Chapitre 23

De retour chez Lucas, Hyde avait été poli avec tout le monde, juste ce qu'il faut pour n'éveiller aucun soupçon de la tempête intérieur qui nous rongeaient tous les deux, chacun pour des raisons opposées. Quand Carole arriva enfin, je dis un « bye ! » rapide, sans attendre de retour, et me précipitai dehors pour grimper dans la voiture et quitter Bathurst au plus vite. Nous roulions depuis dix minutes déjà quand ma tante osa enfin s'aventurer sur le sujet.

- Tu n'as rien à dire, Jake ? demanda-t-elle d'une voix tendue.

- Merci, de rien, désolé.

C'était forcément quelque chose dans ce genre-là qu'elle voulait. C'était toujours ça.

- Je veux des explications sur ce que tu as dit à ta cousine !

- Oh, dis-je en toute innocence.

Puisque Hyde savait parfaitement ce qui s'était passé et qu'il y pensait, je pus me souvenir également, en chaque détail, de ce qui s'était passé à ce moment-là : Sabrine qui me menace de tout dire à ses parents, moi qui la menace en retour de la tuer, en détaillant bien le comment. Pas pour rien qu'elle s'était enfuie ; elle avait eu la preuve que Hyde était capable d'agir.

T'es vraiment con, seigneur ! m'énervai-je.

Toi, tu la fermes !

- J'étais soul, dit Hyde en tournant la tête vers la fenêtre. Je sais, je n'avais pas le droit de boire, mais bon sang que j'en avais besoin ! (Je tournai la tête pour dévisager ma tante, qui gardait les yeux rivés sur la route devant elle, les sourcils froncés.) Je suis un alcoolique et fier de l'être. D'ailleurs, j'ai toujours pas trouvé où tu caches ta boisson.

Arg, la ferme, Hyde ! Tu empires mon cas !

- Arrête de dire toute sorte de connerie, je veux savoir pourquoi tu as menacé de mort Sabrine ! hurla Carole.

- Et j'aimerais bien savoir pourquoi elle y a cru ! dis-je sur le même ton.

- Peut-être parce que tu as déjà essayé de l'étrangler ?!

Je hochai la tête, avouant que c'était une bonne raison. Même si, de toute façon, je sais que Hyde le pensait vraiment. Un jour, il ne saura plus résister à la tentation et il tuera sérieusement Sabrine.

- Tu vas me punir ? demandai-je, tournant à nouveau la tête par la fenêtre.

- Qu'est-ce que tu crois ? Je peux quand même pas laisser passer ton comportement ! Vraiment, j'aurais cru que, après ce qui t'était arrivé, tu ne parlerais pas de la mort avec autant de désinvolture !

Je haussai les épaules, indifférent. Plutôt, Hyde était indifférent. Moi, j'avais envie de hurler.

Tu veux tuer tout le monde, de toute façon ! hurlai-je dans son crâne.

C'est pas vrai. Seulement Sabrine.

Fais pas semblant, je sais que c'est toi, le meurtrier.

Tu dis n'importe quoi !

Alors pourquoi tu as modifié le souvenir de cette nuit-là ?!

- Ce sera quoi, comme punition ? Privé de sortie ?

Carole poussa un long soupir, les doigts crispés sur le volant, avant de hocher la tête.

- Privé de sortie, privé de technologie. Et Sabrine ira passer la nuit chez son parrain et sa marraine.

- T'as vraiment peur que je fasse quelque chose contre elle, m'étonnai-je.

- J'ai toutes les raisons d'avoir peur ! s'énerva ma tante. Tu l'as déjà étranglé, qu'est-ce qui me dit que tu ne feras pas autre chose ?!

- JE NE SUIS PAS UN MEURTRIER ! hurlai-je à plein poumon.

Ma tante sursauta sous la force de mon cri, la voiture dévia légèrement de la route avant de se remettre droit dans un crissement de pneus. Carole haletait, cherchant son souffle après la panique. Je tournai à nouveau la tête vers la fenêtre, serrant les poings à m'enfoncer douloureusement les ongles dans les paumes, battant des paupières pour chasser les larmes qui me montaient aux yeux.

