Chapitre 1 : Léo

Léo s'avançait vers le lycée sans pouvoir s'empêcher de ressentir une certaine humiliation. Qu'importe ce qu'en disait son lycée, sa famille et ses amis, il se sentait assez honteux de redoubler sa terminale.

Lorsqu'il avait échoué au bac en juin dernier, il avait ressenti une certaine indifférence. En même temps, à l'époque, il avait des soucis plus importants à gérer. Comme faire le deuil du décès de l'amour de sa vie, Farah.

Il sentit son coeur se serrer alors que l'image de la belle brune s'immisçait dans son esprit, comme tous les jours maintenant depuis plusieurs mois. Léo avait beau essayer, il avait l'impression qu'il ne se remettrait jamais de sa mort. Jamais il ne pourrait oublier son sourire. Jamais il ne pourrait oublier ses yeux pétillants. Jamais il ne pourrait oublier leur complicité. Jamais il ne pourrait trouver mieux qu'elle. Jamais il ne pourrait à nouveau tomber amoureux.

Mais surtout, jamais il ne pourrait se pardonner d'être responsable de sa descente aux enfers, bien avant sa mort. Léo devrait porter ce fardeau jusqu'à la fin de son existence. Il ne se pardonnerait jamais et ne se sentait à vrai dire même plus capable de vivre avec un tel poids. C'est pour ça qu'il se baladait actuellement avec un reste de vodka au fond de son sac. Il avait déjà réussi à arrêter le cannabis et le tabac, chaque chose en son temps. L'alcool était pour le moment nécessaire pour amortir les douleurs qui tourmentaient son âme.

Tous les terminales étaient déjà ameutés à l'entrée du lycée dans une masse bruyante et peu accueillante. Léo ne savait pas trop où se mettre. L'année dernière, il était bien l'un des garçons les plus populaires du lycée, toujours suivi par sa bande d'amis. À l'époque, cela le faisait se sentir puissant, invincible, confiant. Aujourd'hui, il comprenait bien à quel point ces histoires de popularité étaient éphémères et ne lui avaient rien apporté, si ce n'est un besoin constant de validation par les autres, puisque c'était ce sur quoi reposait sa confiance en lui.

Personne ne vint le saluer. Il fallait dire qu'il avait bien déserté le lycée depuis un bon moment. Revenir entre ces grilles ne lui présageaient rien de bon. Mais cela faisait parti du pacte passé entre lui et sa mère : arrêter la drogue et reprendre le lycée pour avoir son bac, ou il était bon à partir en cure de désintox. Léo ne voulait pas rejoindre « les fous et les addicts ». Il ne se sentait pas dépendant de quoi que ce soit ; simplement, il avait besoin de sa dose d'alcool quotidienne pour ne pas avoir envie de se jeter sur les rails du train ou par la fenêtre de son appartement. Il aimait l'effet des dépresseurs du système nerveux : sentir son cerveau ralentir, ses pensées douloureuses diminuer... Mais il était fort et n'avait certainement pas envie que les gens commencent à le materner et à le priver des dernières libertés qu'il lui restait. Alors, il allait essayer d'arrêter, ou du moins poursuivre sa consommation en toute discrétion.

Avec un semblant de dignité, il fut le premier à entrer dans l'enceinte du lycée. D'autres le suivirent de près, et il ne put s'empêcher de ressentir une certaine fierté. Les gens le suivaient toujours. Et, s'il était digne d'être aimé par les autres, alors il était peut-être digne de vivre, après tout. C'était son nouveau mantra. Seule la validation des autres l'empêchait de devenir fou.

Après avoir retenu sa classe, il hésita à filer directement dans la salle de cours attribuée. Quelle image cela lui donnerait, d'être le premier arrivé en classe ? Léo avait toujours été le rebelle qui arrivait en retard, quand il ne séchait pas les cours. Cependant, à l'époque, il avait ses complices. Désormais, il était seul. Qu'est-ce qui était pire, attendre seul dans le hall et afficher sa solitude ou arriver premier dans la salle ? Après un bref moment d'hésitation, il décida de se rendre en classe. Au moins, il pourrait s'assoir dans le fond et partir sur de bonnes bases.

Il pénétra dans la salle et fut accueilli par son professeur principal - le même que l'année dernière. Monsieur Rupin, un professeur de SES depuis des années au lycée et avec qui il avait eu une relation plutôt hargneuse les deux dernières années. Cependant, suite au décès de Farah, l'enseignant avait montré une réelle empathie à l'égard de Léo et depuis, un lien différent et étrangement fort s'était instauré entre les deux hommes. Léo n'oublierait jamais que cet homme l'avait pris dans ses bras lorsqu'il s'était effondré en larmes après son échec aux rattrapages du bac.

« Bonjour, Léo, lança monsieur Rupin, visiblement surpris qu'il soit le premier élève à arriver à la rentrée.
- Euh, bonjour, rétorqua Léo avec nonchalance. »

Il ne savait pas où se mettre. Il ne voulait pas que ce professeur le regarde avec pitié et sous un œil différent. Et hors de question d'apparaître comme le chouchou aux yeux des autres. À cet instant, Léo sut quelle image il voulait donner. Il voulait reprendre son trône de roi du lycée, et cela n'impliquait pas de bonnes relations avec ses profs.

