Chapitre 4

- Jake ! hurla Sabrine depuis la pièce d'à côté. Dépêche-toi !

- Oui ! Criai-je en retour, à bout de nerfs. J'avais entendu la première fois !

Assis sur le coin de mon lit, je regardai mon reflet dans le miroir accroché derrière la porte de ma chambre. Jeans noirs, chemise grise et bleue avec, caché en dessous, un teeshirt de mon groupe de musique préféré. Juste assez de style, juste assez décontracté, pour être impossible à classer et ne me récolter aucun préjugé. En cas d'urgence, il suffisait soit de boutonner ma chemise, soit de la déboutonner.

J'avais hésité toute la journée, par la faute de ses messages flippants sur mon téléphone, si je devais aller à la fête ou pas. Mais Sabrine avait su trouver les bons arguments, comme quoi Justin avait préparé cette fête exprès pour moi – il s'était assuré que je puisse être présent, mais ce n'était pas pour moi – et ma vie était trop morose pour passer à côté d'une soirée entre amis. C'était peu, mais j'avais capitulé. Elle avait raison ; j'étais cruellement en manque d'ami.

- Jake ! hurla à nouveau Sabrine. Dépêche, il faut y aller !

- J'ARRIVE !

- Calmez-vous ! dit cette fois ma tante. Et Jake, sors de là !

Je poussai un soupir de désespoir, lançant un dernier regard à mon reflet pour ensuite m'assurer que je n'avais rien oublié. Téléphone dans une poche, porte-feuille et condoms dans l'autre.

J'ouvris la porte de ma chambre pour croiser Sabrine, qui se préparait à la frapper à coup de pied. Elle s'était mis une robe noire qui allait aux genoux, ainsi d'un blouson, m'empêchant de voir à quoi ressemblait le haut de sa tenue. J'étais sûr que c'était un grand décolleté, et le manteau n'était là que pour que ses parents de s'en rendre compte. Un simple trait d'eye-liner accompagné d'une bonne épaisseur de mascara faisant ressortir ses yeux bleus, un gloss rehaussait le rose naturel de ses lèvres.

Je fis un petit sifflement moqueur.

- T'as l'intention de te dévierger ce soir, ou quoi ?

- Jacob ! s'indigna ma tante, qui était juste derrière sa fille.

- Je plaisante ! Enfin, même si j'étais pas de ta famille, je voudrais vraiment pas coucher avec toi ! dis-je dans un rire.

- Jacob, répéta Carole. Retire ce que tu viens de dire.

- Oh, d'accord... ce sera probablement un viol, mais je coucherai avec toi, dis-je dans un haussement d'épaules.

- T'es con, s'énerva Sabrine.

- Sortez d'ici ! soupira ma tante, qui en avait déjà marre de nous deux.

Sabrine m'attrapa par le bras et m'entraina jusqu'à la porte, le visage rouge de honte. Je lassais mes converses pendant que ma cousine mettait ses talons hauts.

- T'étais obligé de dire ça devant ma mère ? murmura-t-elle pour ne pas se faire entendre.

- Tu sais, je suis un humoriste. J'ai vu une entrée, je l'ai prise. Et plus le public est grand, plus ça paye !

- T'es tellement con, j'ai de la peine pour toi.

Je répondis d'une grimace en terminant de lacer mes souliers.

- Jacob, dit Harry depuis la cuisine, si t'as le moindre problème, tu appelles et je pars te chercher.

- Ça va, Justin est pratiquement notre voisin, dit Sabrine à ma place.

Mon oncle hocha la tête, sans rien ajouter, et disparut à nouveau dans la salle à manger. J'échangeai un regard tendu avec Sabrine, ayant tous les deux compris où son père voulait en venir. Oui, ma famille me manquait atrocement, mais je n'étais pas une épave comme ils aimaient à le penser. J'allais bien. Ils étaient tous convaincus que j'allais m'effondrer à plat ventre, le pouce dans la bouche, à pleurer comme un bébé.

Sabrine ouvrit la porte, passa la première. Je fermai la porte derrière moi. Nous piquâmes à travers le gazon de la cour pour rejoindre le trottoir. La rue dans laquelle nous habitions était très près de la ville ; il aurait suffi de prendre à gauche, au croisement devant nous, marcher pour environs cinq minutes, et c'était déjà le centre-ville. Du côté où nous étions, ce n'était que des maisons, mais nous entendions tout de même les klaxons, nous sentions l'odeur du gaz, plusieurs nourritures des restaurants qui étaient juste à côté, on pouvait voir la lumière des enseignes tel que Superstore et McDonald au loin. Il y avait aussi le léger parfum d'embrun qui se mêlait au tout, avec le vent marin de la rivière qui traversait l'entrée de la ville, et la côte qui la longeait. C'était peut-être une petite localité avec peu de diversité, ça restait un très bel endroit.