Notons que c'était toujours Hyde qui avait le contrôle. Il avait le contrôle. Et il était à deux doigts de se mettre à pleurer.

Je sais que c'est ce que tu penses, toi aussi, dit Hyde en fermant les yeux. Mais je n'ai tué personne !

Alors, pourquoi tu ne veux pas me montrer le bon souvenir ? demandai-je doucement. J'ai besoin de savoir.

Hyde éclata en sanglots pour de bon, le visage enfoui dans ses mains.

- Oh, Jake, allons ! dit timidement Carole. Je n'ai jamais pensé une chose pareille ! Je sais bien que tu n'y es pour rien.

J'étais incapable d'arrêter de pleurer. La route continua ainsi pendant une dizaine de minutes avant que je ne puisse me ressaisir un peu, reniflant.

- Je dis n'importe quoi, et je fais n'importe quoi, aussi, mais je ne... (Hyde toussa un peu, essayant de garder le contrôle sur sa voix.) Je ne... tuerais pas. Ça fait maniaque de le dire comme ça, mais...

- C'est bon, Jake, tu n'as même pas besoin d'essayer de me convaincre là-dessus. Je sais bien que tu n'es pas un meurtrier, allons !

- Alors pourquoi tu as peur que je m'approche de Sabrine ?!

- Tu l'as étranglé, soupira tristement Carole. Tu lui as fait très peur, quand même, et avec raison ! Tu peux au moins comprendre que, ce que tu lui as fait, c'est très mal ?

- Oui, je sais... dis-je en tournant à nouveau la tête vers la fenêtre. Je suis désolé.

Mais si elle me fait encore chier, par contre... !

Ne touche plus à ma cousine ! m'énervai-je.

Oh, laisse-moi tranquille, un peu ! Je viens tout juste de pleurer, t'es pas déjà satisfait ?!

Je ne trouvai rien à y redire, et préférai me désintéresser du moment présent. Étant déjà reclus dans un coin minuscule de mon minuscule cerveau, il ne me fallut pas plus longtemps pour disparaitre de ce monde.

En reprenant connaissance, Hyde avait encore le dessus. J'étais maintenant dans ma chambre, étendu dans le lit, à parler au téléphone. Je reconnus assez vite la voix d'Élodie à mon oreille, et mon cœur bondit dans ma poitrine. Hyde s'interrompit au milieu de sa phrase, fronçant les sourcils.

Oh, tu es revenu.

Il soupira, avant de se reprendre :

- Au Tim, c'est pas trop loin pour toi ?

- Non, pas de problème.

- OK, on se revoit plus tard. Bizou !

- Bizou, répéta Élodie avec un petit rire niait.

Hyde raccrocha le téléphone et le fit tomber à côté de lui dans le lit, puis ferma les yeux, soupirant à nouveau.

- Tu m'as foutu la paix pendant sept longues heures, murmura-t-il, remuant à peine les lèvres. Ça fait tellement du bien.

Tu peux me rendre mon corps, maintenant ?

- Hmm, pas envie... Je te fais plus confiance, après ton accusation. J'ai peur de ce que tu comptes faire.

Et toi, qu'est-ce que tu comptes faite ? C'était quoi, cet appel avec Élodie ?

- Un petit truc bizarre qui s'appelle « la socialisation ». Nah, en fait, ça serait bien que tu le sais. On est officiellement en couple, tu vois ?

QUOI ?!

- Arg, crie pas, ça explose dans ma tête, grogna Hyde en portant une main à ses tempes. Oui, tu as bien compris, nous sommes en couple. Contrairement à toi, j'ai trouvé les bons mots pour la faire flancher.

Qu'est-ce que tu as dit ?

- Je t'aime.

Et ensuite ?

