Chapitre 25

Je n'avais pas pu dormir de la nuit. Étant donné que j'avais déjà pris un antidépresseur, je n'avais pas osé prendre un somnifère en même temps. Quand le matin arriva enfin, j'avais toujours les yeux grands ouverts et fixés sur le plafond, étendu en étoile dans mon lit. Pourtant, j'étais tellement épuisé que je n'arrivais plus à trouver la force d'en ressortir. Vivement pour moi, ma tante arriva dans ma chambre cinq minutes après mon réveil pour m'avertir que le petit déjeuner était prêt. Elle se donna aussi la mission de me pousser en bas de mon lit.

Après le petit déjeuner, je me préparai rapidement avant d'aller à l'école. Je partis de la maison dix minutes plus tôt que d'habitude, pour un stop au Tim Hortons. J'avais besoin du café le plus fort et le plus sucré possible pour passer au-dessus de ma journée. Une fois arrivé à l'école, j'allais m'assoir à la cafétéria, puisque c'était le genre d'école strict où nous n'avions pas le droit de boire et de manger ailleurs dans les corridors.

Cinq minutes plus tard, Élodie faisait son arrivée. Elle vint s'assoir en face de moi, toute souriante. Je restai de marbre devant sa bonne humeur, penché au-dessus de mon café.

- Hé, grognon, me salua-t-elle avec un petit sourire en coin. Fais pas cette tête-là, je t'en veux pas, pour hier soir.

Je marmonnai un « Mmh » avant de boire une grande gorgée de café. Élodie s'appropria le gobelet alors que je le reposais sur la table et prit une gorgée. Elle remit le café sur la table en s'étouffant, une main sur la poitrine pour reprendre son souffle.

- Ouah, t'as mis combien de sucre là-dedans ?

- Six.

- Ouah... T'as pas dormi de la nuit ?

- Nope. Pas une seule seconde.

- C'est pas à cause de moi ?

- Pourquoi ce serait à cause de toi ? m'étonnai-je. Non, c'est juste... Ma tête, dis-je en regardant ailleurs. Une migraine terrible. (Je relevai les yeux vers Élodie, qui me regardait d'un air compatissant.) Est-ce qu'on est vraiment... En couple ?

- T'as essuyé tellement de refus que tu ne réalises toujours pas, dit-elle en riant. Mais ouais, j'ai envie de tester l'expérience. On peut toujours voir ce que ça va donner, nous deux. Oh, tu sais, les refus, c'était seulement pour faire durer le suspense ! Je t'aime bien depuis le début.

- Tu m'aimes bien, dis-je en pouffant.

- Hé, si t'es pas satisfait, je peux toujours te conseiller d'aller voir ailleurs !

- Nah, je vais faire avec ce que j'ai. Pour l'instant.

- Ça commence tellement mal, dit Élodie en levant les yeux au ciel.

- Ça va pas marcher, nous deux.

- T'es tellement négatif.

- Non, je suis sérieux, Élodie...

- Faudrait que tu me trouves un petit surnom tout mignon, dit Élodie en appuyant le menton dans sa paume avec un petit sourire.

- Dégueulis ? Non, mais je suis sérieusement sérieux... Ça ne marchera pas. Et je dis pas ça parce que je t'aime pas, ou vice versa, mais parce que je vais pas rester ici pour longtemps. Ma tante et mon oncle planifient de m'envoyer ailleurs.

Élodie perdit aussitôt son petit sourire. Sa main où était appuyé son menton retomba lourdement sur la table alors qu'elle me regardait avec de grands yeux intrigués. Je détournai le regard, mal à l'aise.

- Tu déménages ? Genre, tu vas te faire adopter ailleurs ? Ou une famille d'accueil ?

- Je sais pas... On n'en a pas vraiment parlé, c'était que des menaces fait par mon oncle si je ne change pas de comportement. Par exemple, si j'essaie de fuguer, ou...

Je ne terminai pas ma phrase, tournant les yeux vers la table voisine, où Sabrine et ses amis discutaient joyeusement. Sabrine, par contre, souriait un peu moins que les autres, comme si quelque chose la tracassait. Nos regards se croisèrent pendant une seconde, et je m'empressais de reporter mon attention à Élodie.

- Bah, arrête de fuguer ! s'exclama Élodie en frappant du poing sur la table. C'est pas plus compliqué que ça !