- Nostalgique ? dit Sabrine, qui m'observait depuis un moment.

- Quoi ? Oh, non, c'est juste que... Ç'aurait été chouette, un tour en ville pendant la nuit.

- Peut-être plus tard. Un bon McDo après une beuverie, ça fait toujours du bien.

- Je croyais qu'il n'y aurait pas d'alcool.

- J'ai dit ça parce que mon père n'était pas loin, répliqua Sabrine en éclatant de rire. Attends, tu bois ou pas ? Sinon, c'est bien possible que tu te fasses un peu harceler, dit Sabrine en se mordant la lèvre.

- Non, c'est bon. J'ai de l'expérience, sur le sujet, dis-je en pouffant.

- J'ai hâte de voir ça !

- J'ai hâte de te voir, toi, complètement soûle !

- Parie, qui va vomir en premier.

- Ce sera toi.

- Oh non, je vomis jamais !

- Cinq dollars.

- Dix !

- Va pour dix.

Je m'arrêtai pour me retourner vers Sabrine, lui tendant la main. Avec son sourire diabolique, Sabrine la serra vigoureusement.

- On fera une partie de beer pong, dit-elle.

- Je suis un champion de beer pong.

Sabrine me fit un clin d'œil plein de sous-entendus, puis se remit à marcher sur le trottoir.

- Tiens, regarde, dit-elle en pointant le doigt vers une maison en particulier, plus loin sur notre chemin. Chez Justin.

- Une baraque de riche, bien évidemment, dis-je alors que je la voyais un peu mieux à chaque pas. Deux étages, large comme deux gyms, une clôture à piscine à l'arrière, assurément abrité par une piscine, en toute logique... trop tôt pour la baignade, on n'est qu'en mai.

- Elle est chauffée.

- J'y crois pas, t'as vraiment des amis haut placés dans la société. Et je parie que, comme par hasard, ses parents sont présentement en voyage d'affaires en Jamaïque pour des raisons agricoles...

- Ils sont en Floride, spécifia Sabrine.

- Aaaaah, dis-je lentement.

Nous entrâmes dans la cour de la maison, où il y avait déjà quelques voitures de garées. Sabrine prit les devants une fois arrivés au balcon, elle grimpa les quelques marches précautionneusement en se tortillant les fesses, puis appuya sur la sonnette. Justin lui-même vint nous ouvrir au bout de quelques secondes d'attente, une bouteille de bière à la main.

- Ouaiiiiis ! Salut, amigo ! s'écria-t-il en levant sa boisson bien haut.

Heureusement qu'il n'est pas dans le pari, il est probablement déjà sur le point de perdre, pensai-je en refoulant une envie de rire.

- Salut, Justin ! répondis-je en même temps de Sabrine.

- Bienvenue dans ma casa, le nouveau ! dit Justin en ouvrant la porte assez grande pour nous laisser entrer. Pas la peine d'enlever vos souliers, pas touche aux décorations, ne brisez rien ou vous le payez. Allez vous servir un verre, y'a de la bière dans le frigo et du punch sur l'armoire. On se rejoint plus tard !

Justin nous tourna le dos et disparut dans la foule de monde qui était déjà présent. Sa maison était grande, vue de l'extérieur, mais un peu moins vue de l'intérieur, avec en plus une trentaine de personnes qui se pressaient entre Sabrine et moi et la cuisine où étaient les spiritueux. Nous dûmes donc jouer des coudes, et quelques fois ce fut celui de Sabrine qui s'enfonça dans mes côtes, pour enfin arriver à destination.

- Alors... bière ou punch ? dit Sabrine.

- Punch ! Plus d'alcool, plus de chance d'aboutir à une fin, avec ce pari.

- Bon point ! Allons-y pour le punch !

Je pris deux verres en plastiques rouges et les présentaient à Sabrine qui, avec la louche, les remplit l'un après l'autre sans échapper une seule goute sur le comptoir.

- Cul sec ! s'écria Sabrine, frappant doucement son gobelet contre le mien.

- Cul mouillé !

Sabrine s'étrangla de rire entre deux lampé face à ma réplique inattendue, mais réussie à achever ma boisson en quelques gorgées rapides. Je terminai avant elle, pas peu fier de moi.

- Alors donc, dis-je d'un air faussement connaisseur, un peu de rhum, un peu de jus d'ananas, une petite note sucrée, ce doit être la grenadine.