- Rien, j'ai juste dit « je t'aime » ! Après un long silence, elle a répondu : « oooh, moi aussi, Jake ! » J'ai demandé si ça lui disait de sortir avec moi, et elle a dit oui, je te jure. Alors voilà, cette nuit, je vais sauter par la fenêtre et aller la rejoindre au Tim Hortons.

Ça me fait super bizarre que tu aies des sentiments.

Hyde ne répondit rien, se contentant de souffler. Quelqu'un frappa à la porte.

- Entrez.

J'ouvris un œil pour voir ma tante passer la porte.

- T'as eu ton appel ? Il faut que tu me rendes ton téléphone, maintenant. C'est ta punition, dit-elle avec un petit sourire désolé.

Je lui lançai le téléphone à la figure. Ma tante l'attrapa de justesse, avant de me lancer un regard noir et de quitter la pièce.

Rends-moi mon corps, maintenant.

- Non.

Rends-le-moi !

- Tu vas pas la fermer ?! Allez, disparais !

Je disparus.

À minuit, Hyde s'enfuit par la fenêtre. Ça faisait maintenant douze heures qu'il avait le contrôle, et j'en avais marre. Il était décidé à ne plus me le rendre, et ça commençait à me faire sérieusement peur. Je lui rebattais les oreilles en hurlant et en criant des « rends-moi mon corps ! » à répétition. Il avait de plus en plus de difficulté à retenir ses nerfs, à m'entendre crier ainsi.

Arrivé au restaurant, je commandai deux cappuccinos et allai m'assoir à une table dans un coin. Hyde sirotait son café en fouillant la place des yeux, à la recherche d'Élodie, pendant que je lui criais à tue-tête dans les oreilles.

La ferme, dit-il. Tu veux vraiment risquer que je perde les nerfs dans un lieu public ?

Rends-moi mon corps.

Change de disque, putain !

RENDS-MOI MON CORPS !

- Hé, salut !

Je relevai la tête en sursautant pour croiser le regard d'Élodie. Elle me sourit avant de prendre place devant moi et de s'approprier le deuxième cappuccino sans demander d'abord la permission.

- Salut, dis-je enfin avec un grand sourire. Je t'avais pas vu arriver.

- Alors comme ça, t'es privé de sortie.

- Visiblement, dis-je en levant les bras pour montrer le restaurant. Je suis présentement enfermé dans ma chambre. Mais c'est pas plus grave, sur le moment, puisque je dors.

- Mouais, dit Élodie dans un rire.

RENDS-MOI MON PUTAIN DE CORPS !

Hyde sursauta violemment, renversant son gobelet sur la table. Il s'empressa de le remettre droit en se rependant d'excuse. Élodie leva les bras pour éviter de toucher la table inonder en grimaçant.

- Excuse-moi, Élodie, j'ai juste...

T'es qu'un gros con !

- Je suis un gros con.

- Ouais, ça, je le sais.

- Mais c'est pas ce que je voulais dire, gémit Hyde en fermant les yeux.

- C'est pas grave. T'as toujours été bizarre, c'est juste que, aujourd'hui, t'as attend un niveau de plus.

Je fermai les yeux en soupirant.

Laisse-moi la paix, une seule seconde.

Je te donne la paix si tu me donnes mon corps.

- On pourrait simplement passer du bon temps, tranquille, tous les deux ? dit Hyde en ouvrant les yeux pour croiser ceux d'Élodie.

- Je suis là pour ça. C'est toi qui stresses, je comprends même pas pourquoi. T'as envie d'en parler ? Heum... est-ce que tu as pris t'es médicaments, aujourd'hui ?

- Non, s'te plait, parlons de chose joyeuse !

Comme le fait que tu es cinglé. Vas-y, dis-lui ça.

Merde, je croyais que tu étais le gentil de l'histoire ! Arrête de me polluer le cerveau !

C'est mon cerveau, je fais ce que je veux avec !

- OK, dit Élodie, eh bien, lance un sujet.

Je restais muet à la demande. Il n'y avait rien de joyeux à dire à mon sujet.

