Chapitre 27
Je me réveillai en hurlant, en proie à une terreur sans nom. Le visage inondé de larmes, les bras et les jambes secouées de spasmes, le psy et le policier étaient à deux à essayer de me contrôler.
L'hypnose avait fonctionné. J'avais revu pour la troisième fois cette même scène que Hyde m'avait montrée, quand j'étais allé chez moi. Mais cette fois, je le sais, c'était la bonne version.
Hyde avait eu raison. Pas sur sa version, là-dessus, il avait tout faux. Mais il avait essayé de me protéger, justement, en m'empêchant de la voir.
En essayant d'échapper à la poigne du policier, qui me tenait par les épaules, je donnai un coup de pied dans l'épaule du psy, qui retomba assis sur sa chaise en grognant de douleur. Reprenant un peu conscience de la réalité, je consentis enfin à arrêter de me débattre, toujours secoué par mes sanglots.
- Jacob, dit le policier en me secouant. Ça va, calme-toi ! Dis-moi ce que tu as vu. Tu as vu le meurtrier ? Il ressemblait à quoi ?
- Il... euh...
Je secouai la tête, incapable de prononcer un seul mot de plus. Une boule me coinçait la gorge, m'empêchant presque de respirer.
Voir ce que j'avais vu, ç'avait été encore pire que d'apprendre ce qui s'était passé, alors que j'étais encore à moitié comateux et bourré de médicaments ; l'information m'était passée loin au-dessus de la tête, j'avais été incapable de comprendre l'étendue de la situation. Maintenant, c'était différent ; c'était comme une claque au visage, assez puissante pour m'arracher plusieurs couches de peaux sur la joue.
Ma tante débarqua à son tour dans la salle, ouvrant la porte à la voler et regardant partout, en quête d'un danger. La réceptionniste la suivait de près, semblant tout aussi paniquée que Carole. Je tournai la tête dans l'autre direction, essayant de reprendre mon souffle et d'arrêter de pleurer. Mes cris avaient vraiment alerté tout le monde dans l'immeuble.
- Jake, tout va bien ? demanda-t-elle tendrement en s'asseyant à côté de moi sur le canapé. (Je hochai timidement la tête, refusant toujours de croiser son regard. Ma tante passa un bras autour de mes épaules et m'attira contre elle. Je me laissai aller, posant ma tête sur son épaule.) Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi il a crié ? demanda-t-elle cette fois pour le psy et le policier.
- C'est ma faute, dit le psy qui se tenait toujours l'épaule en grimaçant. Je n'aurais pas dû l'hypnotiser, ce n'est vraiment pas conseiller pour... (il grimaça, avant d'avouer :) Pour les esprits instables.
- Instable ? dis-je en levant les yeux vers lui, la voix enrouée. C'est qu'une façon polie pour dire que je suis fou ?
- Bien sûr que non, dit Charles, je veux dire... Dépressif, ou autre...
Son « ou autre » était bourré de sous-entendus. Il me regardait droit dans les yeux, un sourcil pour haut que l'autre. Il semblait vouloir dire « tu ne peux pas dire le contraire ».
- Je suis pas dépressif.
- Nous savons bien que tu ne l'es pas, intervint Smith le policier. Je suis désolé, Jacob, mais il faut que tu me dises tout ce que tu peux sur le souvenir, pour l'instant que c'est encore frais. Tu peux faire ça pour moi ? Après, je ne te demanderais plus rien.
Comment faire autrement ? Il fallait que je parle, au moins que je dise n'importe quoi. Tout, sauf la vérité.
Je hochai la tête, les yeux rivés sur mes genoux. Ma tante me pressa doucement l'épaule, comme pour me donner un peu de courage.
- C'était le soir. J'étais au salon avec toute la famille, on écoutait un film à la télé...
Je revoyais la scène défiler devant mes yeux. Je les fermai, essayant d'empêcher les larmes de couler.