« Tu as passé un bel été ? demanda monsieur Rupin.
- Soirées, potes, alcool, boîtes, bref, tout ce qu'il me faut, fit Léo en s'étirant d'un air confiant. »

Le professeur sembla étonné et ne chercha pas à poursuivre la conversation. Léo se demanda s'il l'avait cru. Il baissa les yeux. La vérité, c'était qu'il avait passé son été à se noyer dans diverses substances illicites, mais seul. Il avait fui ses amis comme la peste, malgré les efforts de ces derniers pour le contacter. Il leur avait dit qu'il voulait passer à autre chose alors qu'il n'avait simplement pas la force de faire semblant de s'amuser avec eux. Et qu'est-ce que les autres pouvaient bien trouver d'intéressant chez Léo s'ils ne s'amusaient pas avec lui ? Léo était le roi de la galerie, inutile de traîner avec lui si ce n'était pas pour rigoler. Il avait donc préféré s'isoler.

Pour cette année scolaire, hors de question de montrer ses faiblesses. Léo ne vivait plus que pour le regard des autres, et si les autres le regardaient avec pitié, il sombrerait au fond du gouffre. S'ils le regardaient avec admiration, peut-être qu'il parviendrait à s'en sortir. Il fallait bien s'accrocher à quelque chose, et il n'avait plus rien de solide en lui.

« Bonjour ! »

Léo leva la tête. Une voix beaucoup trop enjouée pour un jour de rentrée venait de s'élever dans la salle. Il fronça les sourcils. Une magnifique fille au teint caramel et aux cheveux courts ébènes venait de faire irruption. Elle était grande et élancée, avec une démarche qui débordait d'assurance. Celle-là, elle était nouvelle. Il l'aurait déjà remarquée avant, sinon.

« Je m'appelle Charlie. Je suis nouvelle au lycée, se présenta t-elle en s'avançant vers monsieur Rupin.
- Bonjour Charlie et bienvenue. Je suis monsieur Rupin...
- Le prof principal, compléta t-elle. Euh, professeur, pardon. »

Elle rougit légèrement alors que Léo ne parvenait pas à détacher son regard d'elle. Une telle simplicité, une telle spontanéité, une telle joie de vivre. C'était simple, la dernière personne aussi rayonnante qu'il avait rencontrée était Farah. Mais Farah était unique. Léo avait appris à se méfier des gens qui souriaent trop et débordaient de bonheur. Chez Farah, cela n'avait été qu'une façade à la fin? Une façade qui l'avait détruite. Et puis, comment pouvait-on être heureux dans ce bas monde ? Léo ne les voyait ni plus ni moins comme des manipulateurs ou des menteurs.

Néanmoins, il ne protesta pas quand elle vint s'assoir à côté de lui. Il ressentait la place qu'occupait les gens sur l'échelle sociale. De toute évidence, il ne faudrait que quelques jours à Charlie pour se mettre tout le lycée dans la poche. S'il voulait regagner l'estime des gens, Léo ferait mieux de soigner ses relations avec elle.

Il décida de jouer la nonchalance et l'inaccessibilité en ne lui adressant pas la moindre attention. Histoire de rappeler qui dominait.

« Salut ! fit-elle avec le même air enjoué. Je m'appelle Charlie, t'as dû l'entendre, à moins que tu sois sourd. Merde, si t'es vraiment sourd, je suis désolée. »

Léo leva les yeux au ciel. Charlie capta sa réaction et soupira d'un air soulagé :

« Ouf, tu ne l'es pas. Tu comptes me dire ton prénom ou tu me laisses parler toute seule ? »

Léo ne pouvait s'empêcher de se sentir un peu vexé. D'habitude, les filles étaient intimidées rien qu'en le regardant. Et voilà que cette fille sortie de nulle part était plus à l'aise que lui.

« Léo.
- Cool. Enfin, pas spécialement, mais je ne sais pas quoi répondre. »

Charlie se mit à rigoler seule et Léo retint un haut-le-cœur face à tant de bonnes ondes.

« T'es ici depuis longtemps ? Dis-moi tout ce qu'il faut savoir pour survivre à ce lycée.
- Déjà, parler un peu moins. Il est huit heures et tu me donnes mal à la tête. »

Charlie ne parut pas le moins du monde impressionnée par son ton bourru. Léo se sentit un peu déstabilisé. Il décida de tenter une nouvelle approche.

« Sinon, pour survivre... Il faut avoir les bons contacts. »

Léo avait envie de la tester, la déstabiliser, ou peut-être les deux. À qui avait-il vraiment affaire ? Alors il ouvrit discrètement son sac pour lui montrer sa bouteille de vodka. Charlie haussa un sourcil.

« T'aurais peut-être moins mal au crâne si tu buvais pas ça. Le jus d'orange, c'est cool aussi le matin. »

Léo haussa les épaules avant de détourner son attention de Charlie. Mais il avait remarqué que son regard sur lui avait changé. Était-ce vraiment de la tristesse ?

Comment osait-elle le regarder avec pitié ?

Après tout, elle ne savait pas qui il était. Il avait toute sa réputation à rebâtir. Énervé, Léo prit son sac et changea de place.
Il n'accepterait plus jamais la tristesse de personne. Une nouvelle ère commençait.

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