- Y'a du jus d'orange, là-dedans, j'en suis sûre, dit Sabrine sur le même ton.

- Mais ça goute l'ananas ! dis-je encore.

- Oui, ça goute l'ananas, mais ça goute aussi le jus d'orange !

- Nah, en fait, c'est peut-être du triple sec !

- Oh, je sais plus, y'a peut-être complètement n'importe quoi ! dit Sabrine en éclatant de rire. Donne ton gobelet !

Je le mis sur le comptoir et Sabrine le remplit de punch. Cette fois, elle laissa échapper quelques gouttes.

- Ne me dis pas que tu perds déjà tes moyens après un seul coup !

- Pas du tout, c'est la louche qui était trop pleine ! Allez, cul sec ?

- Si tu le fais en premier.

- Nah, en même temps !

- OK, c'est toi la boss !

- Cul sec !

Nous calâmes à nouveau nos verres, un peu plus lentement. Je commençai à avoir la tête qui tournait.

- Cul mouillé ! dis-je en reposant mon gobelet devant moi.

Sabrine, qui n'avait pas encore terminé, s'étrangla de rire et cracha tout ce qu'elle avait dans la bouche. J'éclatai à mon tour, me soutenant au comptoir pour ne pas m'écraser au sol.

- Eh, vous deux ! s'écria quelqu'un derrière nous, une main sur mon épaule et l'autre sur celle de Sabrine. Arrivés depuis trois minutes et déjà bourrés ?

- J'essayais de gagner un pari, dit Sabrine en s'essuyant la bouche avec une serviette en papier. Le premier qui vomit perd.

- Oh, je vois, dit-il en éclatant de rire. C'est une façon comme une autre de s'amuser, je suppose ? (Il se tourna vers moi en me faisant un grand clin d'œil. Je le reconnus sur le coup pour être Sam, l'un des amis que Sabrine m'avait présentés.) Alors, Jake ? Tu t'y plais, ici ?

- Ouais, c'est bien ! Je suis arrivé que depuis trois minutes, mais... ouais, c'est bien, dis-je en éclatant de rire un peu trop fort.

- OK, je vois. Mollo sur l'alcool, hein ? Si vous vomissez, vous ramassez, c'est clair ? Allez jouer votre petit jeu dans la salle de bain.

- Je vais pas vomir, c'est Sabrine qu'y faut surveiller.

- Même pas, c'est Jake, répliqua Sabrine d'une voix déjà pâteuse.

- C'est Sabrine.

- C'est Jake.

- Sabrine.

- OK, peu importe ! dit Sam en levant les mains comme un criminel. Faites comme vous voulez, mais me mêlez pas à ce concours bizarre. Allez, Jake, lâche l'alcool et va socialiser ! Cette fête existe justement dans ce but !

- Ouais, j'y vais ! dis-je en terminant de remplir mon verre de punch pour une troisième fois.

Je fis un clin d'œil à ma cousine avant de m'aventurer dans la foule de fêtards, qui dansaient sur de la musique techno. Coincé en sardine sur le dance-floor, je me déhanchai un peu avec eux tout en cherchant quelqu'un qui serait prêt à parler avec moi, pour socialiser, comme avait dit Sam. Et mon regard croisa, au-delà du troupeau d'ados déchainés, assise dans un canapé avec une autre fille, la salope pom pom girl.

L'esprit en ébullition, je dus jouer des coudes pour me séparer de la foule et m'approcher de la brunette. Elle riait avec son amie, un verre de punch dans la main. Ce sera facile, elle est déjà joyeuse, un peu pompette, tout comme moi !

- Hé, salut ! dis-je une fois que je fus assez près pour me faire entendre, ce qui voulait dire pratiquement embarqué sur ses genoux. Je suis pas venu t'embêter, je te rassure ! Je suis nouveau et je fais la tournée des noms. Je suis Jacob, mais tu peux m'appeler Jake.

- Cool, salut à toi, Jake, dit-elle avec un grand sourire qui me fendit le cœur. Moi, c'est Élodie, mais tu peux ne pas m'appeler du tout.

Oh, elle fait sa rebelle, pensai-je dans un rire. Ce sera amusant !

Sans me vexer, je me laissai tomber entre son amie et elle dans le canapé, prenant une gorgée de punch avant de lui faire mon meilleur sourire charmeur.

- Alors, Du-Tout, on se plait à la fête ?

- Ouais, elle est chouette, répondit Élodie. Elle était encore mieux quand t'étais loin.

