doucement. Tu ne comprends pas. Si parfois je suis distante, c'est pas contre toi, c'est juste que j'ai pas l'habitude de tout ça. Tu le sais très bien, je t'avais prévenu ! Je ne serai pas la parfaite copine toujours aux petits soins car je ne sais pas faire. Et ça me fait peur, d'être aussi proche de quelqu'un.
- Mais ça ne devrait pas ! Si tu m'aimais vraiment bien, tu n'aurais pas peur et tu voudrais juste être avec moi. C'est bizarre. T'es bizarre. »

Ses mots étaient durs, et culpabilisants. Charlie, qui n'avait pas la langue dans sa poche, ne semblait même pas savoir quoi répondre. Elle semblait touchée en plein cœur. Léo s'en voulut, et cela acheva de le convaincre qu'elle méritait mieux.

« Ne me reproche pas d'être bizarre parce que je n'ai pas la même conception des relations que toi, lui reprocha Charlie, blessée. Là, tu transposes ta vision de l'amour à moi, mais elle est clairement biaisée par tes anciennes relations.
- Ça veut dire quoi, ça ? demanda Léo d'un ton abrupte, soudain agacé par ses belles phrases qui le faisaient se sentir stupide.
- Ça veut juste dire que ce n'est pas parce que j'agis d'une manière différente du schéma relationnel que tu as construit que je ne t'aime pas.
- Parce que tu m'aimes ? »

Charlie soupira et resta silencieuse un moment. Elle paraissait torturée intérieurement, et Léo ne le comprenait pas. Il sentait son amour pour Charlie vibrer au plus profond de lui alors qu'ils ne se connaissaient que depuis quelques semaines. Pourquoi n'était-ce pas réciproque ? Était-il fou ou désespéré à ce point ?

« J'y connais rien à l'amour, Léo, finit-elle par lâcher. Je tiens beaucoup à toi, je pense à toi tout le temps. Mais parler d'amour, c'est trop tôt pour moi. »

Léo sentit son cœur se serrer, à la fois de tristesse et de colère. C'était difficile, de savoir que la personne qu'il aimait ne savait pas ce qu'elle ressentait pour lui. C'était pire qu'un rejet. C'était l'impression de ne pas être assez, d'être une option qu'on pouvait rejeter du jour au lendemain. Or, il n'était pas sûr de réussir à gérer cette incertitude.

« Léo, je t'avais prévenu, insista Charlie. Je suis une meuf perdue, je comprends rien à ce que je ressens et c'est pour ça que j'avais envie de fuir. Mais... J'ai l'intime conviction que je passerais à côté de quelque chose en fuyant, cette fois. Il y a quelque chose chez toi que je ne peux pas juste ignorer. Je pense que j'ai besoin de temps. Mais, si tu n'es pas prêt à me l'accorder, on peut s'arrêter là. Je ne veux pas te faire de mal. Je préfère souffrir de mon côté en sachant que je rate quelque chose plutôt que de te voir souffrir à cause de moi. »

Malgré lui, la dernière phrase toucha Léo en plein cœur. Charlie était prête à souffrir, elle, plutôt que lui. Il ne comprenait pas. Pourquoi ferait-elle passer ses émotions à lui avant les siennes, alors qu'elle ne semblait pas savoir ce qu'elle ressentait pour lui ? Elle devait quand même tenir à lui, même si Léo ne comprenait pas de quelle façon. Mais ce simple constat suffisait à lui réchauffer le cœur. Car il avait envie de croire en leur relation.

« J'ai pas envie de te perdre, lâcha brutalement Léo. Mais je sais pas si je vais réussir à gérer cette relation, ou ce semblant de relation.
- Moi, j'ai envie qu'on essaie, répondit Charlie. »

Mais Léo en attendait plus. Il avait envie qu'elle lui dise qu'elle avait besoin de lui, qu'elle le voulait. Mais il savait qu'elle n'en ferait rien. Et il devait le respecter. Sinon, il la perdrait. Or, il n'était pas sûr d'être prêt à la perdre. Il préférait foncer tête baissée dans une relation toxique. Alors il lui prit les mains et soupira.

« Je suis désolé pour mes excès, je suis sans doute le pire copain au monde. Je ne te mérite pas, et parfois, j'ai l'impression que je fais tout pour te faire fuir.
- Je connais ce pattern, réplique Charlie. Moi aussi, je crois que j'ai tendance à vouloir montrer le pire de moi, à tester les limites de l'autre pour m'assurer que la personne soit prête à accepter le meilleur.
- On n'est pas si différents, finalement, murmura Léo, touché. »

Il y avait quelque chose qui sonnait bon et juste avec Charlie. La simplicité, peut-être. C'était contradictoire, car ni leur relation ni leurs sentiments n'étaient simples. Mais, quand ils se prenaient la main et que leurs regards se croisaient, c'était comme si le monde en feu autour d'eux s'arrêtait de brûler.

Ce début de relation était houleux. Mais Léo voulait y croire. Plus que tout.

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