Chapitre 26

Ma tante avait pris le rendez-vous. Elle m'avait laissé par message texte la date et l'heure ; aujourd'hui, dix-huit heures. Elle avait promis un petit extra pour avoir le rendez-vous le plus tôt possible. Une moitié de moi avait hâte d'en finir et d'avoir les réponses ; l'autre moitié avait peur de ce qu'elle allait découvrir. Hyde n'arrêtait plus de marmonner des plaintes à mes oreilles, mais je l'ignorais. L'antidépresseur l'abrutissait juste assez pour qu'il soit incapable de reprendre le contrôle. Il ne restait plus qu'à souhaiter que ce soit le cas jusqu'à dix-huit heures.

Je commençai à croire que Hyde avait raison et qu'il vaudrait mieux laisser ça entre nous, mais l'heure était déjà arrivée. Il était seize heures quarante-cinq, il était temps de reprendre la route vers Bathurst pour ne pas être en retard.

Entre Tracadie et Bathurst, c'était une heure de route, assez précisément. En regardant l'heure sur mon téléphone, ce ne fut que cinq minutes en plus, cette fois. Étrangement, la route m'avait donné l'impression de durer à peine un quart d'heure.

Je pris une grande inspiration, puis levai les yeux vers ma tante, qui avait arrêté la voiture dans un petit stationnement devant une pharmacie.

- C'est au deuxième, dit-elle en pointant le sommet du bâtiment. Tu es prêt ? Tout va bien aller.

Je pris une seconde inspiration, puis hochai la tête, peu convaincue. J'ouvris ma portière et sortie sur le stationnement, et eu la surprise de remarquer que, à deux espaces de stationnement de nous, un policier était appuyé contre sa voiture et buvait lentement son café. Il me regardait droit dans les yeux. Il ne me fallut pas une seconde de plus pour le reconnaitre ; c'était celui qui m'avait arrêté quand j'étais retourné dans ma maison. Celui qui m'avait chaudement recommandé l'hypnose.

- T'es venu admirer le spectacle ? demandai-je en faisant quelques pas vers lui.

- Tant que tu seras en transe, tu pourras répondre à toutes les questions dont j'aurais besoin. Ta tante était au courant de ma venue, ajouta-t-il avec un mouvement de menton dans sa direction.

Abandonne, s'il te plait, souffla Hyde. Ça va mal se finir.

Est-ce que c'est toi, le meurtrier ?

Non.

Alors, tu n'as rien à craindre.

Le policier nous montra la porte de sa main libre et ma tante me poussa doucement dans cette direction. Nouvelle grande inspiration, grande expiration, puis j'avançai vers les portes. Je les ouvris pour me retrouver directement dans la pharmacie. Une seconde porte était à ma droite, une porte en verre opaque, avec un cercle moins opaque que le reste au centre. Dans le cercle, écrit en verre parfaitement transparent, il était inscrit « docteur de famille – psychologue – nutritionniste\diététiste ». Encore une grande inspiration – j'en avais pris assez pour passer le reste de ma journée en apnée – puis passai la porte, toujours suivie par ma tante et le policier. Je montai l'escalier qui était derrière les portes et, arrivé en haut, trouvai une vaste salle d'attente. J'allai m'assoir sur un siège, ne sachant plus trop quoi faire. Ma tante alla au bureau de la réceptionniste. Le policier vint s'assoir à côté de moi. Je baissai la tête en me mordant la lèvre.

- C'est normal que tu aies peur, dit-il en se penchant légèrement vers moi. J'ose pas imaginer ce que je serais devenu, à ta place... Une vraie loque... Mais dis-toi que, grâce à ça, tu sauras nous aider à attraper le coupable et le mettre derrière les barreaux.

- Ouais, marmonnai-je.

- Tout va bien se passer.

Il me donna une petite claque sur la cuisse, puis s'enfonça dans sa chaise et continua de siroter son café. Ma tante vint s'assoir à ma gauche après avoir terminé de parler à la réceptionniste.

- Ce ne sera pas long, dit-elle.

- La séance ?

- Eh, ça, je sais pas... Je parlais du temps d'attente.

- Oh... J'aurais préféré le contraire, marmonnai-je.