- C'est dommage, je suis ici, maintenant. Et peut-être bien que je vais y rester pour un petit moment. Il est confortable, ce canapé !

- T'es lourd.

- Mais non, dis-je en me tapotant le ventre. Que des abdos ! Tu veux voir ?

- J'y crois pas, dit Élodie en éclatant de rire. T'es vraiment direct, en affaire.

- Si j'étais direct, je t'aurais déjà proposé de monter à une chambre avec moi, dis-je avec un rictus malicieux.

- Mais d'où tu viens, pour être aussi timbré ? dit Élodie, qui souriait toujours.

- Je sors tout droit de Bathurst.

- Ah, je vois ! J'ai affaire à un vrai citadin.

- Ouep. Un vrai de vrai.

- Alors pourquoi t'es ici, maintenant ?

Je pris un moment pour réfléchir à la question. Parce que ma famille est morte n'était pas vraiment un sujet sur lequel j'avais envie de m'aventurer. Pour sûr, pas au milieu d'une fête, assis en sandwich entre deux si jolies filles.

- J'avais besoin de changement, dis-je dans un haussement d'épaules. C'est pas important.

- Raison personnelle ?

- Ouais.

- OK, je vois. Je suppose que ça a un rapport pourquoi t'as passé tes premiers jours de cours avec un plâtre.

- En quelque sorte. Vraiment, c'est pas important. OK, on parle de ce que tu veux, mais pas de ça.

- Mais c'est justement de ça que j'ai envie de discuter, dit-elle en me faisant les yeux doux.

La salope, pensai-je avec amertume. Sabrine avait raison.

- Non, mais tu vois pas que j'essaie de flirter avec toi ? Et c'est comme ça que tu me remercies ?

- Je t'ai pas demandé de venir t'assoir ici.

- Mais avoue que t'apprécies le geste.

- J'avoue, dit Élodie en se mordant la lèvre pour s'empêcher de sourire.

- Tu veux que je parte ?

- Oui.

- Moi, j'ai envie de t'embrasser.

- Oh ? Et qu'est-ce que tu vas faire ?

- C'est un pays libre.

- C'est une façon de voir les choses.

- Je peux t'embrasser ?

- Non.

- C'est pas ce que tes yeux me disent.

- Mes yeux ne sont pas doués de paroles, à ce que j'en sais.

- Tu veux tester ? Je les entends bien, pourtant : Jake ! Embrasse-là !

- Non, c'est pas vrai, dit Élodie en éclatant de rire.

- Je te jure.

- T'es lourd.

- Mais je t'assure, je suis tout léger. Regarde, je vais te montrer.

Élodie secoua la tête, comme pour dire non, mais son sourire m'indiquait le contraire. Je m'approchai doucement, me préparant à un refus un peu plus convaincant, mais il ne venait pas. Je passai une main derrière sa nuque et l'embrassai avec passion. Élodie se laissa faire, me renvoyant la pareil, alors que nos langues jouaient la rumba. Ça faisait une éternité que je ne m'étais pas senti aussi bien.

- Alors, je suis toujours lourd ? demandai-je en reprenant mon souffle.

- Beaucoup trop, dit Élodie qui souriait bêtement.

- Attends que je sois au-dessus de toi, tu verras si c'est trop pesant.

Oubliant mon objectif de socialisation, je passais une bonne heure assis là sur le canapé avec Élodie. Son amie avait disparu, et ni Élodie ni moi ne l'avions vue partir. Par contre, je remarquai, au bout d'un moment, Sabrine qui me lançait des regards noirs, comme si je fraternisais avec l'ennemie – ce qui était probablement le cas, en ce qui la concerne. Elle m'avait retiré mon verre de punch presque vide des mains pour m'en donner un autre, et je suis sûr qu'elle y avait ajouté quelque chose, parce qu'il goutait maintenant plus l'alcool que le jus.

- Tu triches, dis-je en lui envoyant un coup d'oeil faussement haineux.

Sabrine me fit une grimace avant de reprendre le gobelet, d'avaler une grande gorgée et de se fendre à nouveau dans la foule.

- C'est quoi, le jeu ? demanda Élodie.

- Le premier qui vomit, dis-je fièrement.

- Vous êtes tous bizarres, dans ta famille ?

- Malheureusement.

En voilà donc que je faisais des blagues sur ma famille décédée. Qu'est-ce qui ne tournait pas rond, dans ma tête ?

Pour tenter d'oublier ce que je venais de dire – avec le sourire, de surcroit -, je pris le verre que Sabrine m'avait apporté à l'instant et le bus cul mouillé. C'était la fois de trop ; aucun souvenir de la soirée ne passa cette minute.

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