Rends-moi mon corps, une minute.

NON.

Rends-le-moi, rends-le-moi, rends-le-moi, rends-le-moi, rends-le-moi...

Arrête !

Rends-le-moi, rends-le-moi, rends-le-moi...

PITIER !

RENDS-LE-MOI !

- Oh, mon Dieu, marmonna Hyde en se prenant la tête à deux mains.

- Jake, est-ce que tu vas bien ? demanda timidement Élodie.

- Oui...

Non.

- J'ai juste un peu mal à la tête.

J'ai juste un meurtrier dans le cerveau.

Arrête.

Rends-moi mon corps.

Putain, arrête !

Rends-moi mon corps !

- Jake, tu commences sérieusement à m'inquiéter...

- Je vais bien ! J'ai juste... hyper mal au crâne...

Élodie grimaça en retirant mon gobelet de cappuccino de devant moi.

- Dans ton cas, vaux mieux que tu arrêtes la caféine.

Je soupirai en hochant la tête, qui était toujours soutenue par mes deux mains, les coudes sur la table et les yeux dans le vague. Il était sur le point de craquer.

Pourquoi, dans le souvenir que tu m'avais montré, tu avais le contrôle pendant que j'étais enfermé dans ta tête ? Je n'arrêtai plus de hurler, et tu n'as jamais flanché une seule seconde. Pourquoi tu fais le faible, maintenant ? Oh, c'est vrai, ce n'était pas un vrai souvenir. Allez, Slughorn, soit fort comme ma mère l'a été et donne-moi ton putain de souvenir, que je puisse comprendre.

C'est plus mon corps, que tu veux ?

Un ou l'autre, pour le moment.

Hyde secoua à nouveau la tête, fermant les yeux. Pour un minimum de gentillesse, je lui permis de réfléchir, sans m'interposer. Je savais déjà qu'il allait flancher.

- Je suis désolé, je peux pas rester, dit Hyde en ouvrant les yeux. J'ai la tête qui va éclater.

- C'est bon, je comprends. On se revoit demain en cours ?

- Oui, probablement.

Sans m'éterniser, je sortis aussitôt du Tim Hortons, emportant ce qu'il me restait de cappuccino avec moi. Aussitôt dehors, je m'appuyai contre le mur en brique du bâtiment, laissant aller un grand soupire. Il était peut-être minuit, mais ici, au Tim Hortons, il y avait toujours une foule.

D'accord, Jake. Tu veux ton corps ? Je te le donne !

Hyde tint son café à deux mains, de peur de l'échapper lors du transfert. Je sentis le frisson habituel me parcourir l'échine, et en levant les yeux, je sus aussitôt que j'étais en contrôle.

Sans perdre une seule seconde de ma chance, je laissai tomber mon gobelet sur le trottoir, produisant une belle grosse flaque brunâtre, puis courue à pleine vitesse jusqu'à la maison. Je passai par la fenêtre de ma chambre, la refermai derrière moi, puis sortis dans le corridor en direction de la chambre de mes tuteurs.

Hé, mais tu fais quoi, au juste ? demanda Hyde.

J'en ai marre, je sais pas, c'est peut-être le fait que tu ne veux pas me dire la vraie version des faits. Ça fait plus d'un mois que le tueur court toujours, tu te rends compte ?

Non ! Arrête !

Arrivé devant la chambre de mon oncle et ma tante, je l'ouvris à la volée, et ses occupants sursautèrent dans le lit. Autant pour moi, ils ne faisaient que dormir.

- Jacob, bon sang, tu veux quoi ?! s'écria mon oncle.

- Je veux une séance d'hypnose.

Mon oncle garda le silence, sans comprendre. Ma tante alluma sa lampe de chevet, et je plissai les yeux.

- Quoi ?

- Vous avez bien compris. Je veux une séance d'hypnose ! Au plus vite !

Je vais fuguer.

- Il va probablement falloir m'attacher et me gaver de médoc. Pitié, faite vite.

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