- À une annonce, je suis allé à la salle de bain...
Parce que mes parents voulaient parler d'un sujet sensible et je voulais repousser le moment.
- Quand je suis revenu... Je me suis arrêté pour faire face à mes parents, parce qu'ils voulaient me parler d'un truc... C'était... Ils voulaient m'annoncer qu'ils voulaient m'offrir une voiture pour mon anniversaire, mais il faudrait que je me trouve un job pour cet été, quand les cours seraient terminés. Puisque j'aurais dix-sept ans en septembre, ça m'aurait laissé un peu de temps pour m'amasser un peu d'argent pour en payer une partie.
Le policier hocha la tête, sans broncher face au mensonge. J'avais tout inventé, bien sûr ; ce que mes parents voulaient me dire, c'était qu'ils voulaient que j'aille consulter. Ils avaient déjà pris un rendez-vous avec un spécialiste pour moi, car ils savaient qu'il y avait un truc qui ne tournait pas rond.
- Je leur expliquais qu'il était hors de question que je travaille dans un fastfood, quand... le meurtrier est arrivé.
Je pinçai les lèvres, sentant une larme se frayer un chemin entre mes paupières closes.
Je leur expliquais qu'il était hors de question que j'aille voir un spécialiste, quand j'ai pété les plombs.
Bien sûr, Hyde avait eu raison. Ce n'était pas lui qui avait tué ma famille, c'était encore moins moi-même dans toute ma conscience.
C'était un troisième. Un troisième. Qui, à ce que j'en sais, ne s'était pas manifesté depuis cette nuit-là. S'il l'avait fait, Sabrine serait morte depuis longtemps.
Hyde pouvait s'énerver pour un rien, être colérique et lancer toute sorte de menaces en l'air. Mais lui, le troisième, ne se donnait pas cette peine.
J'avais tourné les talons, j'avais été à la cuisine chercher un couteau, et je l'avais sauvagement planté dans la gorge de ma mère. Et c'était mon père qui m'avait balancé la bibliothèque dessus, pour essayer de m'arrêter dans cette folie. J'avais eu le temps de lui planter un couteau de la même manière avant que la douleur d'une jambe cassée ne me fasse perdre connaissance.
La seule raison pourquoi je n'avais pas laissé d'emprunte est que je n'avais pas touché le couteau directement. J'avais d'abord pris la serviette qui trainait dans l'évier, celle avec laquelle on lavait la vaisselle.
- Ensuite, terminai-je en reniflant et levant les yeux vers le policier, le meurtrier a tué ma mère... et... J'ai plongé derrière le canapé pour me cacher, et...
Quand bien même ce n'était que des mensonges, dire ces mots me faisait atrocement mal. Je plongeai mon visage dans mes mains, éclatant encore une fois en sanglots. Personne ne dit rien pour un long moment, tous me laissant digérer les images que j'avais vu défiler dans mon cerveau.
- Tu peux me dire à quoi ressemblait le meurtrier ? demanda doucement le policier.
Je pris un moment pour sécher mes larmes et trouver une réponse avant de relever la tête vers lui.
- C'est un peu flou, tout allait trop vite. Il devait avoir entre un mètre soixante-dix ou soixante-quinze... Blanc, cheveux bruns et courts. Il portait un sweat noir.
Je grimaçai en réalisant que j'étais en train de me décrire. Heureusement pour moi, c'était hier que j'avais mis mon sweat. Aujourd'hui, j'avais une vieille chemise grise.
- Je crois qu'il avait un truc tatoué sur le poignet gauche.
- Une étoile ?
- Ouais, euh... non, je sais pas, c'était pas une étoile.
Merde, il vient vraiment d'essayer de me coincer avec une référence à l'amazing Spider-man ?
- Je crois plutôt que c'était le poignet droit, en fait. Je crois que c'était des mots, ou des chiffres.