- Jacob, tu n'abandonneras pas si près du but ! s'impatienta Carole. Nous sommes ici, alors tu vas avoir ta séance, une bonne fois pour toutes.

- Tu tiens vraiment à ce que je revois ça ? dis-je sur le même ton.

- Je fais à ta décision ; tu voulais ton rendez-vous, tu l'as eu. Maintenant, arrête de changer d'avis à tout bout de chant, c'est tout ce que je te demande !

- OK, soupirai-je.

- Madame Lane ?

Je tournai la tête vers la réceptionniste, en même temps que ma tante et le policier. La tête de la femme dépassait du coin du mur, nous montrant un grand sourire au rouge à lèvre rouge cerise.

- Le docteur est prêt à vous recevoir. Vous pouvez y aller, c'est la porte-numéro trois, dans le corridor devant vous.

Ma tante et le policier se levèrent d'un seul mouvement, puis se retournèrent vers moi, qui étais resté assis, les yeux rivés au corridor devant moi.

Sauve-toi. Saute par la fenêtre. Fais n'importe quoi, mais fous le camp d'ici. S'te plait, Jekyll !

J'ai sérieusement envie de sauter par la fenêtre, là...

Fais-le.

- Jake, tu viens ? s'impatienta Carole.

Je hochai la tête avant de me lever de ma chaise. J'étais si stressé que j'en tremblais, j'avais de la difficulté à marcher. Ma tante passa un bras autour de mes épaules, autant pour me soutenir que pour m'empêcher de faire demi-tour. Et enfin, beaucoup trop rapidement à mon gout, nous étions arrivés dans le bureau du psy. Il était là, assis derrière son bureau, les cheveux mi-longs poivre et sel. Il leva les yeux de ses papiers pour nous dévisager pendant une seconde, avant de nous faire un grand sourire et de se lever pour nous accueillir.

- Ah, tu dois être Jacob Lane, dit-il en s'avançant droit vers moi. Je suis Charles Pinault, ton psy pour la journée.

Avec un sourire éblouissant, Charles me tendit sa main et je la serrai timidement, répondant par un simple sourire à sa présentation. Il passa ensuite à ma tante, puis au policier – je ne retins que son nom de famille, qui s'avérait être Smith.

Le psy me présenta d'un mouvement de main le canapé qui était appuyé contre le mur du fond. J'acceptai de m'y rendre simplement parce que mes jambes commençaient à être trop molles pour me soutenir.

- Tu n'as pas à avoir peur, Jacob, dit Charles avec un sourire bienveillant. L'hypnose ne fait pas mal, elle ne peut servir qu'à te relaxer. C'est une forme de thérapie, tu sais ?

Je hochai la tête. Bien sûr que je savais que l'hypnose ne pouvait pas faire de mal ; il allait seulement me parler, pas m'exorciser. Déjà qu'il ressemblait un peu à une version soixante ans de Sam Winchester avec ses cheveux qui lui touchaient presque les épaules... Ce qui me faisait peur, c'était les souvenirs qui allaient me revenir. Pour sûr, ce ne sera pas joyeux.

- Je vais vous demander d'attendre dehors, dit Charles en se tournant vers ma tante et le policier.

- Il faut que je reste, dit l'agent Smith. Son souvenir pourrait nous être utile pour trouver un criminel.

- D'accord, je comprends... Alors, asseyez-vous à mon bureau et, surtout, ne dites pas un mot. Faites-moi une petite liste de questions et je les poserais moi-même.

Smith alla s'assoir à la place indiquée et inscrivit quelques notes sur un calepin. Ma tante vint s'assoir à côté de moi pour me donner une petite tape encourageante sur l'épaule.

- T'inquiète pas, tout va bien aller.

- Je sais, marmonnai-je.

Ma tante me prit dans ses bras pour un câlin et je me laissai faire, les yeux perdus à fixer le vide devant moi. Enfin, elle me lâcha et quitta la pièce. L'agent Smith arracha une feuille de son calepin et le tendit au psy, puis retourna s'assoir derrière le bureau. Charles prit une chaise qui était près du mur et l'approcha du canapé. Il prit dix secondes pour lire la feuille qu'il tenait entre les doigts, avant de relever la tête vers moi.

- Tu es prêt ? On va commencer.

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