- Si, c'est compliqué ! m'énervai-je. Je n'arrive pas à... à me contrôler. Je vais le faire, tôt ou tard, même si je ne veux pas le faire, et mon oncle m'enverra à la rue avec un coup de pied au cul. Il faudrait pratiquement m'attacher avec des menottes au calorifère dans ma chambre... Ou m'enfermer dans un congélateur...

- Comme dans Teen Wolf ? Bon, c'est pas comme si tu allais te transformer en monstre et tuer le village !

- Si.

Je pris une grande gorgée de café sous le regard intrigué d'Élodie.

- Je crois que mes médicaments ne sont pas particulièrement efficaces. Les antidépresseurs me rendent dépressif...

- La dose n'est peut-être pas assez forte ? dit-elle timidement. C'est quoi, la dose ?

Je haussai les épaules pour toute réponse. C'était probablement inscrit sur la bouteille, mais c'était toujours ma tante qui s'occupait de mettre le médicament devant moi et me forcer à le prendre.

- Jacob, reprit Élodie en se penchant un peu au-dessus de la table, si je te demande d'arrêter de fuguer et de rester sage, pour une fois, tu vas le faire ?

Je ne répondis rien, regardant ailleurs. C'était à Hyde qu'il fallait poser cette question, pas à moi.

Hyde, tu es là ? appelai-je en buvant mon café. Hyde ?

Ouais, présent.

À peine présent. Sa voix me semblait faible et lointaine, comme provenant d'une seconde dimension. On aurait dit qu'il venait tout juste de se réveiller après une sieste trop courte.

Qu'est-ce que je dois faire, d'après toi ?

Aucune réponse. Il n'était pas assez réveillé pour réfléchir, apparemment. Je reposai mon café après la quatrième gorgée de suite, pour croiser le regard d'Élodie qui me regardait comme si je faisais atrocement pitié.

- Arrête de me regarder comme ça ! m'énervai-je. Écoute... Je vais faire de mon mieux. Je peux pas te promettre plus. Seulement, si je disparais du jour au lendemain, tu sauras pourquoi.

Cette fois, ce fut au tour d'Élodie de ne rien répondre. Elle hocha la tête, les yeux rivés sur la table. Quand la cloche sonna pour annoncer le premier cours de la journée, elle se leva d'un bon, passa son sac à dos sur une épaule et disparut dans la foule d'élèves. Je restai une seconde de plus à la table, les yeux dans le vague. Maintenant que nous étions officiellement en couple, elle m'évitait encore plus qu'avant !

Je vais devoir attendre encore longtemps pour voir la vraie scène ? demandai-je en me levant enfin pour rejoindre mon cours. L'hypnose commence à me tenter sérieusement.

Hyde ne réussit qu'à marmonner un faible « ouais » dans mon esprit. J'eus même des doutes si ce n'était pas moi-même qui l'avais pensé.

Résigné, je sortis mon téléphone et mes écouteurs de ma poche, outil indispensable pour traverser un corridor. Mais avant de brancher les écouteurs, je restai assis, à regarder mon téléphone. Je me mordis la lèvre, nerveux, regardant de droite à gauche. Personne ne faisait attention à moi. Finalement, je rangeai les écouteurs et composai le numéro de la maison.

- Jake ? Tout va bien ? répondit ma tante.

- Ouais, pas de problème. Je voulais seulement te demander si tu ne pourrais pas me prendre un rendez-vous avec ce psy qui fait de l'hypnose ? Le plus tôt possible.

- Tu changes d'avis toutes les deux minutes...

- Non, je suis décidé. Je veux ce rendez-vous. S'il te plait !

Quelqu'un me tapota l'épaule et je sursautai en tournant la tête ; un surveillant.

- T'as pas de cours ? demanda-t-il d'un air sévère.

- Ouais, j'y vais dans deux secondes. Matante ? dis-je en reportant mon attention au téléphone. Tu vas le faire, hein ?

- Oui, conte sur moi, je le fais tout de suite. Va en cours, maintenant.

- Merci.

J'accrochai le téléphone sous le regard noir de l'enseignant, qui me fit à nouveau signe d'aller en cours. Maintenant, du moins, j'étais déjà un peu plus joyeux. Hyde essayant de me hurler dessus pour ma décision arrivait à peine à faire des phrases complètes.

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