- D'accords, dit l'agent Smith en notant dans son calepin. Tu n'as rien d'autre à me décrire ? Sa voix, peut-être, n'importe quoi...
Je haussai les épaules en secouant la tête. J'en avais assez dit, et s'il y avait bien un dicton que je connaissais bien, c'était « les meilleurs mensonges sont les plus courts ».
- On peut partir, maintenant ? demandai-je d'une voix un peu tremblante à ma tante.
- Oui, bien sûr, dit-elle en serrant à nouveau mon épaule, avant de me lâcher et de me tendre les clés. Tu veux attendre dans la voiture ? J'en ai pour cinq minutes.
J'acceptai les clés d'un timide sourire, avant de sortir de la pièce et de me précipiter dehors pour prendre un peu d'air. Je déverrouillai la voiture et allai m'assoir sur le côté passager, laissant la portière ouverte pour laisser entrer un maximum de fraicheur.
- Pourquoi moi ?! marmonnai-je théâtralement.
Pourquoi pas ?! répliqua Hyde. Je savais que t'allais pas apprécier ce que tu verrais.
- Toi, tu le savais depuis toujours, qu'il y avait un troisième ?
Assez près. Si tu veux une petite anecdote, je suis née de tes songes l'année dernière, vers janvier, environ. Lui, je me suis rendu compte de sa présence, je me souviens, on était en été. Tu vois, quand c'était moi qui prenais le dessus sur toi, tu n'avais aucun souvenir de l'évènement, mais moi, même quand c'était toi, je voyais tout ce que tu voyais. Tu comprends ? Cette fois-là, je marchai tranquillement dans la petite forêt derrière la maison, et puis... boum. C'était toi, dans ta chambre. J'avais rien compris. Quand j'ai eu à nouveau le contrôle, je suis retourné dans la forêt. Tu veux savoir ce que j'ai trouvé ? Derrière le grand chêne, un petit coffre en bois bourré de cadavres d'animaux, dont des écureuils et des moineaux. J'ai même trouvé un chaton dans le lot. C'est là que je me suis mis à douter. Mais quand, et s'il prenait le dessus, je ne me rendais compte de rien. Encore aujourd'hui, je suis incapable de savoir... Il est peut-être en train de nous écouter présentement. Et si on l'appelait Hulk, celui-là ?
- Va pour Hulk.
Je levai les yeux vers la porte de la pharmacie. Il n'y avait toujours aucune trace de ma tante, or, j'avais atrocement hâte de foutre le camp. De me cacher quelque part et de m'enfermer dans ma tristesse.
Et puis merde, pensai-je pour moi-même. Je fermai la portière et allai m'assoir derrière le volant. Je tournai la clé, le monteur ronronna. Un dernier coup d'œil vers la porte, toujours pas de tante ni de policier.
Je mis la marche arrière pour sortir du stationnement, puis m'engageai sur l'autoroute du centre-ville de ma ville natale. Rapidement, je sortis du centre-ville pour retourner sur la transe canadienne, la voie rapide reliant Bathurst à Tracadie. Mais à la dernière minute, je décidai de prendre un autre chemin, celle qui me faisait passer sur un vieux pont miteux où une seule voiture pouvait passer à la fois. Des constructions allaient bientôt commencer pour retirer ce pont, qui passait au-dessus d'un ravin ridiculement haut. Je crois que c'était la rivière Pabineau qui passait en dessous ; à sa source, c'était une chute magnifique, appartement aux Amérindiens. Ici, elle était minuscule, et parfaite pour un plan suicide.
D'un puissant coup de roux, la voiture défonça la clôture et tomba dans le ravin. Je fermai les yeux, l'imaginant tomber en slow motion, mes mains toujours sur le volant. Mon téléphone sonna, comme si le monde extérieur avait encore de l'importance.
Avec tous mes problèmes, le seul docteur qui saurait arranger mon cas appartenait à l'univers Marvel. J'étais beaucoup trop strange pour ce monde...
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